TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MARSEILLE
N° 0302251
ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE
M. Massin
Rapporteur
M. Fédou
Commissaire du gouvernement
Audience du 3 octobre 2006
Lecture du 17 octobre 2006
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Marseille
(1re Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 11 avril 2003, présentée pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE, dont le siège est (…) à Aubagne (13400) représentée (…) par Me Trizac ;
L’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE demande au tribunal :
– l’annulation de la décision, en date du 9 décembre 2002, par laquelle la commune d’Aubagne a refusé de lui louer une salle municipale, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux, en date du 27 janvier 2003,
– la condamnation de la commune d’Aubagne à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,
– la condamnation de la commune d’Aubagne aux entiers dépens ;
Elle soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’incompétence du signataire de l’acte ;
– le caractère cultuel de la demanderesse n’est pas un obstacle à la location d’une salle municipale ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 août 2003, présenté pour la commune d’Aubagne ;
La commune d’Aubagne conclut au rejet de la requête et demande la condamnation de l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Elle soutient que :
– la requête est irrecevable pour défaut d’intérêt à annuler la décision attaquée ;
– la décision attaquée n’est pas entachée d’incompétence du signataire de l’acte ;
– la décision en litige, qui ne relève pas du pouvoir de police administrative générale du maire, n’avait pas pour objet de prévenir les éventuels troubles à l’ordre public mais de mettre l’utilisation d’un local appartenant à la commune à l’abri des querelles religieuses ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 octobre 2003, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE ;
Elle conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que la requête qu’elle précise sur certains points ;
Elle soutient en outre que :
– sa requête était recevable à la date de son introduction ;
– seuls deux motifs peuvent légalement justifier un refus de mise à disposition de salle municipale :
- les nécessités de l’administration des propriétés communales ;
- le maintien de l’ordre public ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 février 2004, présenté pour la commune d’Aubagne ;
La commune d’Aubagne persiste en ses écritures tendant au rejet de la requête ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 avril 2004, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE ;
Elle persiste en ses précédentes conclusions et fait valoir qu’il existe un règlement de prêt de salles municipales à Aubagne qui ne prévoie pas d’interdiction de mise à disposition des salles municipales aux associations cultuelles ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 septembre 2004, présenté pour la commune d’Aubagne ;
La commune d’Aubagne persiste en ses écritures tendant au rejet de la requête et précise que le texte invoqué par la requérante est un document qui n’émane nullement de la commune mais du conseil locale de la vie associative ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 septembre 2004, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE ;
Elle persiste en ses précédentes conclusions et porte à la connaissance du tribunal un jugement par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a annulé une décision de refus de mise à disposition de salle municipale aux témoins de Jéhovah de Châtellerault ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 janvier 2005, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE ;
Elle persiste en ses précédentes conclusions et porte à la connaissance du tribunal un jugement par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a annulé une décision de refus de mise à disposition de salle municipale aux témoins de Jéhovah de La Rochelle ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 février 2006, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE ;
Elle persiste en ses précédentes conclusions en soulignant que le document joint au pli adressé par la commune au tribunal le 16 décembre 2005 n’est qu’une simple copie de l’arrêté en date du 15 novembre 2001 et non la preuve que ledit arrêté a bien été régulièrement publié ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 avril 2006, présenté pour la commune d’Aubagne ;
La commune d’Aubagne persiste en ses écritures tendant au rejet de la requête et précise que la publication de l’arrêté en date du 15 novembre 2001 a bien été constatée par une déclaration certifiée du maire ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 mai 2006, présenté pour l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE qui persiste en ses précédentes conclusions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 octobre 2006 ;
– le rapport de M. Massin ;
– les observations de Me Filliol substituant Me Vaillant, pour le défendeur ;
– et les conclusions de M. Fédou, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE demande l’annulation de la décision, en date du 9 décembre 2002, par laquelle la commune d’Aubagne a refusé de lui louer une salle municipale, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux en date du 27 janvier 2003 ;
Sur la fin de non-recevoir opposé par la commune d’Aubagne :
Considérant que la commune d’Aubagne oppose une fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt de la requête car à la date à laquelle le jugement interviendra, la date de la demande de location de la salle municipale sera depuis longtemps passée qu’en matière de recours pour excès de pouvoir, la disparition de l’objet du litige résulte de celle de la décision attaquée ; que si la décision en litige a été entièrement exécutée, les conclusions tendant à son annulation n’ont pas pour autant perdu leur objet ; que cette fin de non-recevoir doit, dès lors, être écartée ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que la décision en litige est ainsi motivée : « (…) s’agissant d’un culte religieux, il est à considérer que celui-ci relève de l’ordre de la vie privée et du rapport que chacun entretient ou non avec la religion qu’il choisit de pratiquer. Dès lors, le principe de laïcité qui s’attache aux lois de la république et au droit communal ne permet pas l’attribution d’espaces publics, par nature ouverts à tous, pour servir de cadre à une expression religieuse nécessairement prosélyte. » ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L.2144-3 du code général des collectivités territoriales : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. » ;
Considérant que le principe de laïcité ne figure pas au nombre de ceux dont le maire peut tenir compte pour refuser la mise à disposition d’un local municipal ; que, dès lors, l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE est fondée à solliciter l’annulation de la décision, en date du 9 décembre 2002, par laquelle la commune d’Aubagne a refusé de lui louer une salle municipale, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux, en date du 27 janvier 2003 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les décisions en litige doivent être annulées, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Sur les dépens :
Considérant que les conclusions tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de la commune d’Aubagne sont sans objet ; qu’elles ne peuvent, par suite, qu’être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune d’Aubagne doivent dès lors être rejetées ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la commune d’Aubagne à payer à l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1 : La décision en date du 9 décembre 2002 par laquelle la commune d’Aubagne a refusé de louer une salle municipale à l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux en date du 27 janvier 2003 sont annulées.
Article 2 : La commune d’Aubagne versera à l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’ASSOCIATION LOCALE POUR LE CULTE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH D’AUBAGNE et à la commune d’Aubagne.