Tribunal administratif de Paris, 13 mai 2004
Association cultuelle des témoins de Jéhovah de France et autres
n° 0411210/9
ORDONNANCE
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;
Considérant que, par lettre du 5 décembre 2003, le directeur de la société d’exploitation du stade Charléty a informé la ville de Paris de la demande de l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France, qui sollicitait la mise à sa disposition du stade Charléty, le 23 mai 2004 ; que, par décision du 22 avril 2004, confirmée le 4 mai 2004, le maire de Paris a rejeté cette demande ; que l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre les effets de ces deux décisions et de ne pas faire obstacle à l’exécution du contrat de location du stade qu’elle a conclu avec la société d’exploitation ;
Considérant en premier lieu qu’il n’est pas contesté que l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France, dont la demande a été présentée à la ville de Paris près de six mois avant la manifestation projetée, a été informée des motifs du rejet de ladite demande moins de deux semaines avant la date à laquelle la réunion devait se tenir ; que la condition d’urgence exigée par les dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative se trouve, par suite, satisfaite ;
Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que, par convention de délégation de service public conclue le 29 février 2000, la ville de Paris a confié à la société d’exploitation du stade Charléty la gestion et l’animation de ce stade ; que, si ledit stade est principalement affecté à la pratique du sport et aux rencontres sportives, les stipulations de l’article 7 de la convention susvisée prévoient également la possibilité d’y organiser des manifestations extra-sportives ; qu’il n’est pas contesté que, dans le passé, des réunions ne présentant pas un caractère sportif se sont tenues dans le stade Charléty ;
Considérant que, lorsqu’une telle possibilité est ouverte, un refus ne peut légalement être opposé que pour des motifs tirés des exigences de l’ordre public ou des nécessités de l’administration des propriétés communales ;
Considérant que, pour refuser de mettre le stade Charléty à la disposition de l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France, le maire de Paris s’est fondé, d’une part, sur la circonstance que l’association ne pouvait se voir reconnaître le caractère d’une association cultuelle et, d’autre part, sur les termes de divers rapports d’enquêtes parlementaires révélant l’existence de « dérives sectaires » au sein de plusieurs associations, au nombre desquelles figure l’association requérante ;
Considérant toutefois qu’eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, la circonstance qu’une association se voit reconnaître ou non le caractère d’association cultuelle n’est pas de nature à justifier le refus exprimé par le maire de Paris dans sa décision du 22 avril 2004 ; qu’en outre, la ville de Paris n’invoque aucun fait précis dont il ressortirait que la réunion fixée au 23 mai 2004 présenterait un trouble à l’ordre public ; que les rapports d’enquêtes parlementaires, dénués de toute valeur juridique, ne sauraient servir de fondement légal à la décision du maire ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en refusant d’autoriser l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France à se réunir le 23 mai 2004 au stade Charléty, l’autorité administrative porte à la liberté de réunion, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave qui paraît, en l’état de l’instruction, manifestement illégale ; qu’il y a lieu par suite et dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension des effets de ses décisions des 22 avril et 4 mai 2004 et d’enjoindre au maire de Paris, de ne pas faire obstacle à l’exécution du contrat de location conclu entre la société d’exploitation du stade Charléty et l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France ;
Ordonne :
Art. 1er : Les effets des décisions du maire de Paris en date des 22 avril et 4 mai 2004 sont annulés.
Art. 2 : Il est enjoint au maire de Paris de ne pas faire obstacle à l’exécution du contrat relatif à l’utilisation du stade Charléty conclu le 3 février 2004 entre la société d’exploitation du stade Charléty et l’association cultuelle des témoins de Jéhovah de France.