Résumé juridique

CEDH, Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres c. Géorgie, 3 mai 2007, n° 71156/01
Article 3 (Traitements inhumains ou dégradants) - Article 9 (Liberté de religion) - Article 14 (Discrimination)

Article 3 Traitement dégradant
Traitement inhumain
Obligations positives


Agression violente visant une congrégation de témoins de Jéhovah par un groupe prétendant soutenir l’Eglise orthodoxe, et absence d’enquête effective : violation
Article 9 Article 9-1
Liberté de religion


Agression violente visant une congrégation de témoins de Jéhovah par un groupe prétendant soutenir l’Eglise orthodoxe : violation
Article 14 Discrimination

Commentaires et attitude des autorités en réaction à une agression violente visant une congrégation de témoins de Jéhovah : violation
En fait L’affaire est relative à l’attaque, en octobre 1999, de membres d’une Congrégation de Témoins de Jéhovah par un groupe fanatique de religieux orthodoxes dirigés par un prêtre défroqué. Le groupe encercla et entra dans un théâtre dans lequel 120 membres de la Congrégation étaient rassemblés. Certains réussirent à prendre la fuite mais 60 autres, y compris des femmes et des enfants, furent violemment agressés par les assaillants qui leur assénèrent des coups de poing, de pied, de bâton, de croix de fer et de ceinture et les poussèrent dans les escaliers. Un homme eut le crâne rasé par un groupe d’assaillants qui récitaient des prières. Puis les Témoins de Jéhovah furent fouillés, leurs effets personnels arrachés et tous les symboles de leur croyance qu’ils portaient jetés au feu. 16 personnes furent hospitalisées qui, pour l’essentiel, présentaient des blessures à la tête et souffraient de maux de tête. Les tentatives pour alerter la police se heurtèrent d’abord aux réticences des policiers de service. Le policier responsable alla jusqu’à déclarer à l’un des requérants qu’avec lui, les Témoins de Jéhovah « en auraient même vu de pires ». L’agression fut filmée par un des assaillants. Les chaînes nationales de télévision diffusèrent des images sur lesquelles un certain nombre d’agresseurs étaient parfaitement identifiables et leurs noms furent donnés par les victimes aux autorités compétentes. Toutefois, alors que 42 personnes portèrent plainte, seules 11 d’entre elles se virent reconnaître la qualité de partie civile. La procédure pénale se heurta à de nombreuses difficultés : elle fut suspendue à plusieurs reprises au motif qu’il n’était pas possible d’identifier les agresseurs ; l’officier de police saisi de l’affaire déclara que sa foi orthodoxe ne lui permettait pas de mener l’enquête avec l’impartialité requise ; lorsqu’au cours d’une identification, un des requérants reconnut l’un des agresseurs, il fut inculpé de trouble à l’ordre public avant d’être finalement acquitté. On ne fit pas grand-chose, voire rien du tout, pour faire passer les agresseurs en justice : une enquête fut ouverte contre deux des agresseurs soupçonnés d’avoir brûlé des ouvrages religieux cependant que leur chef qui affirmait vouloir informer la police à l’avance de toute agression envisagée par son groupe fut finalement inculpé dans le cadre d’autres incidents.
En droit Article 3 – a) les allégations de traitements inhumains sont corroborées pour 31 requérants par des certificats médicaux, un enregistrement vidéo ou une description précise non contestée de mauvais traitements. 6 autres requérants sont considérés comme des victimes indirectes de traitements inhumains pour le passage à tabac de leurs enfants. Pour 14 requérants dont les déclarations ne précisaient pas la nature et la gravité de ce qu’ils ont subi, il est conclu qu’ils ont été soumis à des traitements dégradants sur la base de la diffusion, sur les chaînes de télévision nationales, des images de violence, y compris de la vexation à caractère religieux infligée au requérant dont le crâne a été rasé. Aucune violation n’est constatée s’agissant des 16 requérants qui ont échappé à l’agression et des 37 requérants qui n’ont pas porté plainte auprès des autorités géorgiennes.

Conclusion : violation en ce qui concerne 45 requérants (unanimité).

b) Réaction des autorités : Il n’est pas démontré que les autorités étaient au courant du projet d’agression. Toutefois, une fois avertis, la police n’intervint pas avec diligence. 31 requérants ne reçurent pas de réponse à leur plainte et les plaintes des 11 requérants dont la constitution de partie civile avait été admise n’aboutirent pas. L’enquêteur chargé de l’affaire avait reconnu dès le début sa partialité. Une des victimes qui avait identifié certains des agresseurs fut elle-même inculpée. Il est regrettable que le Gouvernement persiste à affirmer qu’il n’a pas été possible d’identifier les auteurs des violences, surtout si l’on tient compte de la preuve que constitue l’enregistrement vidéo. Pour résumer, la police refusa d’intervenir promptement pour protéger les requérants et leurs enfants et les requérants furent ensuite confrontés à l’indifférence totale des autorités qui, sans raison valable, refusèrent d’appliquer la loi. Une telle attitude des autorités était de nature à réduire à néant l’effectivité de tous les autres recours qui pouvaient exister.

Conclusion : violation en ce qui concerne 42 requérants (unanimité).

Article 9 – Les requérants furent attaqués, humiliés et gravement battus en raison de leurs croyances religieuses. Leurs ouvrages religieux furent confisqués et brûlés sous leurs yeux. Un des requérants eut le crâne rasé à titre de punition religieuse. Les requérants furent ensuite confrontés à l’indifférence la plus totale et au refus d’agir des autorités, lesquelles ne donnèrent pas suite aux plaintes des requérants en raison de leur adhésion à une communauté religieuse perçue comme une menace pour l’Orthodoxie chrétienne. Privés de tout recours, les requérants ne purent faire valoir leur droit à la liberté de religion devant les juridictions internes. Cette attaque fut le premier acte d’une agression de grande envergure lancée contre les Témoins de Jéhovah et la faute des autorités favorisa ainsi une généralisation de la violence religieuse de ce même groupe dans toute la Géorgie, faisant craindre aux requérants une nouvelle explosion de violence à chaque nouvelle manifestation de leur foi. Dans ces conditions, les autorités manquèrent à leur devoir de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les extrémistes orthodoxes tolèrent la communauté religieuse des requérants et leur permettent le libre exercice de leur droit à la liberté de religion.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 14 combiné avec les articles 3 et 9 – Le refus de la police d’agir avec diligence s’explique largement par les convictions religieuses des requérants. Les propos et l’attitude des fonctionnaires avertis de l’agression ou chargés, par la suite, de conduire l’enquête ne sont pas compatibles avec le principe de l’égalité de tous devant la loi. Le gouvernement géorgien ne donne à cet égard aucune justification de ce traitement discriminatoire. Les autorités ont permis à l’instigateur des agressions de continuer de prôner la haine dans les médias et de se livrer, avec ses partisans, à des actes de violence au nom de la religion en affirmant bénéficier du soutien officieux des autorités. Cela laisse supposer qu’il y a eu complicité des représentants de l’Etat.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 – Différentes indemnités d’un montant maximal de 850 EUR par requérant sont allouées pour préjudice moral.