TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS
N° 1308083/9
M. David X
M. Rouvière
Juge des référés
Ordonnance du 13 juin 2013
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le juge des référés
Vu la requête, enregistrée le 11 juin 2013 sous le n° 1308083, présentée pour M. David X, […] par Me Goni ; M. X demande au juge des référés :
– d’enjoindre au directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris de lui délivrer un agrément d’aumônier bénévole, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l’ordonnance sous astreinte de 100 euros par heure de retard ;
– subsidiairement, l’autoriser à rencontrer M. Y, actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Meaux, avec l’intégralité des pouvoirs conférés par la législation aux aumôniers des établissements pénitentiaires ;
– de communiquer l’ordonnance rendue au directeur de la maison d’arrêt de Meaux, et tout autre établissement pénitentiaire où M. Y pourrait être transféré ;
– mettre à la charge de l’État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
– lui communiquer tout mémoire complémentaire à intervenir dans la procédure ;
M. X fait valoir :
– qu’il est ministre du culte des témoins de Jéhovah et demande depuis février 2006 à bénéficier d’un agrément d’aumônier bénévole ;
– que le tribunal administratif de Paris a, en dernier lieu, enjoint le 17 mai 2013 au directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris de lui délivrer un agrément d’aumônier des établissements pénitentiaires dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement ;
M. X soutient :
– que l’urgence est établie dès lors que le prévenu sera jugé le 18 juin 2013 et a demandé l’assistance spirituelle d’un ministre du culte des témoins de Jéhovah ; qu’il a demandé à bénéficier d’un agrément provisoire le 3 juin 2013 ;
– que ces refus successifs portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de religion, méconnaissent les dispositions législatives sur la liberté de culte ;
Vu, enregistré le 13 juin 2013, le mémoire en défense, présenté par le ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;
le ministre de la justice soutient :
– que l’urgence n’est pas établie ; que le requérant peut en outre demander la délivrance d’un permis de visite afin de rencontrer M. Y qui a le statut de condamné pour des faits pour lesquels il a été placé sous mandat de dépôt le 9 avril 2013 ;
– qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale n’est portée à la liberté de culte ; qu’il n’est pas établi que la demande d’agrément provisoire demandée par M. X et reçue le 3 juin 2013 par la direction interrégionale des services pénitentiaires fera l’objet d’un refus à l’issue du délai de deux mois ; que le délai d’un mois imparti à l’administration par le tribunal administratif le 17 mai 2013 n’est pas écoulé ; que si le requérant rencontre des difficultés d’exécution des précédents jugements rendus en sa faveur, il lui appartient de saisir le juge de l’exécution ;
Vu le mémoire enregistré le 13 juin 2013, présenté pour M. X, par Me Goni, qui maintient les mêmes conclusions par les mêmes moyens ;
M. X soutient en outre que M. Y a été condamné le 10 avril 2013 mais sera jugé le 18 juin 2013 pour conduite d’un véhicule sans permis, selon les dires de sa compagne ; que le permis de visite relève du magistrat instructeur ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme été des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné M. Rouvière, vice-président du tribunal administratif, pour statuer sur les demandes de référé ;
Après avoir convoqué à une audience publique :
– Me Goni, représentant M. X ;
– le garde des Sceaux, ministre de la justice ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 13 juin 2013 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– le rapport de M. Rouvière, juge des référés ;
– Me Goni, représentant M. X ;
– le garde des Sceaux, ministre de la justice ;
Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience, la clôture de l’instruction ;
1 - Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; que l’article L. 522-3 du même code dispose : « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-1 » ; qu’enfin aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire » ;
2 - Considérant qu’aux termes des stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, renseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, et à la protection des droits et libertés d’autrui » ; qu’en outre, il résulte des dispositions des articles 1er, 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État, en premier lieu, que les associations revendiquant le statut d’association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte, en deuxième lieu, qu’elles ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l’acquisition, la location, la construction, l’aménagement et l’entretien des édifices servant au culte ainsi que l’entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l’exercice du culte et, en troisième lieu, que le fait que certaines des activités pourraient porter atteinte à l’ordre public s’oppose au statut d’association cultuelle ; que par ailleurs, aux termes de l’article D. 432 du code de procédure pénale alors applicable : « Chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle. / Il peut à ce titre participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet. » ; qu’aux termes de l’article D. 433 du même code : « Le service religieux est assuré, pour les différents cultes, par des aumôniers désignés par le directeur régional qui consulte à cet effet l’autorité religieuse compétente, et après avis du préfet. / (…) » ; que les articles D. 434 à D. 439 dudit code précisent les conditions dans lesquelles les aumôniers agréés et leurs auxiliaires sont autorisés à intervenir en milieu carcéral, pour organiser des offices et des réunions ou pour s’entretenir, sur place ou par voie épistolaire, avec les détenus ; que la liberté de culte en milieu carcéral s’exerce sous réserve des prérogatives dont dispose l’autorité administrative aux fins de préserver l’ordre et la sécurité au sein des établissements pénitentiaires ;
3 - Considérant que M. X, ministre du culte de l’assemblée des Témoins de Jéhovah, association cultuelle au regard de la loi de 1905, est à ce jour sans réponse à sa demande du 30 mai 2013 auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, en vue de bénéficier d’un agrément provisoire d’aumônier pénitentiaire afin de rencontrer M. Y, incarcéré à la maison d’arrêt de Meaux, qui a sollicité auprès de lui un entretien spirituel pour se préparer à l’audience à laquelle il est convoqué le 18 juin 2013 devant le tribunal correctionnel de Cambrai, comme l’atteste le document remis en audience et contrairement à ce que soutient le ministère de la justice ; que ce refus, qui ne repose, au regard notamment des dispositions précitées, sur aucun motif de fait ou de droit de nature à écarter l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, s’inscrit dans une situation d’urgence avérée, nonobstant la circonstance de l’édiction du jugement du 17 mai 2013 de la juridiction de céans qui a prononcé une injonction sous astreinte de délivrer à M. X l’agrément d’aumônier des établissements pénitentiaires dans un délai d’un mois ;
4 - Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il doit être enjoint à l’administration de délivrer dans un délai de vingt quatre heures à compter de la notification de l’ordonnance, un agrément provisoire d’aumônier pénitentiaire à M. X, en vue d’être à même de rencontrer M. Y ; que dans les circonstances de l’espèce, cette injonction sera assortie d’une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
5 - Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut, même d’office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ;
6 - Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions précitées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l’État une somme de 1 000 euros à verser à M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
ORDONNE
Article 1er : Il est enjoint au ministère de la Justice (directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris) de délivrer à M. X un agrément provisoire d’aumônier des établissements pénitentiaires dans un délai de vingt quatre heures à compter de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 (deux cents) euros par jour de retard.
Article 2 : L’État versera à M. X une somme de 1 000 (mille cents) euros, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. David X et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Copie sera adressée au directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris.
Fait à Paris, le 13 juin 2013.
Le juge des référés,
M. Rouvière
Le greffier,
Mme Thomas