CA Paris, 10 juin 2009
Presse - Diffamation publique - Bonne foi - Immunité parlementaire

- Modifié le 28 mars 2016

COUR D’APPEL DE PARIS

11e chambre, section A

Arrêt du 10 juin 2009

N° 08/06658

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LA PRÉVENTION :

X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sur ordonnance de renvoi du juge d’instruction en date du 30 août 2007, suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée le 19 octobre 2006 sous la prévention de s’être à PARIS, le 20 juillet 2006, en tout cas sur te territoire national et depuis temps non prescrit, rendu complice du délit de diffamation publique envers un particulier, commis à l’occasion de la diffusion d’un reportage diffusé sur la chaîne TF1 dans le journal de 20 heures du 20 juillet 2006, en tenant les propos suivants :

« Les témoins de Jéhovah, je vais vous donner trois exemples où ce sont de parfaits délinquants : se soustraire à l’impôt, condamner des personnes à mort en leur refusant la transfusion sanguine ou couvrir des délits très graves comme la pédophilie, vous voyez bien qu’on ne peut pas seulement s’en remettre à l’opinion publique, mais qu’il y a des lois qui doivent être appliquées »,

lesdits propos étant de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de l’Association Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah, faits prévus et réprimés par les articles 23 ; 29 alinéa 1, 42, 43, 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire,

a renvoyé X... des fins de la poursuite,

a reçu la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France en sa constitution de partie civile et l’a déboutée de ses demandes,

a rejeté la demande du prévenu au titre de l’art. 800-2 du code de procédure pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

Me Y..., substituant Me Z... au nom de la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, le 18 Juillet 2008 contre X...

Par arrêts interruptifs de prescription en date des 24 septembre et 10 décembre 2008, 28 Janvier 2009, l’affaire a été renvoyée au 25 mars 2009 pour plaider.

[...]

DÉCISION :

Devant la cour,

La Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, dite la FCTJF, partie civile appelante, conclut à l’infirmation du jugement, à l’absence de bonne foi du prévenu, à la condamnation de celui-ci à la publication d’un communiqué judiciaire dans quatre publications dans la limite de 5.000 € HT par insertion, à lui payer les sommes de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts et de 10.000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;

Monsieur l’avocat général, non appelant, s’en rapporte à la sagesse de la cour ;

X..., intimé, conclut à l’infirmation du jugement sur l’immunité parlementaire, à l’irrecevabilité de l’action de la FCTJF et, au fond, à sa confirmation ;

En la forme

Considérant que l’appel de la partie civile, interjeté dans les délais et formes requis par la loi, est régulier et recevable ;

Sur les faits

Considérant que le tribunal a complètement et exactement rapporté la procédure, la prévention et les faits et de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément ;

Qu’il suffit de rappeler que lors du journal télévisé de 20 heures le 20 juillet 2006 sur la chaîne TF1, a été diffusé un reportage consacré à un rassemblement de témoins de Jéhovah au stade de LENS, comportant un extrait d’interview de X... incluant les propos suivants :

« Les témoins de Jéhovah, je vais vous donner trois exemples où ce sont de parfaits délinquants : se soustraire à un impôt, condamner des personnes à mort en leur refusant la transfusion sanguine ou couvrir des délits très graves comme la pédophilie, vous voyez bien qu’on ne peut pas seulement s’en remettre à l’opinion publique, mais qu’il y a des lois qui doivent être appliquées. »

Qu’au terme de l’information ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile déposée le 19 octobre 2006 par la FCTJF, X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris sous la prévention de complicité de diffamation publique envers un particulier qui a prononcé une relaxe ;

Sur l’immunité parlementaire

Considérant que X..., député, ancien vice président de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes dont le rapport a été publié le 22 décembre 1995, soutient qu’il doit bénéficier de l’immunité parlementaire prévue par les articles 26 de la Constitution et 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a rejeté cette exception ;

Qu’en effet, le tribunal a justement relevé que les propos, qui n’ont pas été tenus au sein de l’assemblée nationale mais dans le cadre d’une interview par un journaliste, plus de 10 ans après le rapport de la commission d’enquête parlementaire à laquelle il appartenait, ne constituent nullement un compte-rendu fidèle des travaux de cette commission dont les conclusions ne visaient pas spécifiquement la partie civile et n’avaient pas trait aux délits visés par le prévenu dans la déclaration poursuivie ;

Que le tribunal a, de même, exactement constaté que la proposition de résolution de X... en date du 1er avril 2005 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation des enfants hébergés dans des sectes et la question écrite qu’il a posée le 8 novembre 2005 au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur le recouvrement des droits, pénalités et intérêts de retard dûs par les témoins de Jéhovah ne concernent qu’indirectement et partiellement les propos poursuivis ;

Que l’action de la FCTJF est donc parfaitement recevable ;

AU FOND

Considérant que, sur le seul appel de la partie civile, la décision de relaxe est définitive ; qu’il reste à apprécier si X... a commis une complicité de diffamation publique envers un particulier, ouvrant droit à réparation au profit de la partie civile ;

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis

Considérant que X... impute aux témoins de Jéhovah traités « de parfaits délinquants », de « se soustraire à un impôt », de « condamner des personnes à mort en leur refusant la transfusion sanguine » ou de « couvrir des délits très graves comme la pédophilie » ; que ces allégations constituent une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire et portent atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile ;

Que X... ne conteste d’ailleurs pas plus en cause d’appel qu’en première instance le caractère diffamatoire des propos poursuivis ;

Sur la bonne foi

Considérant que X..., qui n’a pas fait notifier d’offre de preuve, excipe de sa bonne foi en soutenant que les quatre conditions habituellement exigées,la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, le sérieux de l’enquête et la prudence dans l’expression, sont réunis en l’espèce ;

Considérant que le tribunal a exactement retenu qu’il était légitime pour X..., interrogé dans le cadre d’un reportage en sa qualité de membre de la commission parlementaire sur les sectes à l’occasion d’un rassemblement de témoins de Jéhovah, d’éclairer le public sur les informations qui avaient pu être recueillies dans le cadre des travaux parlementaires ;

Considérant que les propos poursuivis et les pièces versées aux débats, si ils révèlent l’existence, entre X... et la FCTJF, d’un antagonisme réciproque, ne permettent cependant pas d’établir que X... serait mû par une animosité personnelle à l’encontre de la Fédération ;

Considérant, comme le tribunal, que X... disposait d’une base factuelle suffisante pour s’exprimer, ainsi qu’il l’a fait sur l’apologie du refus des transfusions sanguines prônée par la FCTJF, pouvant conduire à la mort de patients ;

Que les premiers juges ont, à bon droit et par des motifs pertinents que la Cour adopte, accueilli l’excuse de bonne foi au regard de cette imputation ; que la décision de première instance sera donc confirmée ;

Considérant en revanche, sur les deux autres imputations, que X... n’établit pas, par les pièces qu’il produit, qu’il pouvait sans dépasser les limites de la liberté d’expression, tenir les propos qualifiant de « parfaits délinquants » les témoins de Jéhovah au motif qu’ils se soustrairaient à l’impôt et couvriraient le délit de pédophilie ;

Qu’ainsi, les documents produits au titre de l’allégation de « couvrir des délits très graves comme la pédophilie », en l’espèce un arrêt rendu le 19 octobre 1999 par la 3e chambre correctionnelle de la cour d’appel de Montpellier et la condamnation le 7 octobre 2005 par la cour d’assises de la Gironde d’un ex-adepte témoin de Jéhovah mentionnée dans le rapport remis en 2005 au premier ministre par la MIVILUDES de même que ceux pour justifier l’allégation de « se soustraire à un impôt », à savoir l’arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 5 octobre 2004 rejetant le pourvoi formé par la FCTJF contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles ayant rejeté la demande d’annulation de la notification de redressement et de l’avis de mise en recouvrement de sommes dues à l’administration des impôts pour les années 1992 à 1996 ainsi que deux questions écrites posées par des parlementaires les 8 novembre 2005 et 14 février 2006 au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur les sommes dues et déjà versés par les Témoins de Jéhovah, demeurées sans réponse au fond à raison des règles légales du secret édictées au profit des contribuables, n’autorisaient pas X... à se livrer à une généralisation abusive, notamment par l’utilisation du terme « parfaits délinquants » ;

Qu’en effet, d’une part le contentieux opposant l’association Les Témoins de Jéhovah à l’administration fiscale fait l’objet d’un recours devant la cour européenne des droits de l’homme et n’a donné lieu à aucune procédure pénale, d’autre part les documents produits faisant état de deux décisions de justice établissant l’existence de faits criminels ponctuels, ne permettaient pas d’accuser « les témoins de Jéhovah » dans leur ensemble de commettre de graves infractions ;

Considérant, en outre, que le caractère péremptoire et catégorique de ces deux accusations, renforcé par les termes « de parfaits délinquants » dénote une absence suffisante de mesure, et dépasse d’autant plus les limites admissibles en matière de liberté d’expression qu’ils émanent d’un parlementaire spécialiste des dérives sectaires lors d’un journal télévisé à une heure de grande écoute, interrogé à l’occasion d’une polémique publique créée par le rassemblement de très nombreux témoins de Jéhovah dans un stade ;

Considérant, en conséquence, que le fait justificatif de bonne foi ne peut pas être retenu ; que X..., qui a commis une diffamation publique envers la FCTJF, sera condamné à réparer le préjudice subi par cette association ;

Que le jugement sera donc infirmé ;

Considérant que la cour dispose des éléments d’appréciation pour fixer à la somme d’un euro les dommages intérêts alloués à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France ;

Qu’il y a lieu de faire droit partiellement à la demande de publication dans les conditions du dispositif ci-après ;

Considérant que l’équité commande l’application de l’article 475-1 du code de procédure pénale au profit de la FCTJF ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Reçoit l’appel de la partie civile,

Statuant dans les limites de cet appel,

Infirmant les dispositions civiles du jugement,

Dit que X... a commis une diffamation publique ouvrant droit à réparation au profil de la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France,

Reçoit la constitution de partie civile de la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France,

Condamne X... à payer à la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France les sommes d’un euro à titre de dommages-intérêts et de 5.000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

Ordonne la publication, dans un journal au choix de la partie civile et dans la limite de 5.000 € hors taxes, du communiqué suivant :

« Par arrêt du 10 juin 2009, la 11e chambre A de la cour d’appel de Paris a condamné X... à indemniser la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France, à la suite de propos diffamatoires tenus par lui et diffusés dans le journal télévisé de TF1 de 20 H du 20 juillet 2006 ».