Conseil de l’Europe

CEDH, Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France c. France, 6 novembre 2001, n° 53430/99

Article 34 (Victime)

- Modifié le 24 juin

Article 34 Victime

Association se plaignant d’un rapport parlementaire sur les sectes qui aurait, selon elle, déclenché une politique répressive et d’une loi de prévention et de répression des sectes : irrecevable
L’association requérante assure la représentation et la protection juridique des 1149 associations locales implantées en France pour pratiquer le culte des témoins de Jéhovah, lequel constituerait, selon elle, la troisième religion chrétienne du pays. Depuis le premier enregistrement des témoins de Jéhovah, en tant qu’association cultuelle, auprès d’une préfecture en 1906, leur culte s’exerça sans entraves sur le territoire français. En 1995, l’Assemblée nationale créa une commission destinée à enquêter sur les sectes. La commission d’enquête publia un rapport en 1995 (dit rapport Gest/Guyard). Ce document recensait, en se fondant sur une évaluation réalisée par la direction centrale des renseignements généraux, un certain nombre de mouvements qu’il qualifiait de sectes et classait comme dangereux. Les témoins de Jéhovah apparaissaient sur cette liste. Le rapport fut très largement diffusé, tant auprès des pouvoirs publics que du grand public. En 1998, une seconde commission parlementaire fut créée dans le but de poursuivre les investigations entreprises par la première. Elle centra ses travaux sur l’examen de la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes. Le rapport qu’elle publia en 1999 (rapport Guyard/Brard) contient, selon l’association requérante, des affirmations inexactes et diffamatoires à son égard, et en particulier des allégations de fraude fiscale. Les demandes que l’association formula auprès du Président de l’Assemblée nationale, en vue de faire retirer certains passages du rapport, restèrent sans effet. La requérante se plaint que le contenu des rapports aurait entraîné des réactions hostiles aux témoins de Jéhova (campagne de presse hostile, création d’associations de défense, organisation de débats publics sur les sectes etc.) ou des mesures, telles que des décisions de justice en matière civile et de décisions administratives, attentatoires aux droits et libertés ; il en irait ainsi notamment de refus d’autorisation ou de renouvellement d’agréments et de contrôles fiscaux et sociaux de l’URSSAF visant des personnes de cette confession. En juin 2001, une loi « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales » fut adoptée ; elle prévoit notamment la possibilité de dissoudre, sous certaines conditions, une personne morale relevant d’un mouvement sectaire et organise également les modalités d’une répression pénale.

Irrecevable sous l’angle des articles 6 § 1, 9, 13 pris séparément et combinés avec l’article 14 : L’examen des griefs se limitera au rapport de 1999 et à la loi de 2001, car la requête ayant été introduite en décembre 1999, les griefs visant le rapport de 1995 sont tardifs. Il n’est pas acquis que la requérante puisse se prétendre directement affectée par les mesures critiquées, en tant qu’organe fédérateur de tous les témoins de Jéhovah chargé de la protection de leurs intérêts. En tout état de cause, les mesures critiquées qui seraient la conséquence de la publication du rapport d’enquête de 1999 ne sont, pour certaines, pas fondées sur le rapport litigieux et, même lorsqu’il y est fait référence, cette référence constitue un simple obiter dictum, qui ne peut, en aucun cas être considéré comme la ratio legis de la mesure. Du reste, un rapport parlementaire n’a aucun effet juridique et ne peut servir de fondement à aucune action pénale ou administrative. Les décision judiciaires invoquées relevaient notamment du droit civil et portaient sur des faits relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond ; les décisions administratives relatives à l’agrément visaient des situations individuelles et pouvaient faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives. Quant aux contrôles de l’URSSAF, il s’agit de mesures qui peuvent être décidées à l’égard de tous les justiciables et la requérante n’a pas démontré en quoi ces mesures avaient pour objet ou pour effet de violer ses droits garantis par la Convention. S’agissant de la loi adoptée en 2001, faute pour la Cour de pouvoir se prononcer in abstracto sur une législation, elle ne peut exprimer un point de vue sur la compatibilité de ses dispositions avec la Convention ; il ressort de cette loi que la dissolution des sectes qu’elle prévoit ne peut être prononcée que par voie judiciaire et lorsque certaines conditions se trouvent réunies, notamment lorsque les sectes ou leurs dirigeants ont fait l’objet de condamnations pénales définitives pour des infractions limitativement énumérées, ce que la requérante ne devrait normalement pas redouter. Un procès d’intention fait au législateur, soucieux de régler un problème brûlant de société, n’est pas la démonstration de probabilité d’un risque encourue par la requérante. En outre, celle-ci ne saurait sans contradiction se prévaloir du fait qu’elle ne constitue pas un mouvement attentatoire aux libertés, et en même temps prétendre qu’elle serait, au moins potentiellement, une victime de l’application qui pourra être faite de cette loi. Dès lors, la requérante ne saurait se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
Note d’information sur la jurisprudence de la Cour (N° 36 - Novembre 2001)

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