CA Lyon, 21 mars 2011
Autorité parentale - Pratique religieuse - Intérêt de l’enfant

- Modifié le 11 novembre 2023

COUR D’APPEL DE LYON

2e chambre

ARRET DU 21 Mars 2011

R. G : 09/ 02173

APPELANTE :

Mme Y... divorcée X...
née le [...]

représentée par Me [...]

INTIME :

M. X...
né le [...]
Elisant domicile au cabinet de son conseil
[...]

représenté par Me [...]

Par arrêt du 27 mars 2006, la Cour d’Appel de Lyon prononçait le divorce de Monsieur X... et Madame Y..., confiait à la mère l’exercice de l’autorité parentale sur les trois enfants mineurs et fixait leur résidence chez la mère.

Un jugement du 29 janvier 2007 organisait le droit de visite et d’hébergement du père.

Par requête du 17 novembre 2008, Madame Y... saisissait le juge aux affaires familiales pour obtenir que le droit de visite du père s’exerce en lieu neutre, un mercredi sur deux, dans l’attente des résultats d’une enquête sociale et d’une expertise médico-psychologique de la famille et demandait en outre que Monsieur X... verse une pension alimentaire de 600 euros par mois.

Par jugement du 6 février 2009, le juge aux affaires familiales de Lyon statuait sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale, rappelait que la résidence était fixée chez la mère, accordait au père un droit de visite et d’hébergement à l’amiable, et à défaut le premier et le troisième mercredi de chaque mois, de 10 heures à 18 heures, à charge de prendre et de ramener les enfants à leur domicile, fixait la pension alimentaire à la charge du père à 80 euros par enfant et par mois, soit 240 euros au total, cette pension étant indexée.

Madame Y... interjetait appel général de cette décision le 6 avril 2009.

Dans ses dernières conclusions signifiées et déposées le 15 octobre 2009, Madame Y..., demandait l’infirmation de la décision, sollicitait une enquête sociale et une expertise psychologique de Monsieur X..., demandait l’exercice à son seul profit de l’autorité parentale, que le mois d’août soit retranché du dispositif du droit de visite et d’hébergement, de façon à ce qu’elle puisse partir en vacances avec ses enfants, que la remise des enfants le mercredi à 10 heures et à 18 heures se passe devant la gendarmerie de l’Arbresle et sollicitait l’augmentation de la pension à 600 euros par mois, avec indexation.

Elle demandait également la condamnation de Monsieur X... à 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, signifiées et déposées le 13 octobre 2009, Monsieur X... demandait la confirmation de la décision entreprise, sauf sur la question de la pension alimentaire, demandant que la Cour constate qu’il était hors d’état de verser une quelconque contribution.

Il demandait la condamnation de Madame Y... à la somme de 850 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, renonçant alors au bénéfice de l’aide juridictionnelle, ainsi qu’aux entiers dépens.

Le conseil de N..., née le [...] 1998, aînée des trois enfants, sollicitait pour celle-ci la possibilité d’être entendue par la Cour.

Un arrêt avant dire droit était rendu le 2 novembre 2009 pour faire droit à la demande d’audition de l’enfant et organiser une enquête sociale.

L’audition de N... avait lieu le 2 décembre 2009. N... exprimait qu’elle souhaitait voir son père, mais dans un temps et des circonstances limitées, car elle restait inquiète de ses moments d’alcoolisation, notamment pour ses deux frères, plus jeunes, ne se sentant pas tout à fait en sécurité avec lui, même si certains moments avec lui pouvaient être agréables.

L’enquête sociale était rendue le 12 février 2010 ; elle concluait à un élargissement progressif du droit de visite et d’hébergement du père, à la fois pour répondre au désir des enfants d’avoir plus de liens avec leur père, et pour protéger les enfants d’une surprotection maternelle qui pouvait s’avérer préjudiciable pour eux.

Dans ses ultimes conclusions, déposées le 13 septembre 2010, et après avoir pris connaissance du rapport d’enquête sociale, Monsieur X... demandait la confirmation de la décision entreprise, en ordonnant, s’il plaisait à la Cour, d’aménager le droit de visite et d’hébergement selon les conclusions de l’enquêtrice sociale, et d’infirmer la décision en le déclarant hors d’état de s’acquitter d’une pension alimentaire, de condamner Madame Y... à lui verser 850 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à charge pour lui de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, déposées le 26 avril 2010, Madame Y... maintenait ses conclusions précédentes, en demandant toutefois que le droit de visite s’exerce le samedi et non le mercredi, et portait sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de 2 000 à 3 000 euros.

L’ordonnance de clôture intervenait le 15 novembre 2010.

DISCUSSION

Sur le droit de visite et d’hébergement

Attendu qu’il est de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses deux parents et, lorsqu’ils sont séparés, d’entretenir des relations personnelles avec chacun d’eux ;

Attendu que le jugement querellé a organisé un droit de visite pour le père deux mercredis par mois, de 10 heures à 18 heures, à charge pour lui de venir chercher et de ramener les enfants ;

Attendu que l’enquête sociale souligne que les enfants sont en demande par rapport à leur père et souhaiteraient le voir davantage ;

Attendu que N..., dans son audition, témoignait de ce désir, tout en manifestant que les problèmes d’alcoolisation de son père la préoccupaient et qu’elle souhaitait que les rencontres restent limitées ;

Attendu que Madame Y... communiquait le relevé de l’exercice du droit de visite du père depuis le jugement du 6 février 2009 ; qu’il en ressortait que le père se montrait irrégulier dans le respect du calendrier fixé ; qu’en un an, il n’avait vu ses enfants que 6 fois, et à treize reprises, n’avait pas prévenu de sa défection ; que Monsieur X... lui-même se montre taisant sur ces circonstances et soutient rencontrer ses enfants sans aucun incident notable ; qu’il méconnait ainsi les attentes de ses enfants qui supportent mal ses défections non justifiées et le désintérêt qu’elles traduisent de la part de leur père ;

Attendu qu’il écarte ses problèmes d’alcoolisation, comme étant majorés par son ex-épouse et non démontrés ; qu’il a indiqué à l’enquêtrice sociale avoir perdu son permis de conduire après un contrôle de police opéré parce qu’il avait bu sous le coup de l’état de sidération où il se trouvait après la première audience chez le juge aux affaires familiales ; que Madame Y... justifie que celui-ci a été condamné au moins à quatre reprises pour conduite en état d’alcoolémie, et ce, bien avant la séparation du couple (1998, 1999, 2002, 2005), ce qui a fini par provoquer une incarcération de quelques mois en 2005 ; qu’il s’agit donc d’un problème ancien et récurrent ; que deux personnes attestent l’avoir vu ivre le 7 juin 2008 à une fête de l’Ecole de musique où se trouvaient ses enfants ; qu’une autre personne, qui convoyait la mère et les enfants au lieu neutre, indique que Monsieur X... arrivait en retard et s’est trouvé ivre à deux reprises ; que celui-ci, qui reconnaît ne toujours pas disposer de son permis de conduire, ne démontre ni s’être soumis à des soins, ni éventuellement ne plus relever de soins à ce jour ;

Attendu que Madame Y... a pris soin de faire accompagner ses enfants sur le plan psychologique lorsqu’elle l’estimait nécessaire ; que tous les trois ont ainsi eu un suivi, de février 2005 à juillet 2008, dans un Centre médico-psychologique pour aborder les conséquences de la séparation des parents, selon les termes du praticien qui les a reçus une vingtaine de fois ; qu’un autre psychologue, qui les a reçus une fois pour un bilan, en avril 2010, décrit la souffrance de N... devant l’absence de son père, avec des rencontres sporadiques et écourtées, son manque d’intérêt pour ce qui fait son quotidien de jeune fille, et les regrets des deux plus jeunes ;

Attendu que les enfants tirent bénéfice, depuis le mariage de leur mère avec Monsieur B..., d’une reconstruction familiale chaleureuse et attentive, qui leur fait ressentir plus cruellement l’instabilité et la superficialité des relations avec leur père ;

Attendu que Monsieur X... n’a pas su au fil du temps instaurer des liens sécurisants avec ses enfants, apparaissant et disparaissant de leur vie, ne partageant ni leurs préoccupations d’enfant, ni ce qui constitue sa propre vie, puisque ses enfants ignorent, notamment, s’il travaille ou non, s’il vit seul ou non ; que, si les enfants se plaignent de ne pas voir plus souvent leur père, ce n’est pas en raison d’une décision de justice lui réservant un temps insuffisant, mais du seul fait du comportement paternel ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu dés lors d’augmenter le temps de visite de Monsieur X... tant qu’il n’a pas démontré une implication régulière dans la vie de ses enfants et un plus grand respect de leurs personnes ;

Attendu que le principe d’un droit de visite une journée tous les 15 jours sera confirmé, mais que la décision querellée sera réformée pour mieux adapter les modalités aux besoins des enfants et du père ;

Attendu en effet que N... a maintenant classe le mercredi matin ; qu’un exercice du droit de visite le mercredi empêche également l’inscription régulière des enfants dans des activités récréatives et sportives ; que le père serait moins gêné pour la recherche ou la tenue d’un emploi, si le droit de visite s’exerçait le samedi ;

Attendu par ailleurs que la mère ne peut être contrainte de se présenter tous les 15 jours à la gare ou à la gendarmerie de l’Arbresle en ignorant si le père se présentera et à quelle heure ; qu’il doit également lui être réservé la possibilité d’un mois de vacances en été non interrompu par un droit de visite, qui plus est, aléatoire ;

Attendu que le droit de visite de Monsieur X... sera fixé, sauf meilleur accord amiable des parents, le premier et le troisième samedi de chaque mois, à l’exception du mois d’août, de 10 heures à 18 heures, à charge pour lui de venir chercher ses enfants à leur domicile habituel ; qu’en contrepartie, lorsqu’il se sera présenté, Madame Y... aura la charge d’aller rechercher ses enfants à 18 heures devant la gendarmerie de l’Arbresle ;

Attendu que Monsieur X... sera réputé renoncer à son droit de visite s’il ne s’est pas présenté au domicile habituel des enfants dans l’heure impartie, soit à 11 heures au plus tard ; qu’il devra pouvoir justifier, s’il se fait accompagner en voiture ou s’il vient seul en voiture lorsqu’il aura récupéré son permis de conduire, que les enfants peuvent circuler dans les conditions légales de sécurité ;

Sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant

Attendu que, conformément à l’article 371-2 du code civil, chacun des parents doit contribuer à l’entretien et à l’éducation des enfants en proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins des enfants ; que cette obligation ne cesse pas à la majorité ;

Attendu que Monsieur X... ne verse pas la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants mise à sa charge par le jugement querellé ; qu’il a été convoqué le 1er avril 2010 en Maison de justice et du droit pour abandon de famille, sur plainte de Madame Y... ; qu’il s’était alors engagé à régler cette contribution, mais s’en est abstenu ;

Attendu qu’il avait déclaré à l’enquêtrice sociale percevoir 1 000 euros d’allocations chomâge ; qu’il était donc en capacité de pouvoir s’acquitter de cette contribution et de témoigner ainsi de sa participation et de son intérêt pour l’éducation de ses enfants ;

Attendu qu’il ne justifie pas de la recherche d’un emploi ou du fait qu’il en a trouvé un et se borne à demander à être déchargé de toute contribution ;

Attendu que la mère supporte seule la charge financière des enfants, et ce d’autant plus que le droit de visite est épisodique ; qu’elle ne perçoit que les allocations familiales, soit 705 euros, et une allocation logement de 439 euros à déduire du loyer mensuel de 590 euros ; qu’elle est présumée partager celui-ci et les charges communes avec son mari, qui exerce un emploi ;

Attendu que la décision querellée sera confirmée du chef de la contribution de Monsieur X... à l’entretien et à l’éducation de ses enfants ;

Sur l’exercice de l’autorité parentale

Attendu que l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ; qu’elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité de l’enfant pour le protéger dans sa santé, sa sécurité et sa moralité pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne ; que seul l’intérêt de l’enfant peut conduire le juge à prononcer l’exercice exclusif de l’autorité parentale en écartant l’un des deux parents ;

Attendu que les enfants ont toujours vécu avec leur mère depuis la séparation parentale intervenue en 2004 ; que les relations avec le père, pour le plus grand regret des enfants, ne sont pas stables et s’exercent épisodiquement, avec un seul droit de visite ;

Attendu que Monsieur X... se montre très évasif sur ses conditions de vie ; que l’enquête sociale indique qu’il a un nouveau domicile à Lyon dans le 8e arrondissement, depuis janvier 2010, alors que Madame Y... croit savoir qu’il aurait déménagé à Saint-Etienne ; que l’adresse communiquée par Monsieur X... dans ses écritures est à Vénissieux ou chez son conseil ; que rien n’indique que la mère puisse joindre le père de façon certaine si une décision devait être prise à propos des enfants ; que celui-ci n’a aucun lien avec les établissements scolaires de ses enfants ; qu’il se montre également taisant sur ses ressources, revendique de ne pas contribuer à l’entretien de ses enfants et de fait ne verse pas la contribution mise à sa charge, malgré des poursuites pénales ;

Attendu que sa fille déplore qu’il ne manifeste aucun intérêt pour sa vie personnelle et ses aspirations ; que Monsieur X... ne se préoccupe manifestement pas du retentissement psychologique sur ses enfants de son absence d’implication et de ses visites épisodiques ;

Attendu que l’ensemble de son comportement témoigne du peu d’intérêt qu’il porte à ses enfants en tant que personnes ; qu’il ne prend de fait aucune part à leur entretien et à leur éducation, qu’il n’a jamais contribué à une décision commune avec la mère concernant ses enfants, n’ayant aucune communication avec elle ;

Attendu par ailleurs que Madame Y... s’est toujours montrée attentive aux besoins de ses enfants, notamment en prévoyant un accompagnement psychologique pour les aider à surmonter les difficultés de l’absence de leur père ; que ces enfants sont décrits par leurs proches, leurs enseignants et les psychologues comme des enfants intelligents, sociables, adaptés, mais qui pourraient mieux développer leurs capacités s’ils n’étaient pas préoccupés par le comportement paternel ; que l’adhésion de la mère aux Témoins de Jéhovah est plus récente que ne l’indique Monsieur X..., celle-ci ayant reçu le baptême en 2007, et que le réconfort qu’elle trouve dans cette communauté ne paraît pas modifier le cadre de vie des enfants, qui reste très ouvert et diversifié ;

Attendu que Madame Y... est parfaitement à même de prendre toutes décisions utiles dans l’intérêt de ses enfants ; qu’inversement, le retrait du père de la vie de ses enfants, ne lui permettrait pas, s’il était sollicité, de prendre des décisions adaptées et que ces circonstances seraient une source de conflits entre les parents et affaibliraient encore la représentation du père aux yeux des enfants ;

Attendu que la décision querellée sera infirmée et que l’autorité parentale sera exercée par la mère seule ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Attendu qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; que Monsieur X..., partie perdante, devra supporter la charge des dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Après débats hors la présence du public et après en avoir délibéré, statuant en Chambre du conseil, contradictoirement et en dernier ressort,

Réforme le jugement du 6 février 2009 des chefs du droit de visite et de l’exercice de l’autorité parentale,

Et, statuant à nouveau,

Dit que le droit de visite de Monsieur X... sera fixé, sauf meilleur accord amiable des parents, le premier et le troisième samedi de chaque mois, à l’exception du mois d’août, de 10 heures à 18 heures, à charge pour lui de venir chercher ses enfants à leur domicile habituel ; qu’en contrepartie, lorsqu’il se sera présenté, Madame Y... aura la charge d’aller rechercher ses enfants à 18 heures devant la gendarmerie de l’Arbresle,

Attendu que Monsieur X... sera réputé renoncer à son droit de visite s’il ne s’est pas présenté au domicile habituel des enfants dans l’heure impartie, soit à 11 heures au plus tard ;

Attendu qu’il devra pouvoir justifier, s’il se fait accompagner en voiture ou s’il vient seul en voiture lorsqu’il aura récupéré son permis de conduire, que les enfants peuvent circuler dans les conditions légales de sécurité ;

Dit que l’autorité parentale sera exercée exclusivement par Madame Y...,

Confirme le jugement du 6 février 2009 en ses autres dispositions,

Dit n’y avoir lieu à appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur X... à supporter la charge des dépens et autorise Maître [...] à les recouvrer en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.