Tribunal administratif de Pau
3 novembre 2005
N° 0401335
Vu, 1° sous le n° 0401335 la requête, enregistrée le 28 juin 2004, présentée pour M. F. B. élisant domicile par Me Trizac ; avocat au barreau de Paris ;
Mme B. demande que le Tribunal :
– annule pour excès de pouvoir la décision du 19 février 2004 par laquelle le président du conseil général du Gers l’a licenciée ;
– condamne le département du Gers à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2004, présenté par le département du Gers, représenté par le président du conseil général, qui conclut au rejet de la requête ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 décembre 2004, présenté pour Mme B. par Me Trizac, qui conclut aux mêmes fins ;
Vu, 2° sous le n° 0402150 la requête, enregistrée le 30 octobre 2004, présentée pour Mme F. B. élisant domicile par Me Trizac, avocat au barreau de Paris ;
Mme B. demande que le Tribunal :
– condamne le département du Gers ;
– à lui payer une somme de 67 162,40 euros en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal ;
– à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
– ordonne l’exécution provisoire du jugement à venir ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er février 2005, présenté par le département du Gers, représenté par le président du conseil général, qui conclut au rejet de la requête ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 mars 2005, présenté pour Mme B., par Me Trizac, avocat ; Mme B. conclut aux mêmes fins ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2005, présenté par le département du Gers, représenté par le président du conseil général, qui conclut au rejet de la requête ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’action sociale et des familles ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
En application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que le jugement paraissait susceptible d’être fondé sur un moyen soulevé d’office ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 octobre 2005 ;
– le rapport de M. de Saint-Exupéry de Castillon, rapporteur,
– les observations de Me Kaam, substituant Me Trizac, avocat au barreau de Paris, pour Mme B.,
– et les conclusions de M. Faïck, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées n° 0401335 et 0402150 ont le même objet et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que Mme B., assistante maternelle, a été recrutée par contrat en date du 1er août 1983 par le préfet du Gers ; qu’elle a été licenciée, en application des articles L. 773-7 et L. 773-12 du code du travail, par décision du président du conseil général du Gers du 19 février 2004 au motif qu’il était dans l’impossibilité de lui confier la garde d’un enfant ; qu’il ressort des pièces du dossier que par décision du 22 août 2003, le président du conseil général du Gers a retiré un enfant de la garde de Mme B. au motif notamment de son adhésion au mouvement des témoins de Jéhovah ; que, par lettre du 10 septembre 2003, cette même autorité a demandé à la requérante de ne plus adhérer à ce mouvement sous peine de retrait de son agrément d’assistante maternelle ; que Mme B. a été convoquée le 29 septembre 2003 par le président du conseil général du Gers afin de se présenter le 23 octobre 2003 devant la commission consultative paritaire départementale des assistantes maternelles en vue d’examiner la question du maintien de l’agrément d’assistante maternelle détenu par l’intéressée compte tenu de son appartenance au mouvement précité ; que cette convocation a été en définitive annulée le 15 octobre 2003 après introduction du recours présenté par Mme B. le 6 octobre 2003 auprès du Tribunal de céans aux fins de suspension de l’exécution de la décision précitée du 22 août 2003 ; que, par lettre du 10 septembre 2003, ledit président a informé la requérante de son intention de la licencier compte tenu de l’impossibilité de lui confier à cette date un enfant ; que, toutefois, Mme B. s’est vu confier la garde d’enfants sans interruption depuis son agrément d’assistante maternelle obtenu le 12 janvier 1983, jusqu’au 22 août 2003 ; qu’enfin, le département du Gers ne justifie pas de son impossibilité de confier à l’intéressée un enfant alors qu’aucune pièce du dossier ne démontre ni une insuffisance professionnelle de cette dernière, ni un éloignement trop important de son domicile par rapport à celui des familles des enfants concernées, ni qu’elle aurait fait du prosélytisme à l’égard de ces enfants et que son agrément d’assistante maternelle a été maintenu ; que, dès lors, dans les circonstances de l’espèce, Mme B. doit être regardée comme ayant été licenciée par le département du Gers en raison de ses convictions religieuses ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir et à en demander l’annulation ;
Sur les conclusions à fin indemnitaire :
Sur les fins de non recevoir opposées par le département du Gers :
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que par lettre du 30 juin 2004, Mme B. : a déposé auprès du département du Gers une demande indemnitaire en réparation du préjudice subi par la décision du président du conseil général du 19 février 2004 qui a prononcé son licenciement ; que cette demande préalable a eu pour effet de lier le contentieux ; qu’en tout état de cause, les présentes conclusions, dont le contenu est identique à celui de cette demande, n’avaient pas à être dirigées nécessairement contre une décision ;
Considérant, en second lieu, qu’il résulte des précédentes conclusions à fin d’annulation que le président du conseil général du Gers n’était pas tenu de prendre sa décision du 19 février 2004 ; qu’en tout état de cause, les conclusions à fin indemnitaire consécutives à une décision prise par une autorité en situation de compétence liée ne sont pas, par principe, irrecevables ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que les fins de non recevoir opposées par le département du Gers doivent être rejetées ;
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant que l’illégalité de la décision du président du conseil général du Gers du 19 février 2004 constitue une faute de nature à engager la responsabilité du département du Gers ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant qu’aux termes des alinéas 3 et 4 de l’article L. 773-12 du code du travail, applicable par renvoi de l’article L. 422-1 du code de l’action sociale et des familles
« L’employeur qui n’a pas confié d’enfant à une assistante maternelle pendant une durée de trois mois consécutifs est tenu de lui adresser la lettre recommandée prévue par l’article L. 773-7 du présent code. L’employeur ne peut toutefois adresser cette lettre qu’après avoir convoqué par écrit et reçu l’assistante maternelle à un entretien au cours duquel il lui indique le motif pour lequel il ne lui confie plus d’enfant » ; que l’article L. 773-7 du code du travail rajoute « L’employeur qui décide de ne plus confier d’enfant à une personne relevant du présent chapitre qu’il employait depuis trois mois au moins doit notifier à l’intéressée sa décision par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La date de présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du délai-congé éventuellement du en vertu de l’article L. 773-8 ou L. 773-13 ci-après ; L’inobservation de ce délai-congé donne lieu au versement d’une indemnité compensatrice » ;
Considérant, en premier lieu qu’à supposer que la décision de licenciement de Mme B. n’ait pas été précédée de l’entretien préalable prévu par les dispositions précitées, cette irrégularité, qui ne constitue qu’un vice de procédure, ne peut donner lieu à réparation ;
Considérant, en deuxième lieu, que la lettre prévue par l’article L. 773-7 du code du travail précité, que Mme B. prétend n’avoir par reçue, est la décision attaquée ; qu’il n’est pas contesté que le délai-congé prévu par ces dispositions a été observé ; que, par suite, la requérante n’est pas fondée à soutenir qu’elle peut prétendre au versement d’une indemnité compensatrice au titre de ces mêmes dispositions ;
Considérant, en troisième lieu, que si Mme B. ne peut prétendre, en l’absence de service fait, au paiement des rémunérations dont elle a été privée depuis son éviction illégale, elle est toutefois fondée à demander la condamnation du département du Gers à réparer le préjudice qu’elle a subi à raison de son licenciement ; qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, Mme B. s’est vue confier la garde d’enfants sans interruption depuis le 12 janvier 1983 jusqu’à la date de son licenciement ; qu’elle a ainsi perdu une chance sérieuse de conserver son emploi jusqu’à la date de notification du présent jugement ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par l’intéressée en condamnant le département du Gers à lui verser la somme de 23 000 euros ;
Considérant, en quatrième lieu, que Mme B. a été licenciée par le département du Gers pour un motif étranger à celui tenant à la valeur professionnelle de l’intéressée ou aux conditions d’accueil des enfants dont cette dernière avait la garde ; que le département lui a ainsi causé un préjudice moral qui sera justement réparé par la somme de 3 000 euros ;
Considérant, en dernier lieu, que la décision de licenciement de Mme B. doit être annulée ; que, par suite, la requérante ne peut prétendre au versement de l’indemnité prévue par l’article L. 773-15 du code du travail à laquelle a droit une assistante maternelle en cas de licenciement pour un motif autre qu’une faute grave ;
En ce qui concerne les intérêts :
Considérant que Mme B. a droit aux intérêts de la somme de 26 000 euros à compter du 30 octobre 2004, date d’enregistrement de sa requête, et à partir de laquelle la requérante a demandé qu’ils lui soient versés ;
Sur les conclusions à fin d’exécution provisoire du présent jugement :
Considérant qu’il n’appartient pas au Tribunal de faire exécuter provisoirement le présent jugement ; que les présentes conclusions sont, dès lors, irrecevables et doivent, par suite, être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le département du Gers à payer à Mme B. une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : La décision du président du conseil général du Gers en date du 19 février 2004 est annulée.
Article 2 : Le département du Gers est condamné à verser à Mme F. B. la somme de 26 000 euros (vingt-six mille euros), cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2004.
Article 3 : Le département du Gers versera à Mme F. B. une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 0402150 de Mme F. B. est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme F. B. et au département du Gers.