Conseil d’Etat
statuant
au contentieux
N° 284297
Inédit au recueil Lebon
10EME ET 9EME SOUS-SECTIONS REUNIES
M. Stirn, président
M. Edouard Geffray, rapporteur
Mme Mitjavile, commissaire du gouvernement
BLONDEL, avocat
lecture du lundi 3 juillet 2006
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le numéro 284297, le recours, enregistré le 19 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 16 juin 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, sur la requête de l’association « Les témoins de Jéhovah de France », a 1) annulé le jugement du 6 décembre 2001 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande d’annulation de la décision implicite du ministre refusant la communication des documents détenus par la direction centrale des renseignements généraux et auxquels fait référence le rapport n° 2468 du 22 décembre 1995 de l’Assemblée nationale classant l’association « Les témoins de Jéhovah de France » parmi les sectes et 2) ordonné avant-dire droit, tous droits et moyens des parties réservés, la production par le MINISTRE à la 5e chambre de la cour administrative d’appel chargée de l’instruction de l’affaire, de ces documents, cette communication devant intervenir dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision ;
2°) statuant au fond, de rejeter la demande de l’association « Les témoins de Jéhovah de France » ;
Vu 2°), sous le numéro 289004, le recours, enregistré le 13 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 1er décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé la décision implicite du MINISTRE refusant de communiquer à l’association « Les témoins de Jéhovah de France » les documents la concernant émanant de la direction centrale des renseignements généraux et auxquels fait référence le rapport d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale n° 2468 relatif aux sectes rendu public le 10 janvier 1996, et a enjoint au ministre de communiquer à l’association « Les témoins de Jéhovah » les documents demandés dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt ;
2°) statuant au fond, de rejeter la demande présentée par ladite association ;
Vu 3°), sous le numéro 289005, le recours, enregistré le 13 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE demande au Conseil d’Etat d’ordonner le sursis à exécution de l’arrêt du 1er décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé sa décision implicite refusant de communiquer à l’association Les Témoins de Jéhovah les documents la concernant émanant de la direction centrale des renseignements généraux et auxquels fait référence le rapport d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale n° 2468 relatif aux sectes rendu public le 10 janvier 1996 et l’a enjoint de communiquer ces documents à l’association ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu l’ordonnance n° 58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses mesures d’ordre administratif, social et fiscal ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Edouard Geffray, Auditeur,
– les observations de Me Blondel, avocat de l’association les témoins de Jéhovah de France,
– les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les recours susvisés du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE présentent à juger la même question ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978, dans sa rédaction alors en vigueur : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens du présent titre, tous dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, avis, prévisions et décisions, qui émanent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes de droit public ou privé chargés de la gestion d’un service public. (…) Ne sont pas considérés comme documents administratifs, au sens du présent titre, les actes des assemblées parlementaires(…) » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même loi : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. » ; que l’article 6-IV de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose : « Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’association « Les témoins de Jéhovah de France » a sollicité du MINISTRE DE L’INTERIEUR, le 22 mars 2000, la communication des documents concernant les Témoins de Jéhovah et émanant de la direction centrale des renseignements généraux auxquels fait référence le rapport d’enquête parlementaire n° 2468 relatif aux sectes rendu public le 10 janvier 1996 ; qu’à la suite du refus implicite opposé par le MINISTRE, l’association a saisi la commission d’accès aux documents administratifs, qui a rendu le 20 octobre 2000 un avis défavorable à la communication des documents demandés ; que l’association a alors saisi le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté, par un jugement en date du 7 décembre 2001, sa demande tendant d’une part à l’annulation de la décision implicite par laquelle le MINISTRE DE L’INTERIEUR a refusé de lui communiquer les documents sollicités, et d’autre part à la communication de ces documents ; que saisie d’un appel contre ce jugement par l’association, la cour administrative d’appel de Paris a, par un arrêt du 16 juin 2005, annulé le jugement du tribunal administratif et ordonné au MINISTRE, avant-dire droit, de produire les documents litigieux ; qu’à la suite de la production de ces documents, par un arrêt du 1er décembre 2005, elle a d’une part, annulé la décision du MINISTRE refusant de communiquer à l’association « Les témoins de Jéhovah de France » les documents sollicités et d’autre part, a enjoint au MINISTRE de communiquer les documents sollicités dans un délai d’un mois ; que le MINISTRE a saisi le Conseil d’Etat de deux pourvois en cassation dirigés respectivement contre ces deux arrêts, ainsi que d’un recours tendant au sursis à exécution de l’arrêt du 1er décembre 2005 ;
Sur le recours n° 284297 :
Considérant que pour demander l’annulation de l’arrêt du 16 juin 2005 par lequel la cour administrative d’appel a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et ordonné, avant-dire droit, la production des documents sollicités, le MINISTRE soutient que les documents litigieux ont été élaborés à la demande et pour le compte de la commission d’enquête parlementaire, et constituent, par suite, des informations relatives aux travaux non publics de la commission d’enquête, qui ne peuvent être regardées comme des documents administratifs au sens des dispositions précitées de la loi du 17 juillet 1978 ;
Mais considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les services de la direction centrale des renseignements généraux ont rédigé les documents initiaux à partir desquels ils ont préparé le dossier transmis à l’Assemblée nationale à l’occasion des travaux de la commission parlementaire relative aux sectes en France ; que ces documents, qui étaient également destinés à réactualiser les dossiers détenus par l’administration, n’ont pas été recueillis par cette dernière pour les seuls travaux de la commission parlementaire, mais font l’objet d’une utilisation, dans le cadre de ses missions, par la direction centrale des renseignements généraux, qui en reste le détenteur ; que par suite, de tels documents ne sauraient être regardés comme des documents parlementaires au sens de l’ordonnance du 17 octobre 1958 précitée ; que dès lors, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que les documents litigieux avaient le caractère de documents administratifs au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 ; que le MINISTRE n’est donc pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt du 16 juin 2005 ;
Sur le recours n° 289004 :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du recours ;
Considérant que pour demander l’annulation de l’arrêt du 1er décembre 2005, le MINISTRE soutient que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en estimant que les documents litigieux étaient des documents administratifs ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la cour, ce faisant, n’a pas commis d’erreur de droit ;
Considérant que le MINISTRE soutient, à titre subsidiaire, que seul le rapport transmis par la direction centrale des renseignements généraux à la commission d’enquête peut être communiqué à l’association « Les témoins de Jéhovah en France » ; qu’il ressort du dispositif de l’arrêt attaqué que la cour a enjoint au ministre de communiquer les « documents émanant de la direction centrale des renseignements généraux et auxquels fait référence le rapport d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale » ; que ce faisant, elle n’a pas enjoint au MINISTRE de communiquer d’autres documents que ceux transmis par l’administration à la commission d’enquête ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt du 1er décembre 2005 ;
Sur les conclusions tendant au sursis à exécution de l’arrêt du 1er décembre 2005 :
Considérant que la présente décision rejette les conclusions du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE tendant à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 1er décembre 2005 ; qu’il n’y a plus lieu, dès lors, de statuer sur la requête n° 289005 tendant à ce qu’il en soit prononcé le sursis à exécution ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’association « Les témoins de Jéhovah de France » de la somme globale de 3500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les recours n°s 284297 et 289004 du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE sont rejetés.
Article 2 : Il n’y a plus lieu de statuer sur le recours n° 289005 du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE.
Article 3 : L’Etat versera à l’association Les témoins de Jéhovah de France une somme de 3500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE et à l’association Les témoins de Jéhovah de France.