Projet de loi

Le Sénat corrige le projet de loi pour lutter contre les dérives sectaires
Sénat, 19 décembre 2023

- Modifié le 4 avril

Dans la soirée du 19 décembre 2023, le Sénat a adopté en première lecture le texte modifié du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, pour lequel le gouvernement a engagé la procédure accélérée.

L’exposé des motifs [1] met en avant la nécessité de faciliter et de renforcer les poursuites pénales, de permettre à davantage d’associations de se constituer partie civile, mais encore de sanctionner les pratiques dangereuses pour la santé des personnes. Le texte prévoit également la possibilité d’impliquer la Miviludes dans les procédures pénales en tant qu’amicus curiae.

Remaniement du texte par les sénateurs

Hémicycle du Sénat au Palais du Luxembourg
(Soleil1409 – CC By-SA)

Le texte a été fortement remanié par la commission des lois, dont la rapporteure a souligné qu’elle « regrette en particulier que le Gouvernement ait tenu à maintenir certaines dispositions en dépit d’un avis négatif du Conseil d’État soulevant selon le cas l’absence de nécessité de légiférer ou les risques constitutionnels pesant sur certaines dispositions [2] ».

Ainsi ont été supprimés les articles 1er et 2, l’un créant un délit « de placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique » et l’autre introduisant une circonstance aggravante de « sujétion psychologique ou physique » pour de nouveaux crimes et délits.

En effet, « l’article 222-33-2-2 du code pénal relatif au harcèlement [...] réprime déjà de manière particulièrement complète les comportements que la nouvelle infraction entend viser [3] ». De plus, par sa portée potentiellement plus large que les seules dérives sectaires, ce texte « reviendrait dès lors à sanctionner tout type “d’emprise” de manière générique, quelle qu’en soit l’origine - religieuse, idéologique, conjugale, familiale etc. - et parfois de manière moins sévère que pour des incriminations existantes [4] ».

De même, l’article 4 ajoutant au code pénal un nouveau délit de « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical » ou de « provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique », au risque d’entrainer des conséquences graves pour la santé physique ou psychique des personnes, a été écarté.

Malgré des modifications par le gouvernement prenant en compte les critiques du Conseil d’État, la commission a constaté que cet article « demeure attentatoire aux libertés sans garantie d’une grande efficacité contre l’essor du discours en faveur des dérives sectaires [5] ».

Par ailleurs, l’article 1er A a été ajouté pour conférer un statut législatif à la Miviludes, qui est actuellement instituée par un simple décret présidentiel depuis 2002 [6].

Avis du Conseil d’État

Dans son avis du 9 novembre 2023 [7], le Conseil d’État avait estimé au sujet de l’article 4 que « ni la nécessité, ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées » et donc proposé au gouvernement de ne pas retenir ces dispositions.

Outre l’existence de plusieurs dispositions pénales permettant déjà de réprimer les faits commis par une personne en relation directe avec une autre, il avait rappelé que « la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte » relève de « l’exercice de la liberté d’expression, protégée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 ».

Il s’était aussi appuyé sur la jurisprudence européenne dans l’affaire Témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie (CEDH, 10 juin 2010) à propos de la liberté de choix des patients :

« Il souligne que la Cour européenne des droits de l’Homme déduit également de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales la liberté d’accepter ou de refuser un traitement médical spécifique, ou de choisir un autre type de traitement, qui est essentielle à la maîtrise de son propre destin et à l’autonomie personnelle, en l’absence de pressions inappropriées (cf. CourEDH, arrêt n° 302/02 du 10 juin 2010). »

Dans une interview publiée le 13 décembre 2023, Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’État chargée de la Ville et de la Citoyenneté à l’origine de ce projet de loi avec le ministre de l’Intérieur, a d’ailleurs clairement mis hors de cause les Témoins de Jéhovah sur cette question :

« A l’inverse, notre texte ne s’appliquera pas aux Témoins de Jéhovah, qui prônent pour eux-mêmes l’interdiction des transfusions sanguines. Ce sont leurs préceptes, mais ils ne disent pas à la population générale d’arrêter les transfusions au motif que ce serait bon pour la santé. Nous sommes là dans la liberté de conscience, et nous n’y portons pas atteinte [8]. »

Les amendements déposés pour réintroduire les articles supprimés ou une version adaptée de l’article 4 dans le texte de la commission ont été rejetés, lors de la discussion en séance publique du 19 décembre 2023 [9].

Inquiétudes internationales

Avant l’adoption de cette version modifiée, la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale avait exprimé son inquiétude à propos des conséquences que le projet de loi initial et les amendements proposés pouvaient avoir sur la liberté religieuse [10].

De même, Massimo Introvigne avait dénoncé la volonté du gouvernement de créer deux nouveaux délits [11], qui n’ont pas été maintenus par le Sénat : la provocation à abandonner ou à ne pas entreprendre un traitement médical nécessaire et le placement dans un état de « sujétion psychologique ».

Ce docteur en droit et sociologue des religions expliquait en particulier que le simple fait que « les croyances et les pratiques [soient] non conventionnelles ou impopulaires » suffit généralement à conclure que les victimes ont forcément « été placées dans un état de “sujétion psychologique” ». Tout cela risquerait de provoquer de graves violations de la liberté de religion ou de conviction en France.