À la suite d’une plainte déposée en 2015 par un ancien témoin de Jéhovah, le parquet de Gand (Belgique) avait poursuivi l’ASBL Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah pour incitation à la discrimination à l’encontre de ses ex-membres.
La condamnation de l’association en première instance par le Tribunal correctionnel de Flandre orientale (division de Gand) avait été largement médiatisée et relayée par les organismes antisectes.
Cependant, la Cour d’appel de Gand avait acquitté l’association belge le 7 juin 2022, en s’appuyant sur la liberté de religion, consacrée par l’article 19 de la Constitution belge et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme [1].
Dans un arrêt bien étayé, la chambre correctionnelle avait conclu qu’elle ne constatait aucun comportement des Témoins de Jéhovah à l’égard des membres excommuniés « qui peut être considéré comme une incitation à la discrimination, à la ségrégation, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe visée à l’article 22, 1°, 2°, 3° et 4° de la loi anti-discrimination [2] ».
Le 19 décembre 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des parties civiles, dont le centre interfédéral de lutte contre les discriminations UNIA, conformément à une jurisprudence déjà bien établie en Belgique [3].
Après avoir souligné que les droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Constitution priment sur les dispositions pénales nationales, elle a confirmé que la liberté de religion peut être restreinte seulement si les mesures restrictives sont justifiées et proportionnées au but poursuivi.
Ainsi en est-il de l’éventuelle application des dispositions pénales de la loi anti-discrimination aux lignes directrices émises par la communauté religieuse, ainsi qu’aux comportements des fidèles motivés par leurs convictions religieuses. Une telle restriction de la liberté de religion des accusés doit être proportionnée au but poursuivi par le législateur, à savoir décourager les actes discriminatoires ou l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence.
L’arrêt de la Cour de cassation a conclu que le juge du fond avait justifié juridiquement sa décision sur les différents moyens avancés par les parties civiles.
D’une part, l’instruction pénale ne démontrent pas que la politique d’évitement aurait une portée concrète au point d’affecter illégalement la libre volonté des Témoins de Jéhovah de quitter la communauté religieuse, ni qu’elle encouragerait la rupture des liens de filiation ou d’affinité proches, comme entre parents et enfants ou entre époux, ce qui entrerait dans le cadre du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne et par l’article 22 de la Constitution.
D’autre part, l’émission et le respect des directives concernant les interactions sociales ordinaires entre les membres d’une communauté religieuse et des tiers, avec lesquels il n’existe pas de liens familiaux étroits, sont des pratiques protégées par l’article 9 de la Convention européenne, dans la mesure où ces directives se limitent à décourager fortement de tels contacts et à les qualifier de pécheurs, sans toutefois inciter à des actes manifestement illicites, tels que le harcèlement, les menaces ou l’intimidation des anciens membres.
En fait, soulignait l’arrêt de la cour d’appel, cette politique d’évitement conduit tout au plus à un isolement social à l’égard des seuls membres de la communauté religieuse et non à un isolement social généralisé. D’autant plus que les Témoins de Jéhovah constituent une petite minorité religieuse d’environ 26 000 fidèles dans toute la Belgique.
La Cour d’appel de Gand a donc correctement établi que la politique d’évitement en cause ne porte pas illégalement atteinte aux droits des demandeurs garantis par les articles 8 et 9 de la Convention européenne ou par les articles 19 et 22 de la Constitution belge. Elle a d’ailleurs expliqué que ces mêmes articles assurent à chacun le droit de décider librement avec qui il souhaite entretenir ou non des contacts sociaux.
La deuxième chambre de la Cour de cassation a conforté le raisonnement détaillé du juge du fond et a donc condamné les demandeurs aux dépens.
« Les Témoins de Jéhovah sont reconnaissants envers les plus hautes institutions juridiques de Belgique d’avoir pu laver leur nom et leur réputation », a déclaré le porte-parole de l’association, Louis De Wit.