Projet de loi

L’Assemblée nationale adopte le projet de loi contre les dérives sectaires
Assemblée nationale, 14 février 2024

- Modifié le 9 avril

Le 14 février 2024, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, après avoir réintroduit les deux nouveaux délits prévus par le gouvernement mais supprimés par le Sénat [1].

Des articles controversés

En effet, le Sénat a écarté l’article 1er du projet de loi, qui prévoyait notamment un nouveau délit « de placer ou maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique », pour des « raisons d’absence de nécessité et de cohérence du droit pénal [2] ».

Quant à l’article 4, visant à réprimer pénalement la « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical », c’est le Conseil d’État qui proposait de ne pas le retenir dans le projet de loi, avec plusieurs arguments juridiques développés dans son avis [3] :

  • les dispositions pénales existantes « couvrent d’ores et déjà amplement les faits visés », de même que les sanctions ordinales pour les professionnels de la santé ;
  • « la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte » doivent être garantis, tout comme la liberté d’expression dans son ensemble ;
  • l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme protège « la liberté d’accepter ou de refuser un traitement médical spécifique, ou de choisir un autre type de traitement, qui est essentielle à la maîtrise de son propre destin et à l’autonomie personnelle, en l’absence de pressions inappropriées », comme l’a énoncé la Cour européenne dans son arrêt Témoin de Jéhovah de Moscou c. Russie du 10 juin 2010 [4].

Une adoption forcée de l’article 4

Façade du Palais Bourbon
Crédits : (Num – CC By-SA)

Le 13 février 2024, l’article 1er amendé a été adopté sans difficulté lors des débats en séance publique à l’Assemblée nationale [5].

En revanche, l’article 4 a d’abord été rejeté lors d’une première délibération, à la suite de l’adoption à 116 voix contre 108 des amendements identiques le supprimant [6].

Le lendemain, des rappels au règlement ont été apportés par des députés, après avoir appris dans les médias qu’une seconde délibération était prévue pour l’article 4 [7].

En effet, l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale dispose :

« Les textes qui font l’objet de la seconde délibération sont renvoyés à la commission, qui doit présenter, par écrit ou verbalement, un nouveau rapport [8]. »

Après un débat houleux pour sa seconde délibération, l’article 4 a finalement été voté à 182 voix contre 137 dans une version remaniée par la rapporteure de la commission, qui tiendrait ainsi compte de l’avis du Conseil d’État et des craintes exprimées par les parlementaires [9].

Des dispositions inquiétantes

Cependant, les quatrième et cinquième alinéas censés remédier au respect du droit au consentement se montrent ambigus et laissent des doutes sur leur utilité. Car même si une « information claire et complète quant aux conséquences pour la santé » a été fournie et « la volonté libre et éclairée de la personne » n’est pas remise en cause, cela ne suffira pas : « les délits [...] peuvent ne pas être constitués ». Pire, évoquer la notion floue d’« état de sujétion psychologique ou physique » permettra de présumer la première condition non remplie.

Eileen Barker, professeur émérite de sociologie et fondatrice de l’organisme britannique d’information sur les minorités religieuses et sectes INFORM, s’inquiète de la logique qui ressort cette version du projet de loi :

« D’un autre côté, il y a les États qui prétendent protéger leurs citoyens d’un préjudice potentiel “avant” qu’un acte criminel ne soit perpétré. Cette dernière approche tend à se retrouver dans certains des États les plus totalitaires, tels que la Russie et la Chine, mais aussi, semble-t-il, en France, qui a adopté une loi destinée à protéger ses citoyens des dommages potentiels causés par des groupes présentant des “dérives sectaires” [...] Cela signifie non seulement que le comportement d’une religion, qualifié de “secte”, peut être considéré comme criminel en droit alors que le même acte accompli par un groupe considéré comme une “religion” peut être parfaitement légal, mais aussi que les “sectes” peuvent être légalement condamnées avant d’avoir fait quoi que ce soit d’autre d’illégal que d’être qualifiées de “secte” [10]. »

Après avoir expliqué pourquoi les concepts de « sujétion psychologique » et de « manipulation mentale » ne sont pas pertinents et ne reposent pas sur des bases scientifiques, y compris dans le domaine de la psychologie, elle conclut que ce projet de loi « pourrait constituer une menace sérieuse pour la France en tant que société démocratique ».