Après avoir examiné ses comptes et sa gestion sur une période de cinq ans (2018-2022), la Cour des comptes a constaté de nombreuses défaillances dans l’organisation du secrétariat général du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (SG-CIPDR), dans la réalisation de ses missions et surtout dans la gestion des subventions publiques.
Le 4 mars 2024, la juridiction financière a publié son référé, son rapport d’observations définitives, ainsi que les réponses du Premier ministre et des responsables du CIPDR. Le communiqué de presse a bien résumé la situation :
« Au regard de l’ampleur des défaillances, de la nature des politiques conduites et de leur caractère interministériel, la Cour a transmis le 22 décembre 2023 un référé à la Première Ministre [1] ».
Au printemps 2023, plusieurs enquête journalistiques avaient dénoncé la gestion opaque du « fonds Marianne », financé à partir du Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD), par le secrétariat général du CIPDR et par le cabinet de la ministre déléguée à la Citoyenneté.
Le scandale avait conduit à la saisine de l’Inspection générale de l’administration [2] et à la constitution d’une commission d’enquête au Sénat [3]. Une information judiciaire a même été ouverte par le Parquet national financier (PNF) pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts », mais l’instruction est encore en cours [4].
Cependant, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, a précisé lors d’une conférence de presse que le contrôle du SG-CIPDR avait été programmé en 2022 et que cette affaire fortement médiatisée « n’a en rien affecté, entravé ou au contraire orienté notre travail de contrôle [5] ».
Tout d’abord, les « sages » relèvent l’activité très limitée des instances interministérielles : « malgré l’importance et la diversité des missions qui lui sont confiées, le comité interministériel joue un rôle quasiment inexistant [6] ».
En effet, seuls trois comités interministériels ont été tenus sur les cinq années contrôlées (2018-2022). De même, le conseil scientifique s’est très rarement réuni depuis son installation et ses membres n’ont pas été renouvelés en 2021.
Alors que le décret du 17 janvier 2006 instituant le comité interministériel prévoit la transmission d’un rapport annuel au Parlement, il n’y en a pas eu depuis 2015.
Par ailleurs, un autre problème est soulevé : l’absence de statut juridique pour le secrétariat général, sur lequel doit s’appuyer le secrétaire général pour mener ses missions qui ont été élargies au cours du temps.
Les magistrats financiers trouvent également insuffisantes l’organisation de la structure interministérielle et sa gestion des ressources humaines, avec un organigramme confus, y compris dans le positionnement « ambigu » de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), et « des liens hiérarchiques peu convaincants [7] ».
Enfin, la gestion des crédits du Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD) est jugée « gravement défaillante », selon le communiqué de presse. Et comme le souligne le référé du 22 décembre 2023, l’affaire du « fonds Marianne » n’était qu’une partie d’un problème plus global :
« Le caractère systémique de ces défaillances, qui dépassent le seul cas du Fonds Marianne qui a fait l’objet d’un rapport de la commission d’enquête du Sénat, démontre l’absence de maîtrise par le SG-CIPDR d’une de ses missions essentielles [8]. »
Dans ses observations définitives du 27 novembre 2023, la Cour des comptes détaille ces anomalies, que l’on retrouve pareillement dans la gestion des appels à projet spécifiques à la « Lutte contre les dérives sectaires » :
« Le lancement d’appels à projet en 2021 a fait l’objet d’une préparation insuffisante. Ainsi, l’appel à projets “Lutte contre les dérives sectaires” a conduit à instruire dans des délais très courts 29 dossiers, alors que la Miviludes n’avait accordé en 2020 qu’une seule subvention [9]. »
Comme pour le « fonds Marianne », des documents obligatoires manquent dans de nombreux dossiers d’appels à projets de la Miviludes, non seulement au stade de l’attribution des subventions (pour 2021 et 2022), tels que les états financiers [10], mais encore dans le suivi de l’exécution de la subvention par les bénéficiaires (pour 2021), notamment les états financiers approuvés de l’exercice de versement de la subvention ou le rapport d’activité [11].
La Cour des comptes formule en conséquence trois recommandations :
- réunir plus régulièrement le pilotage interministériel,
- doter le secrétariat général du CIPDR d’un statut juridique et préciser ses relations avec la Miviludes,
- remettre en ordre la gestion des crédits centraux du FIPD.
En outre, Pierre Moscovici a indiqué que plusieurs faits seront examinés par la chambre du contentieux, créée en 2023 au sein de la Cour des comptes afin de « juger ce type de manquements aux règles de la gestion publique » :
« La gravité de certains faits a mené la Cour à les déférer au Parquet général près la Cour des comptes. […] Le Procureur général a pris un réquisitoire sur certains de ces faits, qui ont été transférés à la chambre du contentieux [12]. »
Dans sa réponse au référé datée du 28 février 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a déclaré à propos du statut du CIPDR qu’« il pourrait être envisagé de créer une délégation interministérielle placée par délégation du Premier ministre auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer » et que son lien avec la MIVILUDES « sera explicité dans le décret de création [13] ».
De plus, « une politique rénovée de gestion sera mise en œuvre dans la nouvelle entité » et « il est également envisagé de clarifier les règles d’emploi du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ».