Droit international

Espagne : El Mundo condamné à publier un droit de réponse des Témoins de Jéhovah
TPI Torrejón de Ardoz, 2 octobre 2023

- Modifié le 21 octobre

Le journal El Mundo a été condamné par le Tribunal de première instance n° 1 de Torrejón de Ardoz en Espagne à insérer un droit de réponse de l’association des Témoins de Jéhovah à la suite d’un article publié en novembre 2022.

À cette fin, sa décision du 2 octobre 2023 a constaté que l’article litigieux a reproduit des allégations erronées d’anciens membres, ce qui « a généré des dommages vérifiables » aux fidèles.

Assemblée régionale des Témoins de Jéhovah à Barcelone en 2018
(Mabafe83 – CC By-SA)

Examinant en premier lieu les dommages provoqués, le jugement a relevé que « le titre même de l’article contient le terme “secte” qui a incontestablement des connotations négatives à l’égard de n’importe quelle religion ». De plus, les histoires racontées par l’Association des Victimes des Témoins de Jéhovah peuvent être « objectivement » considérées comme « préjudiciables à la réputation et à la crédibilité » de l’organisation religieuse. Aussi a-t-il conclu qu’« à tout point de vue, l’article mentionne des allégations de tiers qui causent un préjudice indéniable à l’association cultuelle ».

Vérifiant ensuite les accusations portées dans l’article contre la plaignante, le tribunal a reproché au quotidien madrilène d’avoir utilisé les expressions « secte » et « dérives sectaires » au sujet des Témoins de Jéhovah, alors que cette minorité religieuse est enregistrée dans le Registre des entités religieuses tenu par le ministère de la Justice. Il s’agit donc d’« une confession légitimement reconnue dans notre pays comme beaucoup d’autres ».

« Par conséquent, qualifier l’entité plaignante de secte est une erreur juridique puisque, dans le contexte de l’article analysé, cela implique d’attribuer à la plaignante des caractéristiques pernicieuses ou nuisibles par opposition au reste des confessions religieuses légalement établies en Espagne. »

En ce qui concerne la partie sur les abus sexuels, il a été jugé qu’après un examen attentif les différents points ne sont pas exacts et nuisent à la perception du mouvement par l’opinion publique. D’une part, il n’apparaît aucune condamnation de l’organisation religieuse dans son ensemble pour les affaires d’abus sexuels en Australie, il est donc incorrect de prétendre que ces faits auraient été dissimulés. D’autre part, pour les témoignages spécifiques repris par le journal,

« ce n’est pas tant que le fait soit vrai ou non (en réalité, aucune preuve d’une quelconque condamnation découlant de telles allégations, le cas échéant, n’a été fournie), mais que le pluriel et le nombre collectif sont tout le temps utilisés lorsqu’il est question des abus sexuels présumés, afin d’attribuer à la confession religieuse dans son ensemble la responsabilité des “abus sexuels perpétrés au sein du groupe” plutôt qu’aux personnes qui, dans chaque cas, ont commis les abus ou agressions sexuels présumés ».

Ensuite, est abordée la question de la mise à l’écart, qualifiée d’« ostracisme », des membres excommuniés ou se séparant volontairement de l’organisation, qui les conduirait à « la mort sociale » ou à « un enfer silencieux ». Le juge espagnol a déclaré fausse l’assertion selon laquelle « lorsqu’ils sont à l’intérieur de la secte, ils sont explicitement ou implicitement obligés d’entretenir des relations qu’avec d’autres fidèles ».

Quant aux graves accusations de l’article prétendant que « de nombreux anciens [i.e. responsables religieux, ndlr] sont soit adultères, soit pédophiles » et que les Témoins de Jéhovah « encouragent le suicide physique et moral », le tribunal a jugé que ces allégations « une fois de plus manquent de base objective et démontrable ». En outre, elles sont qualifiées d’« inexactes et extrêmement préjudiciables au prestige de l’entité plaignante ».

Tandis qu’El Mundo plaidait la responsabilité exclusive de l’auteur des propos diffamatoires, c’est-à-dire l’Association des Victimes des Témoins de Jéhovah, le jugement a rappelé que les médias sont responsables des contenus qu’ils diffusent, y compris les propos de tierces parties, qu’ils ne peuvent reprendre sans réserve. Et d’expliquer :

« Il ne s’agit pas ici de réfuter ou de censurer des opinions, mais de sanctionner légalement les faits erronés ou carrément faux qui soutiennent de telles opinions. »

Le journal a été condamné à publier le droit de réponse et à rembourser les frais de justice à la plaignante.