Selon le journal The Washington Post du 23 novembre 2015, seize Témoins de Jéhovah pourraient devenir « les plus pacifiques des “extrémistes” » en Russie. Quant à son confrère britannique The Independent, il annonce en deuxième page de son édition du 2 décembre 2015 : « Les Témoins de Jéhovah sont les nouveaux parias de la Russie ». Plus loin, un reportage explique qu’ils « sont ciblés en vertu des lois anti-terroristes tout simplement pour avoir pratiqué leur foi pacifiste » dans une Russie « de plus en plus intolérante ».
S’appuyant sur la loi fédérale relative aux activités extrémistes qui devait servir à l’origine à combattre le terrorisme, le Tribunal de Taganrog a condamné quatre Témoins de Jéhovah à des peines de plus de cinq ans de prison avec sursis et à une amende chacun de 100 000 roubles, soit environ 1 400 €, pour avoir organisé des offices religieux. Les douze autres prévenus devront payer des amendes comprises entre 20 000 et 70 000 roubles. Le juge les a cependant exempté du paiement des amendes.
Cette histoire remonte à l’année 2008, lorsque le procureur du Tribunal régional de Rostov a déposé une plainte contre les Témoins de Jéhovah de Taganrog sous l’accusation d’activités prétendues « extrémistes ». Le 11 septembre 2009, le tribunal a qualifié d’extrémistes trente-quatre de leurs ouvrages religieux et a interdit par la même occasion leur association cultuelle à Taganrog. Ce jugement a été confirmé par la Cour suprême de Russie le 8 décembre 2009. L’affaire Association cultuelle de Taganrog et autres contre Russie est désormais pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.
En juillet 2011, alors que les services de renseignement avaient déjà commencé à filmer secrètement les offices cultuels de ses membres, l’association cultuelle de Taganrog a été ajoutée à la Liste fédérale des organisations extrémistes. Le procureur a aussitôt poursuivi pénalement seize Témoins de Jéhovah pour activités extrémistes. Après 15 mois d’audiences, le Tribunal de Taganrog a déclaré coupables sept d’entre eux et relaxé les neuf autres. À la suite de l’appel interjeté par les deux parties, le Tribunal régional de Rostov a annulé cette décision et a renvoyé l’affaire devant le même tribunal pour l’ouverture d’un nouveau procès par un autre juge.
Cette affaire ressemble fortement à la requête Témoins de Jéhovah de Moscou contre Russie jugée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a unanimement condamné la Fédération de Russie pour violation de la liberté de religion en estimant que la dissolution de l’association était disproportionnée et « ne reposait pas sur une base factuelle adéquate ». Pourtant, bien que les autorités russes ont finalement appliqué cet arrêt en enregistrant officiellement la Communauté religieuse des Témoins de Jéhovah de Moscou, des procédures pénales continuent d’être engagées contre ce culte minoritaire à d’autres endroits.
Tandis qu’à ce jour vingt-huit requêtes ont été déposées devant la CEDH par les Témoins de Jéhovah contre la Russie, cette dernière légifère actuellement pour s’affranchir des décisions de l’organe judiciaire du Conseil de l’Europe. C’est ainsi que le 1er décembre 2015 la Chambre basse du Parlement a voté en première lecture une loi qui permettra de ne plus appliquer les arrêts de la Cour européenne qui seront jugés contraires au droit interne par la Cour constitutionnelle de Russie.
Face à cette injustice, Amnesty International a lancé une action urgente le 9 décembre 2015 pour adresser aux autorités russes des appels les priant instamment « de respecter, protéger et promouvoir les droits aux libertés d’expression et de conviction en Russie », leur demander « de veiller à ce que les condamnations des témoins de Jéhovah de Taganrog soient annulées » et les exhorter « à s’abstenir d’inculper des témoins de Jéhovah et d’interdire leurs communautés en les qualifiant d’“extrémistes” alors qu’elles ne font que pratiquer pacifiquement leur culte ».