Le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, Heiner Bielefeldt, a présenté son rapport d’activité en octobre 2015 à l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette année, il s’est penché plus particulièrement sur l’exercice des droits de l’enfant et de ses parents dans le domaine de la liberté de religion ou de conviction. Il y souligne la nécessité de prendre en compte les différents instruments internationaux pour concilier les droits de l’enfant avec ceux de ses parents :
– la Déclaration universelle des droits de l’homme,
– le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– la Déclaration sur l’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction,
– et la Convention relative aux droits de l’enfant.
Le rapporteur spécial rappelle notamment que l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant « consacre le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tout en respectant le droit et le devoir des parents ou représentants légaux de guider l’enfant dans l’exercice de sa liberté de religion ou de conviction d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités ».
Il aborde ensuite les controverses qui ont pu naître de l’interprétation de cet article, d’aucuns craignant que le statut de l’enfant en tant que détenteur de droits puisse servir de prétexte pour restreindre l’exercice des droits parentaux : « La crainte que certains organismes d’État ne soit tentés d’utiliser la liberté de religion ou de conviction de l’enfant comme prétexte pour s’ingérer de manière indue est généralement compréhensible. En fait, dans certains pays, l’État s’ingère au niveau des familles dans les domaines de l’initiation, de la socialisation et de l’éducation religieuses des enfants, parfois en invoquant l’intérêt supposé de l’enfant. Ces interventions problématiques de l’État affectent de façon disproportionnée les familles appartenant à des minorités religieuses, à de nouveaux mouvements religieux ou à de petites communautés souvent stigmatisées en tant que “sectes”. »
De même, « les parents qui se convertissent à une religion autre que la religion dominante courent un risque d’aliénation ou même de séparation de leurs enfants. Cette aliénation, qui peut commencer par des commentaires négatifs de la part des maîtres au jardin d’enfants ou à l’école, peut aller jusqu’à la perte officielle des droits de garde, par exemple lorsqu’un divorce est prononcé. »
Tandis que l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant combine les droits parentaux et les droits de l’enfant en matière de liberté de religion et de conviction, le paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que les États parties « s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions ».
Par ailleurs, le rapporteur spécial explique que le droit de l’enfant à la liberté de religion et de conscience n’implique pas qu’il grandisse dans environnement familial religieusement « neutre ». Et d’ajouter explicitement : « Toute tentative de la part de l’État d’imposer une éducation religieusement “neutre” au sein des familles constituerait une violation grave du droit parental à la liberté de religion ou de conviction, telle qu’elle est consacrée notamment au paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant. » Cependant, « le fait d’être initié au sein d’une communauté religieuse particulière n’enlève pas à l’enfant le droit à changer de religion s’il acquiert une conviction différente au cours de son développement ultérieur ». En effet, à mesure qu’il grandit en âge et en maturité, l’enfant mérite que l’on respecte ses décisions de participer ou non à des activités cultuelles et d’adopter la religion ou les convictions de son choix.
Quant à l’instruction religieuse à l’école, c’est-à-dire l’éducation religieuse dispensée selon les principes d’une religion ou d’une conviction particulière, elle « ne doit pas être obligatoire et doit toujours être liée à la possibilité d’en être facilement exempté ». En revanche, selon le rapport, « les informations sur les religions et les convictions peuvent faire partie intégrante du programme scolaire obligatoire, pour autant que l’enseignement se fasse dans un esprit d’équité et de neutralité ». À ce sujet, le rapporteur formule cette recommandation importante : « Lorsqu’ils fournissent des informations sur les religions et croyances dans le cadre du programme scolaire normal dans le but d’élargir les connaissances de l’enfant, les État doivent veiller à ce que ces informations soient de qualité et toujours fondées sur des recherches fiables et en outre à ce qu’elles reflètent fidèlement la perception qu’ont d’eux-mêmes les membres des différentes communautés religieuses, en tenant toujours compte de la diversité interne. »
Dans certaines situations, l’intervention de l’État peut s’avérer nécessaire pour protéger l’enfant de privation de soins, de violences domestiques ou de pratiques préjudiciables au sein de sa famille. Le paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit que les « États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ».
Néanmoins, le rapporteur souligne qu’une telle intervention étatique doit reposer sur une évaluation empirique et normative approfondie plutôt que sur des préjugés, surtout lorsqu’il s’agit de minorités religieuses : « La diligence empirique est de mise, notamment pour éviter des imputations fondées sur des stéréotypes, s’appuyant éventuellement sur des rumeurs, des généralisations excessives ou de simples craintes abstraites et parfois farfelues. Les membres de petites communautés religieuses ou de nouveaux mouvements religieux risquent souvent davantage de voir leurs droits bafoués. »
Enfin, en ce qui concerne le port volontaire de symboles religieux dans les écoles, le rapporteur recommande aux États de « réformer les codes vestimentaires indûment restrictifs pour les élèves des écoles afin de faciliter une vie scolaire offrant aux élèves la possibilité de connaître des manifestations libres et volontaires de la diversité liée à la religion ou la conviction en tant qu’aspect normal du vivre ensemble dans une société moderne ».