N° 345
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 mars 2015
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur le financement des lieux de culte,
Par M. Hervé MAUREY,
Sénateur.
(1) La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est composée de : M. Jean-Marie Bockel, président ; MM. Rémy Pointereau, Marc Daunis, Christian Favier, François Grosdidier, Charles Guené, Joël Labbé, Antoine Lefèvre, Jacques Mézard, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, M. René Vandierendonck, vice-présidents ; Mme Caroline Cayeux, MM. Philippe Dallier et Georges Labazée, secrétaires ; MM. François Calvet, Luc Carvounas, Michel Delebarre , Éric Doligé, Vincent Eblé, Mmes Françoise Gatel, Éliane Giraud, MM. Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Dominique de Legge, Michel Le Scouarnec, Christian Manable, Jean Louis Masson, Hervé Maurey, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Louis Pinton, Alain Richard, Mmes Patricia Schillinger, Nelly Tocqueville, Catherine Troendlé et M. Jean-Pierre Vial.
AVANT-PROPOS
Le 22 janvier 2013, votre délégation s’engageait dans la réalisation d’un rapport d’information sur le financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. Ces dernières, au premier rang desquelles les communes, sont au quotidien les premières interlocutrices des religions dans notre pays. Bien que la France soit une « République laïque » et que le principe de laïcité possède une valeur constitutionnelle [1], cela ne signifie pas pour autant que les pouvoirs publics, en l’occurrence locaux, se désintéressent totalement des cultes, composantes de la vie sociale et enjeu de la consolidation du vivre-ensemble. Un vivre-ensemble aujourd’hui mis à l’épreuve par les tentations communautaristes et les intégrismes religieux.
L’actualité dramatique de ce début d’année et les tensions communautaires qui traversent aujourd’hui la société française nous rappellent, plus que jamais, que le politique ne peut ignorer la question de la bonne insertion des cultes dans la République. En février dernier, le Président du Sénat, Gérard Larcher, a d’ailleurs accepté, à la demande du Président de la République, de conduire une réflexion sur la manière de renforcer le sentiment d’appartenance républicaine. Votre délégation est convaincue qu’au-delà des différences sociales, religieuses et ethniques, l’appartenance citoyenne se traduit par une adhésion à des valeurs et à des symboles qui fondent notre nation.
Or, depuis 1905 et la fameuse loi de séparation des Églises et de l’État, le visage de notre nation a changé. Le paysage religieux français, notamment, a fortement évolué. De nouvelles religions sont apparues et se sont enracinées dans notre pays. La diversité religieuse et celle des pratiques se sont accrues. Dans ce contexte, les questions liées à la laïcité et à la gestion des cultes dans l’espace public sont devenues plus difficiles à gérer pour nombre d’élus de la République. Si les problématiques des lieux de culte varient selon les territoires et les religions concernés [2], la question de leur financement est devenue un enjeu fort pour nos concitoyens, en particulier pour les communautés récemment installées dans notre pays et qui doivent faire face à un manque crucial de lieux de prière. Soulignant le rôle capital des élus locaux, en première ligne dans les relations entre les pouvoirs publics et les cultes, le Haut Conseil à l’intégration relevait déjà, dans un rapport de novembre 2000, que « les ajustements nécessaires dans le cadre de la loi […] relèvent de l’imagination, de la bonne volonté et de la force de conviction des acteurs locaux [3] ».
Votre délégation a donc voulu examiner la situation des collectivités territoriales au regard de leur implication dans le financement des lieux de culte, et formuler des propositions afin d’aider les élus locaux à mieux appréhender un sujet au cœur du vivre-ensemble. Votre rapporteur s’est interrogé sur la nécessité ou non d’adapter la législation actuelle, renouvelée par la jurisprudence ces dernières années, et s’il fallait pour cela réformer la loi de 1905. À l’issue de ses travaux, sa conviction est claire : le cadre qu’elle fixe doit être préservé. Pour s’en convaincre, il a pris le temps de la réflexion en auditionnant tous les acteurs et en recueillant leurs points de vue et leurs opinions : représentants de l’État, collectivités territoriales, membres des juridictions administratives, responsables des cultes, personnalités universitaires et du monde associatif. Son souhait était de répondre à ces enjeux sereinement et sans esprit partisan, conscient que ce sujet est au cœur du pacte républicain et, plus largement, du pacte social.
Votre rapporteur a également souhaité associer à sa réflexion les élus locaux. Inspiré par la consultation des maires menée dans le cadre des États généraux de la démocratie territoriale d’octobre 2012, il a souhaité qu’une étude [4], confiée à un institut de sondage, permette de recueillir les opinions et d’évaluer l’expérience des élus communaux sur cette problématique. Les maires sollicités ont largement répondu à cette consultation. L’étude quantitative, dont les enseignements ont été très riches, a d’ailleurs été accompagnée d’une étude qualitative [5] qui a permis de recueillir le témoignage direct, sous forme d’entretiens individualisés, d’une vingtaine de maires volontaires pour s’exprimer sur la problématique du financement des édifices religieux dans leur commune. Votre rapporteur se félicite de l’implication des élus locaux et de leur retour d’expérience.
Votre rapporteur a également pu bénéficier de l’expertise de la division de la Législation comparée du Sénat, qui s’est livrée à une étude particulièrement riche d’enseignements [6], sur cette problématique du financement des lieux de culte en Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni et Turquie.
Le présent rapport revient d’abord sur la situation des cultes en France en proposant un état des lieux des religions. Il envisage, à cet égard, les dynamiques et les problématiques propres à certains cultes et à certains territoires de la République. Il analyse ensuite les modalités théoriques et les conséquences pratiques qui résultent du principe général d’interdiction du financement public des lieux de culte dans notre pays, avant d’envisager les exceptions qui autorisent les collectivités territoriales à endosser un rôle éminent à l’égard du financement des édifices cultuels. Il formule dans ce cadre des propositions concrètes afin d’améliorer l’information, faciliter le dialogue et renforcer le contrôle.
I. LA PRÉSENCE INÉGALE DES LIEUX DE CULTE DANS LES TERRITOIRES DE LA RÉPUBLIQUE ET LES BESOINS DE FINANCEMENT SONT DUS À DES DYNAMIQUES HISTORIQUES ET DÉMOGRAPHIQUES DIFFÉRENTES
Votre délégation a souhaité identifier de façon précise ce qui relève du « culte » afin d’éviter toute confusion. Si l’on trouve de nombreuses définitions, comme celle de Léon Duguit selon laquelle « le culte est l’accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle [7] », le Conseil d’État livre une définition jurisprudentielle du culte, qui doit être entendu comme « la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques [8] ».
Le culte réunit donc deux éléments : un élément subjectif, la croyance en une foi ou une divinité ; un élément objectif, la communauté qui se réunit lors des cérémonies. Les activités des organisations cultuelles ne se limitent donc pas à la pratique du culte mais s’étendent également à des actions sociales, culturelles et humanitaires. C’est cette ouverture sur la société qui permet aux communautés religieuses, dans la mesure où un intérêt public s’exprime à travers leurs actions, de bénéficier de subventions publiques.
Les statistiques officielles relatives à l’affiliation religieuse sont interdites en France (le dernier recensement officiel date de 1872). Le ministère de l’Intérieur indique qu’« il n’existe pas de statistiques publiques recensant l’appartenance religieuse ». Philippe Portier, directeur d’étude à l’École pratique des Hautes études, précise que « le gouvernement français a, sous le Second Empire et jusqu’en 1872, introduit dans ses recensements périodiques une rubrique relative aux cultes ». Cette pratique, abandonnée sous la IIIe République, a été formellement interdite en 1978 par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, en vertu de laquelle « Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci » [9]. Les données concernant le nombre de fidèles des différents cultes sont donc établies à partir d’estimations, de sondages et de statistiques fournies par les communautés religieuses elles-mêmes.
La première observation qui ressort de l’examen de la situation des religions et de leurs édifices respectifs sur le territoire, est que la France est un pays où la diversité religieuse est très affirmée. Il s’agit en effet du pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de musulmans, de juifs et de bouddhistes, selon les indications fournies à votre délégation par les représentants des religions.
À côté des cultes les plus anciennement établis, l’installation de nouvelles religions plus récentes a conduit à une redéfinition du paysage religieux. C’est ce qui explique que les besoins en termes d’immobilier cultuel varient selon les religions concernées.
Selon différents recensements [10], la France compterait près de 100 000 édifices religieux dont 90 000 catholiques. Si la religion catholique dispose, pour des raisons historiques évidentes, de nombreux lieux de culte, les communautés musulmanes, bouddhistes, orthodoxes et protestantes évangéliques sont aujourd’hui en recherche de lieux de culte, soit à construire lorsqu’elles en ont les moyens, soit par la location de salles. Les représentants de ces religions ont, à plusieurs reprises, attiré l’attention de votre rapporteur sur le manque d’informations relatives aux possibilités de financement des lieux de culte par les collectivités, et sur les refus trop souvent systématiques des élus en termes de mise à disposition de locaux pour exercer le culte.
L’asymétrie entre religions en France s’explique aussi par la propriété des édifices cultuels : 90 % des édifices du culte catholique sont la propriété des communes, alors que ce chiffre ne représente que 12 % pour le culte protestant, 3 % pour le culte juif, et 0 % pour le culte bouddhiste et le culte musulman.
Malgré la sécularisation de la société et la baisse de la pratique religieuse, des édifices cultuels continuent pourtant de se construire dans notre pays, essentiellement par le biais de fonds privés. Leur coût varie de 500 000 euros, pour les plus petits édifices, à 2 à 3 millions d’euros, et jusqu’à 7 à 8 millions d’euros pour les plus grands édifices. Parallèlement, au-delà de la question de la construction, se pose celle de l’entretien des édifices religieux. Selon l’Observatoire du patrimoine religieux, 10 % des édifices seraient dans un état grave et nécessiteraient des travaux d’urgence, et plus de 30 % seraient dans un état préoccupant et nécessiteraient des travaux à moyen terme.
Afin de disposer de la vision la plus proche possible des réalités de terrain, votre rapporteur a souhaité que, dans le cadre de l’étude menée par TNS Sofres à la demande de votre délégation [11], soit abordée la question des besoins de financement des édifices religieux. Les élus locaux ont donc été sollicités pour répondre à cette question. Il ressort des résultats que les demandes de financement de lieux de culte concernent très majoritairement le culte catholique (48 %) et finalement très peu les autres religions : musulmane (3 %), protestante (3 %), évangélique (1 %), juive (1 %). Cela s’explique, de façon logique, par la très forte présence dans nos territoires d’édifices du culte catholique. On constate, inversement, que lorsqu’une commune possède au moins un lieu de culte musulman, la proportion des demandes de financement de mosquée augmente (33 %). Par ailleurs, les demandes de financement, qui concernent essentiellement le culte catholique, sont exclusivement tournées vers la rénovation, l’entretien et l’aménagement de lieux de culte existants (77 %), plutôt que vers l’édification de nouveaux lieux de culte (0 %). Dans les communes de 5 000 habitants et plus, lorsque les demandes émanent de la religion musulmane par exemple, elles concernent surtout l’édification de nouveaux lieux de culte (21 %) et quasiment pas la rénovation de lieux de culte existants (4 %).
Votre délégation observe que les enjeux de l’immobilier cultuel diffèrent donc selon les religions. Les catholiques ont surtout besoin d’entretenir un patrimoine existant et vieillissant, alors que les religions nouvelles éprouvent davantage de besoins en termes d’édification de nouveaux lieux de prière. C’est sur cette base qu’une géographie des cultes et des besoins de financement peut être établie.
Votre délégation s’est également montrée très intéressée par les résultats de l’enquête de TNS Sofres s’agissant des réactions de nos concitoyens sur le terrain. Là encore, contrairement à une idée reçue, les interventions des communes dans le financement des lieux de culte et des équipements existants s’opèrent de façon consensuelle (82 % des cas), et très rarement de façon polémique (5 %) ou conflictuelle (1 %). Votre délégation remarque, en revanche, que s’agissant du financement de nouveaux lieux de culte, il y a eu très peu de réponses de la part des élus sur les réactions des administrés (88 % sans réponse). Et, lorsque les administrés ont réagi, c’était de façon consensuelle dans 5 % des cas, et résiduellement de façon conflictuelle (4 %) ou polémique (3 %). Sur ce point, une lecture fine des résultats de l’enquête montre que les réactions les plus défavorables des administrés concernent majoritairement le financement de lieux de culte musulmans, réactions qui restent toutefois très minoritaires eu égard à l’ensemble de l’échantillon considéré. Le financement de l’immobilier catholique bénéficie donc d’une plus grande adhésion des administrés, qui le perçoivent comme une charge raisonnable. Votre délégation observe d’ailleurs que les interventions financières des communes en faveur du financement des lieux de culte ne suscitent quasiment pas de situation contentieuse devant l’administration ou les juridictions. Globalement, s’il ressort que le niveau de conflictualité en matière de financement est très faible en général, il diffère toutefois légèrement selon les religions, avec une conflictualité plus forte pour les lieux de culte musulmans et évangéliques, et plus faible pour les lieux de culte catholiques et protestants. En revanche, s’agissant de l’implantation de nouveaux lieux de culte, l’enquête de TNS Sofres met en lumière une conflictualité moyenne plus forte à l’égard des religions musulmane et catholique, devant les religions évangélique et protestante.
De façon globale, les élus locaux considèrent dans leur immense majorité (84 %) que le principe de laïcité, s’agissant particulièrement de la question du subventionnement public aux lieux de culte, s’articule de manière satisfaisante avec le principe de libre-administration des collectivités territoriales.
[…]
B. LES RELIGIONS ÉMERGENTES QUI ONT CONNU DANS NOTRE PAYS DES DIFFICULTÉS D’IMPLANTATION DE LEURS LIEUX DE CULTE SONT DÉSORMAIS EN VOIE D’ENRACINEMENT DANS LES TERRITOIRES
[…]
4. L’expansion de certains mouvements religieux reste freinée par une méfiance des administrés et des pouvoirs publics locaux
Votre délégation souhaite que ces courants religieux minoritaires dans nos territoires soient clairement distingués des pratiques sectaires [12].
a) Les mormons de France : une croissance lente mais des ambitions patrimoniales solides
L’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours [13], ou mormonisme, revendiquent 38 000 membres [14]sur le territoire métropolitain et 25 000 en outre-mer. Cette communauté doit aujourd’hui faire face à un « besoin modeste » de lieux de culte dans nos territoires, selon les termes de Dominique Calmels, leur représentant auditionné par votre délégation.
La démographie de cette communauté, qui se revendique « chrétienne sans être catholique, ou protestante [15] », a connu un développement relativement lent de 1850, date qui marque l’avènement de la première communauté mormone dans notre pays (soit environ 10 personnes) à nos jours [16]. Celle-ci connait en effet une croissance de l’ordre de 500 à 1 000 personnes par an [17]. Sa présence est par ailleurs très équilibrée sur l’ensemble du territoire. L’Église répertorie 110 lieux de culte sur le territoire [18], dont les deux tiers sont la propriété de l’Église et un tiers sont loués. Comme l’a indiqué à votre délégation Dominique Calmels « Nous possédons suffisamment de bâtiments en France au regard de la démographie de notre communauté, et on estime qu’une nouvelle église mormone est construite tous les trois ans en moyenne en France [19] ».
Si ces églises fonctionnent avec des personnels totalement bénévoles, le financement de la vie de ces institutions (fonctionnement, entretien, restauration, activités culturelles) est assuré par une forme d’impôt : « la loi de la dîme », qui recommande le versement par les fidèles de 10 % de leurs revenus à la communauté. Comme le reconnait Dominique Calmels, « cela offre une autonomie financière considérable à nos églises ». Il en va de même pour les constructions d’églises, « supportées intégralement par les dons des fidèles collectés au niveau régional puis consolidées au niveau national et même mondial pour assurer une forme de péréquation ». Il souligne que « la collecte française est aujourd’hui insuffisante pour assurer le financement des églises sur le territoire, celles-ci étant largement tributaires des fonds excédentaires en provenance des communautés mormones des États-Unis ». Il confirme aussi l’originalité du financement des lieux de culte mormons en France, au moyen d’une société privée basée aux États-Unis et chargée d’assurer la répartition des fonds collectés. Il indique que « c’est cette société américaine qui est aujourd’hui propriétaire des bâtiments consacrés au culte ».
Le représentant de l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours a surtout souhaité attirer l’attention de votre délégation sur les difficultés rencontrées par les fidèles dans l’acquisition de terrains ou de locaux pour exercer leur culte. Il relève ainsi : « Nous nous heurtons encore trop souvent à la méfiance des élus locaux lorsque nous souhaitons nous porter acquéreurs d’un bâtiment en toute légalité. Nous regrettons l’attitude de quelques élus municipaux qui s’opposent systématiquement à la présence de notre communauté sur leur territoire, comme ce fut récemment le cas dans la banlieue sud de Paris ».
Votre délégation estime indispensable de rappeler aux élus locaux la nécessité de respecter le cadre législatif républicain et de ne pas placer certains cultes dans une situation discriminatoire. Les mormons n’ont d’ailleurs jamais été considérés comme une secte par les pouvoirs publics [20]. L’association qui représente les mormons au niveau national bénéficie du statut d’association cultuelle depuis le 4 juillet 2009 [21].
b) Les Témoins de Jéhovah de France souhaitent la construction rapide de nouveaux lieux de culte dans notre pays
Les Témoins de Jéhovah forment eux-aussi un courant religieux se réclamant du christianisme [22]. Nés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, ils revendiquent près de 8 millions de membres actifs dans le monde. En France, ils seraient, selon le ministère de l’Intérieur, près de 150 000. Ils disposeraient, selon leurs propres sources [23], de 1 040 édifices du culte dans notre pays, appelés « Salles du Royaume », dont 109 en Ile-de-France. Selon les informations transmises par leurs responsables, « la première association a été créée dans le Nord en 1906, sous le nom d’Église chrétienne d’Haveluy ».
Le financement des édifices du culte, qu’il s’agisse de construction ou d’entretien, est assuré en totalité par les fidèles, comme l’a confirmé à votre délégation la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France : « Il s’inscrit dans le cadre du mécénat privé prévu par la loi française en faveur des associations cultuelles, qui nous permet de bénéficier des dispositions des articles 200 et 238 bis du Code général des impôts. Les associations peuvent ainsi recevoir des legs et des dons ouvrant droit à une réduction d’impôt pour les donateurs, et nos édifices du culte sont exonérés de la taxe foncière ».
Pour cette communauté religieuse, la construction ou la location de lieux de culte peut se heurter à l’inquiétude, voire à l’hostilité, des riverains, même si, selon ses représentants « en général, la construction d’un nouvel édifice du culte suscite peu de difficultés dans les communes où nous sommes présents et connus depuis longtemps. Nous n’avons enregistré que peu de contentieux ces dernières années ». Et si les contentieux devant les juridictions administratives ou judiciaires restent faibles, la communauté a dû rencontrer une très forte opposition à certains endroits, comme à Deyvillers, dans les Vosges, où le projet de construction d’un nouvel édifice est actuellement interrompu.
Pourtant, là encore, si ce mouvement religieux peut susciter la méfiance ou le rejet de la part de certains de nos concitoyens, les élus locaux ne sauraient faire obstacle à leur pratique, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), considérant en effet que « le droit à la liberté de religion […] exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses [24] ». Si le Conseil d’État a reconnu très tôt le caractère cultuel des associations locales des Témoins de Jéhovah [25], leur statut a toutefois été contesté par les pouvoirs publics. La CEDH relevait par exemple, en 2011, que, « dans le rapport parlementaire intitulé “Les sectes en France”, rendu public le 22 décembre 1995 et largement diffusé, les Témoins de Jéhovah furent qualifiés de mouvement sectaire. Ce rapport aurait été suivi, selon [les Témoins de Jéhovah], d’une série de mesures d’exception à l’encontre des mouvements qualifiés de “sectes”, aboutissant notamment à une marginalisation des Témoins de Jéhovah dans toutes les couches de la société [26] ». Dans sa décision, la Cour reconnaissait ainsi que la France avait porté atteinte à la liberté de religion des Témoins de Jéhovah, avant de condamner l’État à rembourser à l’association « Les Témoins de Jéhovah » la somme de 4,5 millions d’euros indûment perçue à l’issue d’un redressement fiscal [27].
Aucun édifice du culte n’est aujourd’hui la propriété d’une commune, les dépenses étant entièrement assumées par les fidèles. La communauté des témoins de Jéhovah fait état d’environ 200 bâtiments nécessitant des travaux de rénovation plus ou moins importants, voire des agrandissements, et juge « le nombre d’édifices du culte insuffisant ». Selon la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah « La situation a été aggravée par la loi exigeant la mise aux normes pour les personnes handicapées, certains sites n’étant plus adaptés en raison de leur configuration ou du volume de travaux à réaliser ».
Pour les Témoins de Jéhovah, « la construction de nouveaux édifices est une nécessité générale dans les communes à forte densité de population, en particulier à Paris et sa région ». Mais les représentants de la communauté pointent des obstacles : « dans ces communes, les plans locaux d’urbanisme présentent des difficultés techniques au regard du nombre de places de parking exigé pour l’ouverture de nouveaux édifices cultuels ». Selon la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah « la fréquentation des lieux progressent de 1 à 2 % par an, ce qui signifie qu’il faut augmenter d’autant les surfaces des locaux dédiés au culte ». En pratique, cela représente la construction d’une quinzaine de « Salles du Royaume » chaque année, outre le remplacement de certains édifices devenus vétustes ou exigeant d’importants travaux de rénovation.