N.B. : Le texte à la suite de l’enregistrement vidéo de l’audition au Sénat n’est pas une transcription exacte des propos échangés mais le compte-rendu officiel reproduit en annexe du rapport parlementaire, où de nombreux raccourcis affaiblissent les arguments et raisonnements proposés. |
Audition de M. Hervé RAMIREZ, secrétaire général de l’Association des comités de liaisons hospitaliers des Témoins de Jéhovah,
M. Guy CANONICI, président de la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, mardi 12 mars 2013
Partie I - Exposé
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Hervé Ramirez, secrétaire général de l’Association des comités de liaisons hospitaliers, M. Guy Canonici, président de la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, accompagnés par Me André Carbonneau, avocat au barreau de Paris.
Notre réunion d’aujourd’hui n’est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
Messieurs, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l’objet d’une captation vidéo et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?
Les personnes confirment.
M. Alain Milon, président. - Je précise à l’attention de MM. Ramirez, Canonici et Carbonneau que notre commission d’enquête s’est constituée à l’initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle qu’un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Messieurs, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les personnes auditionnées se lèvent et prêtent serment.
Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.
Messieurs, vous avez la parole.
M. Hervé Ramirez. - Merci de nous fournir l’occasion de cet échange.
Les Témoins de Jéhovah forment une religion chrétienne présente en France depuis la fin du 19e siècle. Ils sont regroupés dans un millier d’associations locales de nature cultuelle. On compte 270 000 fidèles en France, et plus de 2 millions en Europe.
Les Témoins de Jéhovah font naturellement des demandes de soins : 97 % ont un médecin traitant et 78 % se sont déjà fait hospitaliser. Leur particularité est de refuser la transfusion sanguine, pour des motifs bibliques. Le verset 29 du chapitre XV des Actes des Apôtres précise que le sang est sacré et donc impropre à tout usage. La demande de soins nous conduit donc à privilégier des stratégies d’épargne sanguine.
En tant que bénévole des comités de liaison hospitaliers depuis plus de vingt ans, j’aide les patients et contribue à fournir un appui aux médecins qui en ont besoin. J’ai donc été profondément choqué d’apprendre que, comme l’écrit la Miviludes dans son rapport « Santé et dérives sectaires », nous perturberions la relation entre le médecin et les malades, et ferions courir le risque d’un trouble à l’ordre public. Ce n’est absolument pas le cas ! Nous avons répondu à ces accusations par un courrier adressé au Premier ministre, dans lequel nous déclarons ne fournir que des informations. Nous ne nous immisçons pas dans la relation entre le patient et le médecin. Le chef du bureau central des cultes a depuis admis que le trouble à l’ordre public était en effet inexistant.
Les comités de liaison hospitaliers sont des associations à disposition des patients Témoins de Jéhovah. Ils n’interviennent qu’en cas de demande expresse du patient, dans certains cas du médecin. Ils ne s’autosaisissent jamais. Il m’arrive d’être sollicité la nuit, ou pendant mes vacances, et je crois faire preuve de suffisamment de dévouement pour que les propos de la Miviludes me choquent, très éloignés qu’ils sont de la gratitude et de la reconnaissance que nous témoignent les gens qui font appel à nous. Nous réalisons en outre une veille scientifique des avancées médicales en matière d’épargne sanguine. Nous en mettons les résultats à la disposition des patients.
Il existe des comités de liaison hospitaliers dans presque tous les pays du monde. La littérature médicale a fait de nombreux commentaires élogieux à leur égard, et nous entretenons des relations de confiance avec les autorités sanitaires de nombreux pays. La prestigieuse Association des anesthésistes de Grande-Bretagne - en quelque sorte l’équivalent de notre Société française d’anesthésie et réanimation - incite les médecins à prendre contact avec les comités de liaison hospitaliers. Si nous étions réellement tels que la Miviludes nous dépeint, je doute que ces associations professionnelles formuleraient de telles incitations.
Les stratégies d’épargne sanguine existent depuis les années 1960 et les premières opérations à cœur ouvert sans transfusion sanguine. Elles ont connu leur essor après la crise du sang contaminé dans les années 1990. Depuis, de nombreuses conférences de consensus se sont tenues dans l’objectif de limiter le nombre de transfusions.
N’étant pas médecin, je ne vous exposerai que brièvement le principe des stratégies d’épargne sanguine. Celles-ci ne reposent pas sur un médicament ou produit unique de nature à remplacer le sang, car une telle substance n’existe pas encore. Elles s’appuient en revanche sur un ensemble de mesures qui, combinées, permettent de limiter le recours à la transfusion sanguine. Aucune ne suffit par elle-même. Toutes ont fait l’objet d’études et de commentaires dans la littérature médicale internationale : nous avons recensé plus de 2 500 articles publiés à leur sujet dans des revues à comité de lecture et à comité scientifique. Ces stratégies ont donc été validées, tant dans leurs protocoles que dans leurs résultats en termes de mortalité et de morbidité. Elles ne sont pas conduites au seul bénéfice des Témoins de Jéhovah, mais plus largement de l’ensemble des patients.
Les traitements sont aujourd’hui disponibles en grand nombre. Néanmoins, la pratique transfusionnelle reste variable selon les établissements. Le patient Témoin de Jéhovah peut, grâce aux comités de liaison hospitaliers, entrer en contact avec celles des équipes qui recourent le moins aux transfusions. Tous les domaines sont concernés par leur application : chirurgie digestive, cardiaque, traumatologie, greffe de foie, de cœur, de pancréas, etc.
Le droit positif encadre ces questions au moyen de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, que vous connaissez bien. J’ajoute que le Conseil d’Etat a rendu le 16 août 2002 une ordonnance de référé dans laquelle il précise que le refus de traitement médical revêt, pour le patient majeur, le caractère d’une liberté fondamentale - dont souhaitent jouir les Témoins de Jéhovah.
Certes, un défi éthique se pose au médecin. Les comités de liaison hospitaliers ont justement pour vocation de faciliter leurs relations avec les patients. M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a déclaré le 24 octobre 2006 à l’Assemblée nationale qui l’auditionnait : « j’ignorais l’existence de ces comités. On peut concevoir qu’ils servent de lien entre les professionnels de santé et les adeptes de cette Eglise. J’aurais tendance à dire : pourquoi pas ? Je pense que l’un des aspects essentiels, en ce qui concerne la transfusion sanguine pour les Témoins de Jéhovah, est la question de l’information et de l’explication. Les croyances sont d’intensité variable, elles peuvent être ferventes ou tièdes. Il y a une place importante pour le dialogue. Et après tout, il est possible que ces comités de liaison aient pu faciliter les choses plutôt que les aggraver ». C’est précisément notre but.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Merci pour cet exposé synthétique et clair.
Partie II - Questions
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Notre objet n’est évidemment pas de mettre en cause la liberté de conscience ou la liberté religieuse, mais de protéger la santé de nos concitoyens. J’ai lu les écrits de votre Eglise et les déclarations du Consistoire national des Témoins de Jéhovah sur les questions de santé.
Les cas de figure peuvent être très différents. Vos comités interviennent-ils pour aider les patients à refuser une transfusion sanguine ? Pour chercher une autre solution ? Une autre équipe ?
M. Hervé Ramirez. - Dans 99 % des cas, nous communiquons des informations sur les équipes capables d’apporter les soins nécessaires dans le respect des demandes du patient. Refuser ou non la transfusion sanguine n’est pas de notre ressort. Cette décision est prise par le patient avec son médecin : nous n’en sommes pas informés et ne souhaitons pas l’être. Nous facilitons simplement les relations entre ces deux acteurs.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela suppose de pouvoir programmer les choses, d’avoir un certain délai devant soi. Comment faites-vous en cas d’urgence, si le patient est victime d’un accident ou subit une évolution brutale de sa pathologie ?
M. Hervé Ramirez. - Nous avons deux objectifs : d’abord, identifier dans la littérature scientifique les données utiles au médecin ; ensuite, entrer en contact avec des équipes soignantes complémentaires susceptibles de mettre en œuvre des stratégies alternatives.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ne tournons pas autour du pot : si la vie du patient est en jeu, le recours à la transfusion sanguine est-il freiné, au risque de provoquer sa mort ?
M. Hervé Ramirez. - Si frein il y a, c’est le patient qui l’aura actionné, en exprimant ses convictions. Nous ne faisons que faciliter le dialogue sur le plan technique.
Mme Muguette Dini. - Et si le patient est inconscient ?
M. Hervé Ramirez. - C’est un cas compliqué.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - La famille intervient.
M. Hervé Ramirez. - Oui, si elle dispose des volontés du patient à cet égard. La législation varie selon les pays. En France, les directives du patient ne s’imposent pas au médecin.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il n’y a jamais d’intervention de votre part dans l’établissement hospitalier autre que celle du conseil pour aller consulter une autre équipe ?
M. Hervé Ramirez. - Nous intervenons dans l’hôpital à la demande du patient. Nous établissons un contact avec le médecin. Nous proposons des solutions, puis nous nous retirons.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si le médecin refuse vos solutions, vous n’insistez donc pas ?
M. Hervé Ramirez. - Non. Nous informons simplement le patient et sa famille. Mais il est souvent plus facile de dialoguer simultanément avec les deux, car il peut être délicat pour le patient de faire valoir à son médecin l’existence d’autres équipes médicales à même de le soigner.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - En matière de santé, les Témoins de Jéhovah ne sont-ils hostiles qu’aux seules transfusions sanguines ?
M. Guy Canonici. - Oui. Les Témoins de Jéhovah se soignent, ils ne croient pas aux guérisons miraculeuses ni aux thérapies ésotériques. Seul le sang pose problème, pour des motifs religieux que je peux vous exposer brièvement.
Le mot « sang » revient près de 500 fois dans la Bible. Sa première occurrence se trouve dans la Genèse IV-10 : « le sang de ton frère crie vers moi ». Le sang qui crie est le symbole de la vie. C’est la raison pour laquelle les Témoins de Jéhovah ne commettent pas d’actes de violence ni ne prennent part aux guerres. La deuxième occurrence du mot interdit la consommation de sang (Genèse, IX-4), interdiction qui revient de nombreuses fois. Dans les Actes des Apôtres, il est question enfin de « s’abstenir du sang » (XV-20), de « se garder du sang » (XXI-25). Cette idée a été élargie aux pratiques mêmes postérieures, comme la transfusion sanguine.
Est seul admis l’usage rédempteur et propitiatoire du sang. Chez les Juifs, le Grand Pardon en est l’illustration. Cette notion trouve son épanouissement dans le fait que le Christ a versé son sang pour racheter les péchés de l’Humanité. Le sang entre par ce biais dans le champ du sacré. Je rappelle que nous sommes chrétiens, croyons à la Bible, texte d’essence divine. Le sang n’est pas un liquide anodin, c’est le liquide vital par excellence.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Qu’en est-il de la vaccination et des soins palliatifs ?
M. Guy Canonici. - Les Témoins de Jéhovah se font bien sûr vacciner. J’ajoute que les Témoins de Jéhovah qui le souhaitent peuvent subir une transplantation. J’en connais personnellement. Ils n’ont simplement pas subi de transfusion sanguine.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Et les prises de sang ?
M. Guy Canonici. - J’en fais une dans deux jours.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il est parfois dit que les enfants qui ont recours à une transfusion sanguine sont rejetés.
M. Guy Canonici. - C’est du délire. Nul n’a le monopole de l’affection parentale. Les Témoins de Jéhovah aiment leurs enfants, en prennent soin et souffrent de les voir malades. Lorsqu’une transfusion sanguine se révèle indispensable, ils sont sans doute perturbés. Mais dire qu’ils en concevraient un rejet de leurs enfants, c’est absurde !
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre position pose un problème de santé publique. Les transfusions sanguines peuvent sauver des vies : la perte de chance thérapeutique ne vous trouble pas outre mesure ?
M. Hervé Ramirez. - D’un point de vue médical, c’est plus compliqué. La transfusion sanguine sauve des vies mais en fait perdre également. La médecine repose toujours sur un rapport bénéfices - risques. Par exemple, les anti-inflammatoires sont des médicaments d’usage très courant, bien qu’on les sache de nature à provoquer des ulcères parfois hémorragiques, mais le bénéfice de leur consommation est supérieur au risque qu’ils font encourir. Les stratégies d’épargne sanguine ont aussi un rapport bénéfices - risques positif. Il est des cas où le risque dépasse le bénéfice attendu, mais ils sont rares. C’est alors à l’éthique de prendre le relai, c’est-à-dire au patient de choisir. Reste que les études générales comparant ces stratégies d’épargne sanguine aux transfusions sanguines font état de taux de mortalité et de morbidité similaires, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’effets secondaires, quelle que soit la stratégie à laquelle on a recours.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je conçois que l’on ait des convictions et comprends votre approche, mais nous touchons là aux limites de votre propos. Les vaccins, par exemple, présentent un bénéfice infiniment supérieur aux risques qu’ils font encourir. Ne pas s’en servir constitue indiscutablement une perte de chance thérapeutique. Le choix du patient pose déjà problème au patient lui-même et au médecin ; si on le contraint en plus par des considérations religieuses, on met en cause tout le système de santé.
M. Hervé Ramirez. - Je serais plus nuancé sur le problème de santé publique. Les stratégies d’épargne sanguine ont été validées. Le taux de mortalité est similaire à celui observé en cas de transfusion sanguine. Au cas par cas, j’admets que la situation est plus difficile dans certains cas extrême, et que la question est alors davantage éthique.
M. Alain Néri. - J’étais rapporteur, à l’Assemblée nationale, de la loi contre le dopage. Je me souviens que le conseiller d’Etat Guy Braibant considérait les contrôles sanguins impossibles à réaliser au motif que le sang était une substance intime, presque sacrée. Les choses ont évolué…
J’ai en outre été formateur dans une section d’études spécialisées. J’encadrais notamment des enfants de Témoins de Jéhovah dans des activités de menuiserie. Je respecte toutes les croyances - et demande en retour le même respect pour l’athéisme - mais des questions morales m’assaillaient. En cas d’accident par exemple, il aurait pu m’incomber la responsabilité de demander une transfusion sanguine pour la victime… Convenez que de tels cas de figure remettent en question les relations de la vie en société !
Vous dites n’être pas opposés aux greffes. Il y a toutefois de nombreux actes qui nécessitent du sang. Les médecins sont là pour sauver des vies…
M. Alain Milon, président. - Vous êtes donc contre l’euthanasie !
M. Alain Néri. - C’est différent, je défends le droit de partir dans la dignité. Bref, confrontés à une opération nécessitant une transfusion sanguine, vous êtes face à un dilemme. Certes, les transfusions sanguines sont parfois des échecs, comme les vaccins, mais les bénéfices que l’on en retire sont généralement bien supérieurs aux risques qu’ils présentent. Ne peut-on aller au-delà de ces restrictions, au motif que sauver une vie prime tout ?
M. Guy Canonici. - Ce n’est pas au professeur ou à l’encadrant de dire si l’enfant doit être hospitalisé ou non. C’est le rôle du médecin, qui contactera les parents.
M. Alain Néri. - Et s’il y a urgence ?
M. Guy Canonici. - De quel droit interviendrait-il ? Quelle compétence a-t-il pour dire s’il faut une transfusion sanguine ou non ?
M. Alain Néri. - Imaginez le cas où l’on doive, en urgence, confier un enfant au médecin.
M. Guy Canonici. - C’est très simple dans un tel cas. Voyons les choses clairement et simplement. L’enfant est amené, par le Samu imaginons, à l’hôpital. Il y a là un médecin qui s’occupe de lui, et immédiatement les médecins appellent les parents. Donc, ensuite, c’est l’affaire des parents avec le médecin. Il arrive que des médecins décident de transfuser l’enfant dans des situations d’urgence, la loi les y autorise, il n’y a rien à dire à cette situation.
La transplantation cardiaque exige en effet du sang. Mais certaines équipes utilisent des techniques qui permettent de s’en dispenser. Je connais des Témoins de Jéhovah qui ont subi de telles interventions sans transfusion. Récemment, une greffe de poumon a même été réalisée de cette façon.
Mme Muguette Dini. - Certains Témoins de Jéhovah refusent-ils une transplantation au motif qu’elle ne peut se faire sans transfusion sanguine ?
M. Hervé Ramirez. - Cela peut arriver. On s’adresse alors à d’autres équipes et une autre solution est proposée. Mais d’autres paramètres sont parfois en jeu dans la décision.
Mme Muguette Dini. - Vous en ajoutez un nouveau !
Si le Témoin de Jéhovah accepte une transfusion sanguine, quelles conséquences doit-il en attendre au sein de la communauté ?
M. Guy Canonici. - Vous sous-entendez que sa décision soit connue de sa communauté.
Mme Muguette Dini. - Elle peut ne pas l’être, en effet. Mais si elle l’est, par sa famille, ou de son propre aveu ?
M. Guy Canonici. - Cela fait de nombreuses suppositions. Si sa décision s’accompagne d’un refus de rester dans la communauté, celle-ci en prendra acte. Si la personne souffre de sa décision et s’en ouvre à la communauté, alors les ministres du culte locaux prieront avec lui pour l’aider à retrouver la paix de l’âme.
Mme Muguette Dini. - Les Témoins de Jéhovah se réunissent beaucoup ; les enfants sont souvent associés à leurs réunions. Outre l’ennui qu’ils peuvent éprouver dans de telles réunions, cela ne risque-t-il pas de causer un trouble à leur santé, par le manque de sommeil ?
M. Guy Canonici. - J’ai déjà entendu ce discours chez certains de nos détracteurs. Les Témoins de Jéhovah se réunissent deux fois par semaine au maximum. Les parents amènent parfois leurs enfants avec eux. Pour ceux-ci, ces réunions ne sont pas nécessairement ennuyeuses.
Mme Muguette Dini. - Mais elles peuvent l’être !
M. Guy Canonici. - Comme peut l’être la messe. Mais ces réunions, elles, sont pleines de vie et d’intérêt. Cela représente au plus trois heures, trois heures et demie par semaine : les enfants y font plus de progrès, à mon avis, que ceux qui passent ce temps devant la télévision.
Mme Muguette Dini. - Ce n’est pas exclu.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela dépend de ce qu’ils regardent !
M. Guy Canonici. - Dans ces réunions, les enfants entendent des paroles et une réflexion sur les grandes questions de la vie, sur la vie en société, qui implique sens du devoir, travail, effort, persévérance… Cela ne peut que les aider à l’école et, plus tard, dans leur vie professionnelle. Ces valeurs, je crois, font défaut à beaucoup de jeunes de nos jours, qu’on voit désoeuvrés et inactifs. Nous voulons des enfants éduqués. Bien sûr, les enfants peuvent s’ennuyer.
M. Alain Milon, président. - Heureusement !
M. Guy Canonici. - Je vous l’accorde. L’ennui peut être une échappatoire tout à fait nécessaire à leur psychologie. Mais nous sommes loin des CLH…
Mme Muguette Dini. - Mais près de la santé !
Autre question : la loi française prévoit que chaque famille est libre de donner à ses enfants l’éducation religieuse de son choix. Les Témoins de Jéhovah me semblent toutefois avoir tendance à isoler leurs enfants de ceux des autres, ce qui pourrait presque faire penser à du lavage de cerveau…
M. Guy Canonici. - Cette expression me rappelle les débats que j’ai pu avoir dans ma jeunesse sur ce qui se passait en Corée : pouvait-on résister à un lavage de cerveau ? Rien de tel chez nous. Nous éduquons nos enfants, afin qu’ils ne manquent pas de valeurs et de repères comme c’est souvent le cas dans notre société. Mais un enfant est un être humain libre, qui peut, à un certain moment, décider d’accepter ou de ne pas accepter de vivre comme ses parents. Les Témoins de Jéhovah, comme les Israélites, les Catholiques, les Protestants…ou les athées, ont des enfants qui, après l’adolescence, orientent leur vie différemment. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas lavage de cerveau !
Mme Muguette Dini. - Mais ne peut-on parler d’une emprise excessive ?
M. Guy Canonici. - Combien de mères castratrices dans la société française ? Combien de mères possessives qui étouffent leurs fils ? Cela n’a pourtant rien à voir avec la religion, et n’est pas traité par la justice…
M. Alain Milon, président. - Une remarque, à propos des anti-inflammatoires : le danger, s’il y en a, se manifeste immédiatement.
L’épargne sanguine est le résultat du progrès médical, et de nulle autre chose. Par exemple, les opérations de chirurgie digestive, qui nécessitaient autrefois d’ouvrir le ventre, se font désormais à 90 % par voie intérieure. Les greffes, comme la majorité des opérations chirurgicales programmées, peuvent se faire quasiment sans apport de sang. Que cela bénéficie aux Témoins de Jehovah, tant mieux, mais ils n’ont pas été le moteur de ce progrès.
Deux cas me semblent poser vraiment problème : les accidents sur la voie publique, qui donnent souvent lieu à des hémorragies considérables, et les hémorragies utérines lors d’accouchements, qui sont gravissimes et réclament une réponse urgente, ce qui ne laisse pas le temps de consulter ou de demander l’avis du patient.
Quelle est votre position sur l’autotransfusion ? Et, de manière corollaire, que pensez-vous de l’isolation et du stockage de cellules souches issues du sang du cordon ombilical à des fins d’utilisation personnelle, telle qu’elle est prévue par la loi que nous avons votée au Sénat à l’instigation de notre ancienne collègue Marie-Thérèse Hermange ?
M. Hervé Ramirez. - Il faut distinguer entre l’autotransfusion avant l’opération, que nous refusons, et pendant celle-ci, que nous pouvons accepter.
M. Alain Milon, président. - Dans les chirurgies programmées très hémorragiques, refusez-vous l’autotransfusion ?
M. Hervé Ramirez. - Cette technique est refusée, mais les équipes peuvent optimiser la masse érythrocytaire, par exemple avec de l’érythropoïétine ou du fer intraveineux, pour être sûres que le jour de l’intervention la masse sanguine du patient sera conséquente. Les transfusions autologues per opératoires peuvent être pratiquées. En ce qui concerne les cellules souches du sang de cordon, c’est à chaque patient de décider s’il accepte ou non. Il y a eu des greffes de cellules souches chez des patients Témoins de Jéhovah.
L’obstétrique pose des problèmes complexes. Les techniques de récupération du sang supposent une préparation adéquate. Certaines équipes les pratiquent quand elles anticipent un accouchement difficile, même si cela suscite des controverses.
M. Alain Milon, président. - Vous savez bien qu’on n’a pas le temps de chercher dans ces cas-là l’équipe adéquate : une hémorragie utérine ne vous laisse que quelques minutes avant la mort.
M. Hervé Ramirez. - Oui. En cas d’hémorragie massive, il y a aussi l’embolisation, l’utilisation du facteur VII… J’ai assisté à plusieurs conférences : les connaissances évoluent.
Mme Muguette Dini. - Les femmes qui partagent vos croyances accouchent-elles de préférence dans certaines maternités, ou choisissent-elles les maternités les plus proches ?
M. Hervé Ramirez. - En général, elles s’efforcent d’accoucher dans une maternité qui a une expérience suffisante pour mettre en œuvre ces stratégies.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous ne donnez pas votre sang ? Même au cas où un accident très grave créerait un besoin massif ? Je ne parle même pas des périodes de guerre.
M. Guy Canonici. - Les Témoins de Jéhovah sont cohérents : ils n’acceptent pas de sang, ils n’en donnent pas. Ils n’interdisent pas aux autres d’en donner…
M. Alain Néri. - Il ne manquerait plus que ça !
M. Guy Canonici. - Nous ne cherchons pas à convaincre les autres de ne pas donner leur sang.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous savons tous qu’on a besoin de sang pour sauver des vies. Le refuser systématiquement me paraît problématique.
M. Guy Canonici. - La situation dramatique que vous évoquez est un cas théorique…
M. Jacques Mézard, rapporteur. - L’insuffisance des dons de sang est une situation dramatique bien réelle.
M. Guy Canonici. - C’est pourquoi l’avènement de techniques permettant de soigner en limitant le besoin de sang est un grand progrès.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certes, mais il ne ressuscitera pas celles et ceux qui ont perdu la vie faute de sang disponible.
M. Alain Néri. - Vous vous reportez beaucoup à la Bible. Un de ses versets dit : « tu ne tueras point ». Quid de la non-assistance à personne en danger que représenterait un refus de donner son sang au cas où celui-ci serait immédiatement nécessaire pour sauver quelqu’un ?
M. Guy Canonici. - C’est une question de juriste, qui à mon avis ne se pose pas.
M. Alain Milon, président. - Merci.