Compte rendu
Commission d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
– Audition commune sur les pratiques cultuelles en milieu carcéral :
M. Marc Alric, aumônier national orthodoxe
Mme Lama Drupgyu, aumônière nationale bouddhiste
M. Jean-Marc Fourcault, aumônier national témoin de Jéhovah
M. Pascal Hickel, aumônier national protestant
M. Bruno Lachnitt, aumônier national catholique
M. Mohamed Loueslati, aumônier national musulman
M. Avraham Philippe Chelly, aumônier régional Île-de-France israélite
– Présences en réunion
Mardi
26 octobre 2021
Séance de 18 heures 15
Compte rendu n° 30
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Présidence de
M. Philippe Benassaya, président de la commission
COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES DYSFONCTIONNEMENTS ET MANQUEMENTS DE LA POLITIQUE PÉNITENTIAIRE FRANÇAISE
Mardi 26 octobre 2021
La séance est ouverte à dix-huit heures trente-cinq.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission d’enquête)
M. le président Philippe Benassaya. Nous vous remercions de votre présence parmi nous afin d’aborder les pratiques cultuelles en milieu carcéral, un sujet d’étude très important dans le cadre de notre commission d’enquête. Comme vous le savez, cette commission a été créée à la demande de mes collègues du groupe Les Républicains en vue d’identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Nous nous sommes fixé un vaste cadre englobant de nombreux sujets que Mme la rapporteure vous résumera dans un instant.
La table ronde de ce soir intervient alors que nous nous sommes déjà penchés sur de nombreuses thématiques carcérales lors de nos visites sur le terrain, y compris le sujet qui vous concerne plus particulièrement. Dans le cadre d’un état de droit veillant au respect de la liberté de conscience pour tous, et peut-être davantage pour les personnes privées de la plupart de leurs autres libertés, l’exercice du culte dans le milieu pénitentiaire est essentiel.
Cependant, les contours de vos interventions auprès des personnes détenues restent parfois méconnus ; c’est pour cette raison que nous vous interrogeons ce soir et qu’il nous a semblé essentiel de vous entendre conjointement, notamment à une époque où la religion sert parfois de prétexte à des radicalisations violentes, dangereuses pour la société et rendant parfois particulièrement hypothétique la réinsertion après la prison.
Mme Caroline Abadie, rapporteure. Notre commission d’enquête s’est penchée sur le milieu pénitentiaire à travers le prisme de la surpopulation carcérale, que nous peinons malheureusement à endiguer depuis plusieurs décennies. Cette surpopulation carcérale peut entraîner des conséquences que nous tentons de mesurer, tout en cherchant à comprendre comment y remédier, notamment en matière de réponse pénale ou de conditions de détention.
Nous avons notamment eu l’occasion d’évoquer le parc immobilier et sa rénovation, l’encadrement et l’accompagnement dont bénéficient les détenus, à travers les ressources humaines de la direction de l’administration pénitentiaire, mais aussi par les associations, les entreprises et d’autres acteurs qui leur offrent des chances de réinsertion supplémentaires.
Parmi les thématiques intéressant nos collègues du groupe Les Républicains figuraient également la radicalisation en prison et la laïcité, des sujets que nous voudrions explorer afin de comprendre comment les détenus peuvent poursuivre leurs pratiques religieuses sans se voir potentiellement endoctriner par des codétenus.
M. le président Philippe Benassaya. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(M. Marc Alric, Mme Lama Drupgyu, M. Jean-Marc Fourcault, M. Pascal Hickel, M. Bruno Lachnitt, M. Mohamed Loueslati et M. Avraham Philippe Chelly prêtent successivement serment.)
Mme Lama Drupgyu, aumônière nationale bouddhiste. L’aumônerie bouddhiste des prisons figure parmi les plus récentes, ce culte ne s’étant implanté que depuis peu en France. Nous sommes reconnaissants de la main tendue par le ministère de l’intérieur dans la mise en place de ce projet. Le premier aumônier national a été élu en 2014 par le conseil d’administration de l’Union bouddhiste de France. Il est soutenu par un conseil des directions des aumôneries au sein du conseil d’administration de l’UBF. Ce conseil accompagne l’aumônier national dans la mise en œuvre de la politique établie, dans l’évaluation des besoins, la mise en place et le suivi des projets. Nous disposons également d’un petit secrétariat pour nous aider dans l’organisation.
Nos aumôniers sont bénévoles, religieux ou laïcs engagés. Les candidats sont des pratiquants confirmés et désignés comme tels par les dirigeants de leur communauté. Après plusieurs entretiens, l’UBF leur propose une formation initiale et continue sur la connaissance des différentes et nombreuses traditions bouddhistes, mais aussi sur la laïcité, les aspects juridiques, le secret professionnel, etc. Actuellement, nous sommes environ vingt aumôniers, cet effectif comptant autant d’hommes que de femmes.
L’UBF reste à l’écoute des différentes formations proposées par les autres cultes et par les administrations. Le choix de l’UBF est de préserver le statut bénévole des aumôniers qui représentent une présence, un don que nous souhaitons offrir aux personnes en situation de détresse. Nous considérons que le rôle de l’aumônier est d’apporter une assistance spirituelle aux personnes qui en font la demande, soit individuellement dans leur cellule, soit dans un parloir, soit lors du culte dans les salles mises à disposition.
Le culte s’organise autour d’un temps de méditation avec un court rituel, des instructions, une lecture de textes et un échange avec les personnes présentes. L’aumônier est à l’écoute des besoins et propose un accompagnement adapté à la personne qui le souhaite. Il peut fournir des instructions plus spirituelles ou spécifiques selon le besoin et la demande de cette personne.
Pour nous, l’apport d’une dimension spirituelle dans les lieux de privation de liberté est extrêmement précieux et représente une porte vers la liberté. Il contribue à améliorer les relations avec les autres personnes détenues ainsi qu’avec les surveillants, et à faciliter la réinsertion. C’est pourquoi l’UBF ne souhaite pas que les aumôniers s’écartent de cette fonction spirituelle.
En ce qui concerne les difficultés que nous rencontrons, nous constatons une très grande disparité entre les établissements s’agissant de leurs conditions matérielles, de leur organisation et des personnels. On peut dire qu’entre les deux extrêmes que représentent une salle de culte trop petite, extrêmement bruyante, sans intimité et une pièce réservée exclusivement au culte bouddhiste, les aumôniers doivent faire face à des conditions totalement différentes et très variées.
L’accès au culte n’est pas non plus facilité par le manque d’accès à l’information ou sa mauvaise circulation. Il arrive parfois que, sous le choc de l’incarcération, un nouvel arrivant ne soit pas à même d’enregistrer toutes les informations qu’il reçoit, ce qui est compréhensible.
Par ailleurs, qui sait ce qu’est un aumônier ? En principe, une personne détenue doit être informée qu’elle peut demander à rencontrer un ou plusieurs aumôniers, qu’elle peut changer de confession ou en suivre plusieurs à la fois : c’est sa liberté. Or cette information n’est pas facilement accessible. Elle est même parfois méconnue des personnels surveillants eux-mêmes. On peut également souligner l’environnement difficile dans lequel intervient la pratique du culte en prison – par exemple, le bruit permanent, la télévision parfois allumée nuit et jour, les vapeurs de tabac ou de drogue. Tout cela ne facilite pas la méditation, l’introspection ou la réflexion spirituelle.
Pour ce qui est de la radicalisation en prison, je dirais que le rôle de l’aumônier bouddhiste n’est pas de combattre, mais d’accompagner les personnes qui le souhaitent vers un chemin de sagesse et de libération. Les lieux d’enfermement, de désœuvrement et de souffrance peuvent favoriser le désespoir et la colère, induire des comportements violents et pousser à la rigidité d’esprit et au dogmatisme comme moyens de préservation. Il n’est donc pas étonnant que certains esprits cherchent des voies extrêmes et se radicalisent en prison.
L’essence de la voie bouddhiste repose sur la conduite éthique, la bienveillance et l’apaisement de l’esprit. Le rôle de l’aumônier est de montrer le caractère nuisible pour soi-même et pour les autres des actions et des émotions négatives, ainsi que les dangers des tendances qui conduisent à la radicalité de l’esprit. Pour cela, il est nécessaire de bénéficier d’un espace de rencontre et d’écoute sécurisant permettant de développer une relation de confiance. Cet espace peut voir le jour n’importe où entre deux personnes, mais sa mise en place est grandement favorisée lorsque l’on dispose d’un lieu paisible, qui permet cette rencontre et encourage l’entraînement à la voie spirituelle.
Si j’ai fait part ici de nos constats de dysfonctionnements, je voudrais aussi rendre hommage à la majorité des surveillants que nous rencontrons, lesquels se montrent bienveillants et soutenants. Une piste d’amélioration pourrait toutefois consister en des sessions de formation sur plusieurs jours en présentiel, rassemblant des surveillants et des aumôniers pour qu’ils apprennent à se connaître et à se respecter. Ce serait également l’occasion de faire comprendre au personnel pénitentiaire que l’aumônerie est aussi là pour les aider. Nous pourrions étudier ensemble des questions telles que la liberté de conscience, le libre exercice du culte, les différents courants spirituels, la laïcité, mais aussi les règles de sécurité, d’écoute bienveillante, la prévention du suicide, le secret professionnel, etc.
D’autres pistes d’amélioration nous semblent davantage institutionnelles, comme le renforcement du nombre de surveillants, qui constitue une vraie nécessité pour permettre plus de fluidité dans les déplacements, ou un soutien financier renforcé aux aumôneries afin de les aider à s’organiser et à former et à recruter les aumôniers.
M. Jean-Marc Fourcault, aumônier national témoin de Jéhovah. Depuis 2014, l’aumônerie du culte des témoins de Jéhovah apporte une réponse aux demandes d’assistance spirituelle exprimées dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer. Dès le départ, notre aumônerie s’est organisée en s’adaptant au caractère déconcentré des administrations pénitentiaires avec un aumônier national également chargé de l’outremer, des aumôniers régionaux et locaux, soit un total à ce jour d’environ 230 intervenants agréés, dont 35 femmes et 195 hommes. Je précise que cet effectif s’avère actuellement suffisant tant sur le plan de la répartition géographique que pour faire face au nombre de personnes qui sollicite l’assistance spirituelle d’un de nos ministres du culte.
Nos aumôniers ont entre 33 et 74 ans, 75 ans étant l’âge-limite pour exercer cette fonction. Les deux tiers d’entre eux mènent une vie active sur le plan professionnel et sont par exemple artisans, fonctionnaires, salariés du secteur privé, chefs d’entreprise, etc. Le troisième tiers est composé de retraités. L’ancienneté moyenne des aumôniers témoins de Jéhovah est de cinq ans. D’un point de vue religieux, tous assument des responsabilités ou des missions cultuelles au sein de leur assemblée de fidèles. Dans leur grande majorité, nos aumôniers sont de nationalité française. Quelques-uns disposent de titres de séjour réguliers ou sont citoyens d’un des pays de l’Union européenne.
Les aumôniers témoins de Jéhovah considèrent que leur activité cultuelle en tant que telle représente une composante de leur sacerdoce et de leur dévotion à Dieu. C’est sur cette base qu’ils financent eux-mêmes les dépenses occasionnées par leur activité d’aumônerie. De cette position de principe découlent trois effets sur leur statut. Premièrement, les aumôniers disposent déjà d’une couverture d’assurance maladie et de retraite liée à leur régime social. Aucun d’eux n’est demandeur d’un quelconque statut. Le deuxième effet a trait au budget national. En effet, lorsqu’en 2014, la DAP – direction de l’administration pénitentiaire – a proposé à l’aumônerie des témoins de Jéhovah de bénéficier comme les autres aumôneries d’un remboursement, même partiel, des dépenses d’aumônerie comme prévu par la loi, elle a décliné cette proposition. Vous l’avez compris, les aumôniers témoins de Jéhovah sont bénévoles.
La formation initiale et continue est au cœur des préoccupations et de l’action de notre aumônerie. Elle est dispensée individuellement lors de l’agrément puis lors de sessions nationales biennales. Elle s’articule autour de sujets tels que la connaissance et la compréhension du rôle et des règles de fonctionnement de l’institution pénitentiaire, à travers un examen minutieux des textes de référence, par exemple, les circulaires de l’administration pénitentiaire. La traduction pratique du principe de laïcité dans l’action de l’aumônier et les modalités de l’assistance morale et spirituelle aux personnes privées de liberté sont également examinées en profondeur. Je soulignerais aussi le rôle des aumôniers régionaux dans la formation continue des aumôniers de leur région pénitentiaire, y compris à travers un accompagnement sur place. Ces formations internes ne remplacent pas les formations que l’administration pénitentiaire dispense à tous les aumôniers, mais elles s’y ajoutent simplement.
Au quotidien, notre aumônerie adapte ses interventions aux sollicitations et besoins exprimés par les personnes détenues. Il s’agit souvent d’entretiens individuels, d’offices cultuels, d’échanges de courriers ou encore de réponses aux appels téléphoniques au numéro vert gratuit qui est en fonctionnement sept jours sur sept à l’initiative de l’administration pénitentiaire. Les sollicitations de certaines personnes détenues conduisent parfois nos aumôniers locaux à sortir de leurs fonctions religieuses et investir un rôle social. D’une manière générale, les aumôniers témoins de Jéhovah font le choix de s’en tenir au périmètre d’assistance spirituelle défini par les lois et textes réglementaires. Ils restent cependant attentifs aux aspects sociaux et signalent par exemple aux fonctionnaires de la pénitentiaire tout risque de passage à l’acte d’une personne détenue, soit contre sa propre vie, soit contre celle d’une autre personne.
Généralement, les infrastructures mises à notre disposition nous conviennent, dès lors que les rencontres peuvent se tenir dans un endroit propice au recueillement religieux et garantissant la confidentialité.
La contribution des aumôniers témoins de Jéhovah face au défi de la radicalisation en prison se manifeste dans les valeurs chrétiennes qu’ils partagent : la non-violence verbale et physique, le respect de l’intégrité physique et de la liberté de l’autre, autant de facettes de l’amour du prochain décrit par l’évangéliste Jean, dont je cite à présent l’épître : « Nous devons aimer non seulement en paroles ou par des discours, mais par des actes et avec sincérité. » J’ajoute que, lorsqu’un aumônier a connaissance de l’existence de pressions de nature radicalisée sur une personne détenue, il se fait un devoir d’assurer une transmission rapide de cette information à l’autorité pénitentiaire compétente, quitte à s’en charger lui-même.
Nous avons identifié deux axes d’amélioration pour garantir le libre exercice du culte en détention. Il conviendrait tout d’abord de réduire les délais d’instruction et de réponses de l’administration pénitentiaire et des préfectures dans le cadre de nos demandes d’agrément. En effet, ces délais sont souvent longs et ont pour effet de priver des personnes détenues de l’assistance spirituelle du culte de leur choix. Le deuxième axe d’amélioration identifié concerne les délais liés au temps d’attente et au nombre de dysfonctionnements constatés dans les établissements entre l’arrivée de l’aumônier et la rencontre avec la personne détenue. Ce temps est long et a également pour effets de priver ces personnes de la durée d’attention dont elles ont besoin ou d’aboutir purement et simplement à l’annulation d’échanges prévus avec d’autres personnes.
M. Bruno Lachnitt, aumônier national catholique. La réalité de l’aumônerie catholique est marquée par son histoire. En effet, pendant longtemps, en l’absence d’autres cultes dans les établissements pénitentiaires, les aumôniers catholiques ont fait office d’aumôniers pour tous. Ainsi, des aumôniers catholiques rencontrent encore aujourd’hui des détenus d’autres confessions tout en veillant au respect du chemin de chacun.
Notre priorité consiste à accompagner les personnes qui nous sollicitent vers le meilleur d’elles-mêmes, car être croyant consiste avant tout à croire en ce que l’autre porte de meilleur. Un détenu me disait un jour qu’on ne se lave pas en se frottant dans de l’eau sale. Si cette remarque semble pleine de bon sens du point de vue de l’hygiène, les prisons n’en ont malheureusement pas tiré les conséquences. Dans ce contexte, si nous ne parvenons pas toujours à accompagner notre interlocuteur vers ce qu’il porte de meilleur, nous contribuons néanmoins souvent à éviter le pire.
L’aumônerie catholique compte 694 aumôniers, dont 191 sont indemnisés par l’administration pénitentiaire. Toutefois, tous sont bénévoles, les indemnités perçues étant intégralement reversées aux aumôneries pour en assurer le fonctionnement, ce qui permet par exemple de rembourser les frais de déplacement des aumôniers bénévoles ou d’acheter des bibles ou des chapelets. Sur ces 694 aumôniers, 35 % sont des femmes. On ne recense parmi eux que 18 % de prêtres, 10 % de diacres et 7 % de religieux.
Notre organisation est composée d’aumôniers régionaux ayant chacun un ou une adjointe. L’ensemble de ces aumôniers régionaux, leurs adjoints et l’aumônier national forment un conseil national. Généralement, une équipe d’aumôniers est désignée pour intervenir dans chaque établissement. Les nouveaux aumôniers doivent obligatoirement participer à deux sessions de formation, les régions se réunissant deux fois par an lors de temps de formation. En outre, un congrès national réunit tous les six ans l’ensemble des aumôniers, et il s’agit là encore d’un temps de formation, auquel s’ajoute l’accompagnement des équipes par les aumôniers régionaux et leurs adjoints.
En ce qui concerne la radicalisation, il m’est arrivé en tant qu’aumônier catholique de rencontrer des détenus radicalisés ou à la limite de la radicalisation, notamment en quartier disciplinaire. J’ai toujours estimé que ces rencontres contribuaient par l’écoute à prévenir la radicalisation. En effet, le maintien de ce lien, même ténu, confirmait que la personne détenue n’avait pas totalement basculé dans cette voie.
En ce qui concerne les conditions matérielles, les salles prévues pour l’exercice du culte et celles dédiées aux activités en général sont souvent insuffisantes. Les établissements ont également tendance à transformer les salles polycultuelles en salles polyculturelles, alors que la circulaire de 2014 sur l’exercice du culte en détention précise que chaque établissement doit disposer d’une salle prioritairement dévolue à l’exercice du culte. Nous rencontrons cette difficulté non seulement dans les établissements anciens, mais aussi dans les plus récents. Nous souhaitons que les futurs établissements comportent suffisamment de salles pour accueillir toutes les activités proposées aujourd’hui en détention.
Enfin, je tiens à souligner moi aussi que la formation du personnel pénitentiaire s’agissant de la réalité des aumôneries est à revoir. En effet, nous sommes souvent tributaires des agents de l’administration pénitentiaire lorsque nous souhaitons rencontrer des personnes détenues.
M. Mohamed Loueslati, aumônier national musulman. J’ai abordé l’ensemble de ces questions dans mon livre paru chez Bayard en 2015 : L’Islam en prison. Je serai donc très bref.
L’aumônerie musulmane remontant à 2005, elle est très récente par rapport à d’autres aumôneries présentes depuis plusieurs siècles. Dans ces conditions, il est normal que nous soyons encore en train de nous structurer. L’islam étant une religion sans clergé, nous n’avons pas à nous appuyer sur des instructions venant d’un pays étranger, ce qui nous facilite la tâche et représente un avantage. L’ensemble des musulmans qui vivent en France sont des sunnites originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Il nous est donc facile de nous organiser de façon républicaine, le tout consistant à trouver la bonne formule.
Personnellement, je suis indépendant et n’appartiens à aucune fédération, tout en étant aumônier national. Nous avons ainsi calqué notre organisation sur celle de l’administration pénitentiaire : un aumônier national est nommé par l’administration par décret ou par arrêté sur avis du Conseil français du culte musulman, équivalent de la Conférence des évêques de France. Cet aumônier national supervise ensuite les aumôniers régionaux, au nombre de neuf, qui supervisent à leur tour les aumôniers locaux. Cela montre encore une fois que l’aumônerie est réellement organisée de façon républicaine et indépendante.
Les aumôniers musulmans dans les prisons sont au nombre de 300, ce qui s’avère insuffisant. En effet, leur statut précaire de bénévoles ne leur permet pas d’être suffisamment disponibles. De plus, la tâche qui leur incombe est immense. Ils doivent assurer le culte du vendredi, prévenir les suicides dans les prisons, lutter contre la radicalisation et servir de médiateurs entre le chef d’établissement et les détenus, notamment pour organiser le ramadan, la cantine et les fêtes religieuses. Toutes ces tâches leur reviennent alors qu’ils sont bénévoles et doivent mener en parallèle leur vie de famille et professionnelle. Ainsi, ils ne peuvent consacrer que quelques heures par semaine à la prison. Ce statut n’est pas adapté à la situation ; nous devons progresser sur ce point afin qu’ils puissent être davantage disponibles.
Je parlerai à présent du profil des aumôniers. J’exige toujours qu’ils soient bien intégrés dans la société française pour donner l’exemple aux détenus. Ils sont par exemple enseignants ou informaticiens. Ils doivent en outre maîtriser l’arabe de façon à pouvoir lire le Coran, et bien connaître la religion musulmane pour transmettre la culture arabo-musulmane et être crédibles devant les détenus dont certains ont étudié la théologie en Syrie, en Arabie Saoudite ou en Algérie. Enfin, ils doivent être républicains, francophones, intégrés et avoir suivi des études supérieures en France.
Autrement dit, cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Dès lors, je mets parfois un an à recruter un aumônier. Je trouve plus facilement ce profil parmi la première génération d’immigrés, sunnites apaisés qui ont été formés à la langue arabe et à l’islam dans leur pays d’origine. Je conçois une certaine inquiétude s’agissant de ma capacité à les remplacer par la suite, certains ayant entre 50 et 70 ans. En effet, il n’existe pas d’école pour les aumôniers auprès de laquelle nous pourrions les recruter. Je me bats actuellement pour que tous mes aumôniers obtiennent le DU – diplôme universitaire – requis et qu’ils reçoivent la formation profane, civile et civique obligatoire, quelle que soit la date de leur recrutement. Il faut aussi les sensibiliser à la radicalisation, ce que nous faisons avec des instituts universitaires, l’institut d’études politiques ou le CNRS – Centre national de la recherche scientifique. Je ne dispose toutefois pas de solution concrète pour la formation théologique de base.
Concernant notre relation avec l’administration pénitentiaire, je dirais qu’elle est demandeuse et a besoin de nous. Ainsi, la relation que nous entretenons est bonne. Il est impossible de gérer sans nous une prison où la majorité des détenus sont de culture musulmane. En revanche, il est indispensable de créer un statut pour les aumôniers musulmans pour que cette relation perdure et que nous puissions accéder à autre chose qu’à du bénévolat. Il faut que ce statut garantisse la disponibilité des aumôniers. Si l’accès des prisons aux aumôniers est libre, ils n’ont pas le temps de s’y rendre. Ainsi, le droit n’est pas appliqué, non pas parce que l’administration fait obstacle, mais parce que le prestataire de services est absent.
M. Pascal Hickel, aumônier national protestant. L’aumônerie protestante des prisons est un service de la Fédération protestante de France. Animée par l’aumônier national entouré d’une commission, elle est présente sur le terrain grâce à des équipes locales animées par un aumônier régional et regroupées selon le découpage des régions pénitentiaires.
Nous assurons la formation de ses aumôniers, à commencer par la formation initiale, réalisée par le biais de la faculté de Strasbourg, agréé et reconnu. La formation continue est assurée par des rencontres régulières autour de l’ensemble des domaines de notre activité à raison de deux ou trois fois par an, et par l’organisation de groupes de parole destinés aux aumôniers. Nous organisons en outre une rencontre nationale tous les quatre ou cinq ans.
Les aumôniers sont au nombre de 347, dont un tiers sont pasteurs et 16 % des femmes. Ce chiffre s’explique par le fait que nombre d’entre elles préfèrent rendre visite à d’autres femmes et que ces dernières ne représentent que 3 % de la population carcérale. Nos aumôniers exercent une activité professionnelle ou sont retraités. Leur ancienneté varie, certains étant en activité depuis une vingtaine d’années.
Les aumôniers accomplissent une mission d’accompagnement spirituel auprès des personnes détenues, lors d’entretiens individuels ou de rencontres de groupe, par exemple dans le cadre du culte ou de groupes de partage biblique et de parole. S’inscrivant dans une certaine durée, ils apportent leur expérience et tissent des relations de confiance avec les détenus dans des réalités carcérales qui fluctuent selon les établissements. Le temps de présence des aumôniers auprès des détenus est lui-même variable. Nous veillons à entretenir avec l’administration des relations cordiales et de dialogue.
Notre statut actuel, caractérisé par une présence gratuite et indépendante venant de l’extérieur, nous satisfait, car cela garantit notre crédibilité auprès des détenus. En effet, tous nos aumôniers sont bénévoles. Les indemnités reçues par certains d’entre eux sont mutualisées au sein de la Fédération protestante de France afin de permettre l’exercice de nos activités.
Nos aumôniers n’ont pas de contact avec des personnes radicalisées. Néanmoins, ils participent indirectement à la lutte contre la radicalisation par leur présence. La sélection des aumôniers proposés à l’agrément est extrêmement rigoureuse, et nous faisons preuve d’une vigilance régulière à leur égard. Nous considérons que la lutte contre la radicalisation en prison concerne plutôt d’autres services tels que les renseignements ou les médiateurs du fait religieux, les aumôniers risquant de perdre leur crédibilité auprès des personnes détenues en étant assimilés à l’administration pénitentiaire. Leur tâche consiste à accompagner la vie religieuse au quotidien. De ce fait, ils ont un rôle important à jouer.
Je souhaiterais signaler plusieurs difficultés qui nous inquiètent et nous semblent entraîner une réduction progressive de notre action.
Depuis plusieurs années nous avons constaté qu’il est de plus en plus difficile de rencontrer les nouveaux arrivants pour leur présenter les aumôneries. L’accès à leurs quartiers est réduit, voire impossible, et nous n’avons plus la possibilité de les informer lors des réunions d’information générale qui leur sont destinées. Bien souvent, il ne nous reste que le livret d’accueil, dans lequel est à peine expliqué ce qu’est l’aumônerie, sachant de surcroît que beaucoup des nouveaux arrivants ont du mal à lire ou comprennent mal le français. Cette limitation de l’accès aux aumôniers et donc à la liberté d’exercice du culte est préjudiciable, et s’est encore aggravée en raison de la crise sanitaire.
En outre, l’attitude de nombreux surveillants révèle une forme de réticence qui peut se traduire de différentes manières. Il arrive qu’ils ne cherchent ou n’appellent pas les détenus inscrits pour nous rencontrer. On nous dit parfois que les personnes détenues ne souhaitent pas venir, et nous apprenons par la suite que celles-ci attendaient en fait qu’on ouvre leur cellule pour participer à une rencontre. Récemment, nous avons également reçu des témoignages de propos méprisants, voire racistes, à l’égard de certains détenus, et appris que des courriers d’aumôniers adressés à des détenus, pourtant protégés par la confidentialité, sont parfois ouverts et lus. Je confirme qu’une formation plus adéquate des surveillants nous semble indispensable.
Notons également des délais d’attente trop longs qui gênent le travail des aumôniers et réduisent le temps qu’ils peuvent passer auprès des détenus, mais aussi la réduction du temps de présence possible des aumôniers dans certains établissements, voire du nombre de cultes. Ces délais, voire cette absence de réponses touchent également d’autres domaines tels que l’accès aux soins, notamment aux soins dentaires. Les demandes adressées au conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation – CPIP – restent parfois lettre morte faute d’effectifs suffisants.
Pour ce qui est des infrastructures, elles diffèrent d’un établissement à l’autre. Nous avons parfois accès à une salle polyvalente dont l’état et l’encombrement varient, ou à une salle polycultuelle spécifiquement dédiée au culte. Les rencontres se déroulent quelquefois dans des salles qui s’avèrent indisponibles, sans équipement, ou encore sales, sans tables ni chaises, et souvent en piteux état.
En conclusion, nous regrettons une limitation croissante de l’accès des aumôniers aux personnes détenues, qui risque à terme de compromettre le droit du libre exercice du culte. Seul un retour à la confiance réciproque permettrait d’éviter cette détérioration.
M. Avraham Philippe Chelly, aumônier régional Île-de-France israélite. D’après les archives du Consistoire central israélite de France, donc nous sommes partie intégrante, la première visite d’un rabbin à un détenu en prison en France remonte à 1879.
Notre aumônier national est nommé sur proposition du grand rabbin de France, la décision finale revenant ensuite à l’administration pénitentiaire. Nous sommes également dotés d’un secrétariat général, que je dirige, s’occupant d’assurer le bon déroulement des missions et de superviser nos activités sur le terrain. Notre organigramme est semblable à ceux de mes collègues ici présents : un aumônier national supervise des aumôniers régionaux gérant eux-mêmes des aumôniers locaux.
Nous comptons aujourd’hui soixante-deux aumôniers sur l’ensemble du territoire national. Certaines régions pénitentiaires, comme celles de Bordeaux et de Dijon, ne disposent que d’un seul aumônier pour couvrir l’ensemble de leurs établissements ; Rennes et Lille n’en ont que deux. Ce manque d’effectifs est dû à la mise en place du DU qui oblige à passer un examen pour obtenir un poste rémunéré et agréé par l’administration pénitentiaire. Les aumôniers perçoivent entre 75 et 400 euros par mois. Ce DU représente un véritable frein et a asséché notre vivier de candidats. Comme vous le savez sans doute, les communautés juives se font malheureusement de plus en plus rares dans certaines parties du territoire national ; il est par conséquent difficile de trouver les ressources humaines nécessaires à l’accomplissement de nos missions. Sur l’ensemble de nos aumôniers, trente-neuf sont rabbins et vingt-trois laïcs. Vingt-neuf de nos aumôniers rabbins sont rémunérés et dix bénévoles, tandis que dix de nos aumôniers laïcs sont rémunérés et treize œuvrent bénévolement. Deux femmes travaillent en outre dans notre aumônerie et visitent les maisons d’arrêt de femmes.
Contrairement à M. Pascal Hickel, je pense que nous avons un rôle à jouer face à la radicalisation, qui, selon moi, constitue l’expression d’une non-connaissance de l’autre. Nous devrions travailler de concert avec notre collègue aumônier national musulman dans le but de mener des interventions communes face au public radicalisé. De cette façon, nous pourrions lever les nombreux a priori qui empêchent la compréhension de ce que représente une société. Malheureusement, jusqu’à présent, aucun travail commun n’a été réalisé, ne serait-ce que pour mener une réflexion sur les chemins pouvant aboutir à la déradicalisation.
Je souhaiterais à présent évoquer notre statut, que nous considérons comme un véritable problème. En effet, pour être amélioré, un statut doit déjà exister. Or la fonction d’un aumônier rémunéré, israélite ou de toute autre religion, n’est décrite nulle part. Nous ne sommes ni vacataires ni salariés. Nous ne bénéficions pas de couverture sociale et ne cotisons pas pour la retraite. Nous sommes en totale contradiction avec le Code du travail. Avant les années 80, les aumôniers étaient salariés. Nous sommes ensuite devenus vacataires et ne savons plus quel est notre statut.
Il est temps de revoir la fonction d’aumônier, car nous ne pouvons plus être cantonnés à un simple rôle de soutien spirituel des détenus, dont la situation nous touche directement. Peut-on rester aveugle face à des personnes n’ayant même pas de quoi se vêtir ? Si dans certains cas d’urgence, les services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP – et chefs d’établissement nous autorisent à apporter des vêtements, ce type d’actions ne bénéficie d’aucun cadre. Il est nécessaire de mener une véritable réflexion sur la fonction de l’aumônier pour que nous puissions joindre nos efforts à ceux de l’ensemble des intervenants en milieu carcéral qui luttent pour la réinsertion. Notre action, même si elle est religieuse et spirituelle, doit s’inscrire dans ce chemin.
M. Marc Alric, aumônier national orthodoxe. Le fonctionnement de l’aumônerie orthodoxe est lié à l’organisation même de l’église orthodoxe sur le territoire national. Chaque église située dans un pays de tradition orthodoxe a établi en France, parfois depuis le XIXe siècle, des structures telles que des diocèses ou des paroisses, destinées à prendre en charge l’organisation et la pratique du culte chrétien orthodoxe. Les évêques orthodoxes résidant dans notre pays font partie de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, qui comprend des évêques du patriarcat œcuménique de Constantinople ainsi que des patriarcats d’Antioche, de Géorgie, de Moscou, de Roumanie, de Serbie et de Bulgarie. Cette diversité nationale se retrouve aussi bien parmi les aumôniers orthodoxes que dans la population carcérale et rend parfois la tâche de l’aumônier plus difficile lorsqu’il ne parle pas la langue du détenu qu’il rencontre.
Notre aumônerie est jeune, puisqu’elle remonte à une quinzaine d’années seulement, et modeste en taille. Nous comptons cinquante-six aumôniers et quatre auxiliaires. Parmi ces aumôniers, quarante-six sont rattachés au diocèse roumain, six au patriarcat de Moscou, quatre au patriarcat de Constantinople, trois à celui de Serbie et un seul au patriarcat d’Antioche, le patriarcat de Géorgie ne comptant aucun aumônier. La plupart d’entre eux sont des prêtres, car il est indispensable qu’une personne détenue orthodoxe puisse être entendue en confession si elle le désire, et seul un prêtre peut administrer le sacrement de la confession dans notre église.
Bien sûr, le nombre d’aumôniers est très largement insuffisant au regard du nombre de détenus orthodoxes. Nous sommes loin d’être en mesure de proposer un aumônier à chaque établissement pénitentiaire. Nous nous efforçons donc de recruter davantage d’aumôniers locaux et de confier à un prêtre la charge de visiter plusieurs établissements.
Notre difficulté à trouver des aumôniers tient à notre volonté de recruter principalement des prêtres en mesure de célébrer la liturgie. Or la grande majorité des prêtres orthodoxes en France ont la charge d’une paroisse, ne reçoivent pas ou presque pas d’indemnités, ni de la part des paroisses ni de leur diocèse, et sont presque tous obligés d’exercer une activité professionnelle. Entre leur famille, leur travail et leur paroisse, il ne leur reste que très peu de temps pour assumer une autre responsabilité. Sur nos soixante aumôniers et auxiliaires, seuls huit sont des laïcs, et dix-neuf d’entre eux reçoivent des indemnités. Étant pour la plupart responsables de paroisses, ils sont également présidents de l’association cultuelle qu’ils représentent vis-à-vis de l’État.
Nous entendons souvent évoquer un éventuel rapprochement du statut de l’aumônier de celui des fonctionnaires. En théorie, cela permettrait aux aumôniers de ne plus avoir à exercer d’activité professionnelle grâce au salaire perçu et de se consacrer totalement à leur fonction auprès des personnes détenues. En revanche, le rapprochement de ces statuts fait également craindre à nombre d’entre nous une perte progressive de notre liberté d’exercice du culte, en remettant par exemple en cause le secret de la confession ou en limitant la possibilité de porter le vêtement spécifique aux prêtres et aux moines dans l’enceinte des lieux de détention en cas d’application d’une conception rigide de la laïcité. Même si elles sont infondées, ces craintes sont bien présentes. Si une évolution du statut est envisageable, elle devra être accompagnée de toutes les assurances garantissant la liberté d’exercice du culte orthodoxe de façon à ne pas décourager l’engagement des futurs aumôniers, clercs ou laïcs.
Avant la crise sanitaire, les aumôniers pouvaient rencontrer les détenus dans leurs cellules et les retrouver dans des espaces destinés au culte pour leur proposer une catéchèse ou une célébration liturgique. Pour l’Église orthodoxe, le dimanche est le jour le plus marquant pour réaliser ces célébrations. Dans la plupart des établissements pénitentiaires, les locaux destinés à l’exercice du culte sont déjà réservés ce jour-là. Par conséquent, les activités cultuelles ont souvent lieu en semaine.
Nous saluons le travail réalisé par la plupart des surveillants. Néanmoins, il semblerait que certains d’entre eux n’aient pas encore compris le rôle bénéfique des aumôniers, qu’ils considèrent parfois comme un facteur de complication de leur tâche de surveillance. Il conviendrait peut-être d’améliorer la perception que se font les futurs cadres et surveillants de notre rôle au sein même de l’ENAP – École nationale de l’administration pénitentiaire.
Le terme radicalisation n’a guère de sens dans le quotidien des orthodoxes. Parmi les détenus, il est possible de rencontrer des zélotes, mais la conception étroite et rigide que se font ces personnes de la vie chrétienne ne concerne que des aspects spécifiques à la pratique religieuse quotidienne et n’influence en rien leur comportement à l’égard de leurs codétenus ou de leur entourage en général.
Mme Caroline Abadie, rapporteure. Ma première question est très théorique, et vous apporterez sans doute tous la même réponse. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi certains aumôniers sont indemnisés et d’autres non. Cela est-il lié à la volonté de l’aumônier ou à la détention DU ?
Ma deuxième question concerne votre statut. Le statut d’aumônier militaire vous semble-t-il attractif ? J’ai entendu M. Alric sur les avantages que cela pourrait présenter, mais il semblerait que certains d’entre vous n’y soient pas favorables. Or il est nécessaire de trouver un statut qui convienne à tous.
M. Bruno Lachnitt. Une enveloppe est dévolue à chaque culte. En fin d’année, l’aumônier national reçoit cette dotation et doit renvoyer à la DAP un tableau expliquant la répartition de cette somme entre les aumôniers et les établissements. Chaque culte décide qui est indemnisé et à quelle hauteur, et qui ne l’est pas. En contrepartie de cette indemnité, le service est contrôlé. L’indemnité accordée à un aumônier peut aussi correspondre à sa capacité de présence sur l’établissement.
M. Mohamed Loueslati. Si j’explique à un candidat que la fonction d’aumônier est totalement bénévole, il ne souhaitera pas s’engager. Tout dépend de la situation personnelle de chacun. De plus, accepte-t-il d’agir bénévolement ou souhaite-t-il être indemnisé ?
Concernant votre question sur notre statut, la réponse comprend un aspect théorique et un autre pratique. En effet, sur le plan théorique, l’islam n’est pas comparable au christianisme, car il s’agit d’une religion sans clergé, sans pape.
M. le président Philippe Benassaya. À cet égard, monsieur Loueslati, qui nomme les aumôniers ?
M. Mohamed Loueslati. En 2003, M. Sarkozy a créé le Conseil français du culte musulman, équivalent de la Fédération des évêques de France. Dans un premier temps, le Conseil auditionne les candidats et procède à un vote pour accorder ce que j’appellerais un agrément théologique. L’aumônier national est ensuite nommé par arrêté par le directeur de l’administration pénitentiaire, ce qui lui confère un agrément administratif.
Dans l’islam, le consensus remplace le clergé. Le représentant du culte est désigné par les habitants d’une ville, d’un quartier ou d’un État. C’est notamment le cas des imams dans les mosquées. Cette absence de clergé est une chance pour la France, car elle permet de créer une aumônerie musulmane des prisons de façon républicaine, sans avoir à recevoir l’aval d’une autorité supérieure comme c’est le cas chez les chiites, dont le clergé se trouve soit en Iran soit en Irak.
M. le président Philippe Benassaya. Il existe en effet un clergé chez les chiites, mais non chez les sunnites.
Mme Lama Drupgyu. S’agissant des indemnités, le culte bouddhiste a choisi de suivre la même organisation que les catholiques et les protestants. L’enveloppe donnée au culte est versée à certains aumôniers qui la reversent à leur tour à l’UBF dans sa totalité. Elle sert alors à financer l’organisation des formations et à rembourser les frais de mission. L’enveloppe ne suffit toutefois pas à couvrir la totalité des frais.
M. Bruno Lachnitt. Je souhaitais apporter un éclaircissement. L’aumônier national est proposé à l’administration pénitentiaire par l’instance reconnue par la république comme représentative du culte. Tous les autres aumôniers sont ensuite proposés par l’aumônier national.
M. le président Philippe Benassaya. Y a-t-il des femmes aumôniers, monsieur Loueslati ?
M. Mohamed Loueslati. Cette fonction se féminise en effet. Nous comptons une femme aumônière pour à peu près chaque quartier de femmes. Je souhaitais revenir sur la question du statut et son côté pratique. Si la République ne tient pas compte de l’absence de clergé qui fait la spécificité de l’islam, on risque l’ingérence étrangère. Les aumôniers risquent d’aller chercher de l’argent au Maroc, en Arabie saoudite, en Turquie ou ailleurs, ce qui serait regrettable.
M. Avraham Philippe Chelly. La question du statut constitue un véritable problème de fond sur lequel nous ne sommes pas tous d’accord. Nous devons nous demander s’il est judicieux de continuer à travailler avec une aumônerie formée de rabbins, de bénévoles, de laïcs, ou s’il est préférable de commencer à réfléchir à une professionnalisation de la fonction. Est-il possible de mettre en place des programmes apportant le soutien spirituel nécessaire au milieu carcéral et d’aider à la réinsertion des personnes détenues, si l’on emploie des professeurs des écoles, des retraités dont les impératifs personnels priment parfois sur leur mission ? Nous devons nous montrer pragmatiques et aborder avec honnêteté la question de notre fonction et des objectifs à atteindre.
M. le président Philippe Benassaya. En effet, ce statut est très flou. Nous avons même entendu une proposition lors d’une audition consistant à vêtir les aumôniers de l’uniforme des surveillants de prison pour qu’ils disposent ainsi d’un statut.
M. Avraham Philippe Chelly. Je rejoins M. Alric sur ce point : si la fonction doit être professionnalisée il n’est pas question pour autant d’endosser un uniforme et de ne pas porter de signe distinctif. Je pense qu’un cadre sera défini conjointement avec l’administration pénitentiaire pour revoir le statut, mais surtout la fonction.
M. Bruno Lachnitt. Plusieurs de mes collègues ont évoqué les notions de légitimité et de crédibilité. Le parallèle parfois effectué avec les aumôniers militaires ou d’hôpitaux n’est pas sans limites : en effet, la population à laquelle nous avons affaire est une population contrainte par l’administration. À l’inverse, les militaires sont volontaires et les malades, s’ils sont contraints par la maladie, ne le sont pas par ceux qui les soignent. Il faut donc bien intégrer cette distinction dans le statut qu’on nous attribuera.
M. Pascal Hickel. Nous sommes au service de la population carcérale, tandis que les aumôniers militaires sont au service de l’armée, ce qui représente une petite différence.
M. Mohamed Loueslati. La création d’un statut devrait être associée à une réflexion permettant de garantir à l’aumônier le respect qui lui est dû. S’il est géré par un surveillant, il perdra toute crédibilité. L’armée donne automatiquement le grade d’officier supérieur à l’aumônier, justement pour garantir cette crédibilité. Il nous faut un statut et une valorisation pour réussir dans notre mission.
M. Avraham Philippe Chelly. C’est un point essentiel. Tous les acteurs du milieu pénitentiaire s’accordent à dire que l’apport des aumôneries en détention est positif. Les directeurs de l’administration pénitentiaire vous diront presque tous que notre action est apaisante. Notre intervention a ainsi l’effet d’un médicament comme le tranxène ou d’un anesthésique.
On nous demande parfois d’intervenir en dehors de notre fonction, par exemple pour calmer un détenu particulièrement agité. Or nous ne sommes pas psychanalystes. La question de notre fonction et de sa reconnaissance est centrale. Les états généraux de la justice ont été ouverts à Poitiers, et aucun d’entre nous n’y a été invité. Ils sont pourtant censés être ouverts à tous les professionnels de la justice. En faisons-nous partie, oui ou non ? Notre fonction nous assimile aujourd’hui à la cinquième roue du carrosse.
Mme Caroline Abadie, rapporteure. La semaine dernière, lors d’une réunion des états généraux de la justice en Isère, j’ai constaté qu’ils étaient ouverts à toutes les personnes souhaitant s’exprimer sur ce sujet. L’idée est de permettre aux citoyens de se saisir de la justice, et il est très intéressant d’écouter les échanges entre les personnes qui interviennent dans ce cadre, comme vous, et les citoyens. Les états généraux se poursuivent partout sur le territoire. Vous devez vous sentir libres d’y participer.
M. le président Philippe Benassaya. Sentez-vous effectivement libres d’y participer et de vous exprimer sur les questions très intéressantes que nous avons abordées ce soir. Je retiens que la fonction, la considération et le statut des aumôniers sont des questions clés, des sujets qui nous touchent. Les surveillants eux aussi souffrent d’un manque de reconnaissance de leur fonction par rapport à leurs collègues gendarmes ou policiers. Le milieu pénitentiaire dans son ensemble est peu reconnu, tandis que la réflexion sur d’éventuelles réformes et propositions est parfois restreinte. Nous allons essayer d’y remédier.
La réunion se termine à dix-neuf heures quarante-cinq
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya, M. Michel Herbillon, M. Jacques Krabal
Excusé. - M. Alain Bruneel