Parce que les autorités géorgiennes ont toléré le harcèlement agressif et les violences contre les Témoins de Jéhovah durant les années 2000-2001, avec l’approbation si ce n’est la participation d’agents de l’État, la Cour européenne des droits de l’homme a fermement condamné la Géorgie pour violation de la liberté de religion, pour discrimination et surtout pour traitements inhumains et dégradants à l’encontre de plusieurs dizaines de ses citoyens.
Selon le communiqué du Greffier de la Cour, « La Cour conclut en particulier que les autorités de l’État ne sont pas parvenues à prévenir ces violences fondées sur des motifs religieux, ni à y mettre fin. Elle constate que des agents de l’État ont directement participé à des agressions commises contre des témoins de Jéhovah ou ont toléré des actes de violence perpétrés par des particuliers contre des membres de cette communauté religieuse. Ce faisant, les autorités ont créé un climat d’impunité qui a encouragé de nouvelles agressions dans tout le pays. La Cour souligne en outre la réticence des autorités à veiller à ce que les responsables de ces actes soient traduits en justice en vue d’un procès équitable. »
Par exemple, lors d’un rassemblement religieux dans la propriété privée de l’un des requérants, la police a dispersé les 700 assistants, ouvert le feu, dévasté la maison et même frappé quelques-uns des Témoins de Jéhovah. Plusieurs ont été agressés par des groupes d’individus à l’occasion de la célébration d’une fête religieuse ou de la distribution d’ouvrages bibliques dans la rue. D’autres ont été retenus à un poste de contrôle, pendant qu’un groupe de fidèles de l’Église orthodoxe s’est rendu sur le lieu de rassemblement pour détruire des objets de culte et frapper les participants déjà présents. Le groupe de fidèles orthodoxes mené par l’ancien prêtre surnommé le « père Basile », responsable d’une bonne partie de ces agressions, a même fait irruption en plein procès dans une salle d’audience à Tbilissi en agressant des Témoins de Jéhovah, des journalistes et des observateurs à coups de croix de bois. En témoignent les vidéos qui ont été diffusées par deux chaînes de télévision.
Toutes les plaintes qui ont été déposées par les requérants n’ont abouti à aucun résultat concret, au mieux à une réponse écrite. De plus, les autorités n’ont pris aucune mesure de sécurité lors de la tenue du procès pénal contre deux Témoins de Jéhovah à Tbilissi, malgré le caractère délicat de l’affaire et le risque d’un affrontement violent.
Dans son arrêt du 7 octobre 2014, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme pour 32 des requérants, en tant que victimes de violences physiques, de comportements abusifs, ainsi que d’humiliations lors d’une agression. Les mauvais traitements qu’ils ont subis étaient suffisamment établis par des dépositions détaillées voire des preuves précises, tels que des enregistrements vidéos, non contestées par le gouvernement. Non seulement la police n’a pas empêché ces attaques, mais elle y a parfois même participé.
La Cour a également conclu à la violation de l’article 3 de la Convention pour 47 des requérants en raison du manquement des autorités à leur obligation de mener une enquête effectives suite aux faits dénoncés auprès des autorités compétentes. Selon le Greffier, « les autorités avaient le devoir de vérifier promptement les informations qu’ils leur avaient fournies et de prendre les mesures nécessaires pour poursuivre, le cas échéant, toutes les infractions constatées ». Pourtant, soit les enquêtes n’ont pas été diligentées à la suite de certaines plaintes, soit elles ont rencontré divers dysfonctionnements, même lorsqu’il existait des preuves suffisantes permettant d’identifier les coupables.
Pour les magistrats européens, « le caractère discriminatoire des mobiles des attaques perpétrées contre les requérants, tous témoins de Jéhovah, par leurs agresseurs – particuliers ou agents de l’État – ressort clairement de l’étendue des dommages et de l’ampleur des violences constatées en Géorgie à l’époque pertinente ». En outre, les nombreux dysfonctionnements relevés « suffisent à la Cour pour conclure à l’existence d’une pratique systématique des autorités géorgiennes consistant à refuser d’enquêter de manière adéquate et effective sur les violences perpétrées contre les témoins de Jéhovah ».
La violation de l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention a aussi été retenue pour 88 des requérants, dans la mesure où le gouvernement n’a pas contesté que les requérants ont été harcelés, humiliés et que certains ont été agressés physiquement, en raison de leurs convictions religieuses. La juridiction siégeant à Strasbourg a reproché à l’État géorgien « l’absence de réaction adéquate des autorités aux atteintes violentes, réitérées et massives portées à la pratique religieuse des témoins de Jéhovah », rappelant que ces autorités avaient le « devoir de prendre les mesures nécessaires pour garantir aux témoins de Jéhovah le respect de leur liberté de religion ».
Enfin, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention, combiné avec les articles 3 et 9, car il est clairement « établi que les diverses formes de violence exercées contre les requérants par des agents de l’État ou par des particuliers étaient motivées par une attitude sectaire à l’égard de la communauté des témoins de Jéhovah, et que ce même état d’esprit discriminatoire constituait le motif principal du manquement des autorités à leur devoir de mener une enquête effective sur ces violences fondées sur des motifs religieux », comme le résume au final le Greffier de la Cour.