Malgré un contexte de plus en plus tendu autour de la laïcité française, le Conseil d’État a rendu un arrêt s’appuyant sur une laïcité équilibrée, favorisant les libertés fondamentales de tous les cultes dans les seules limites de l’ordre public, et non sur le sectarisme actuel qui voudrait exclure toute expression religieuse de la sphère publique.
Le Conseil d’État a commencé par rappeler que l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 établit que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public » et que l’article 1er de la Constitution française dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et « respecte toutes les croyances ». Aussi a-t-il conclu dans son arrêt du 16 octobre 2013, réunissant plusieurs pourvois du Garde des Sceaux, que les refus d’agréer des ministres du culte des Témoins de Jéhovah en tant qu’aumôniers des prisons ne reposaient sur aucune base légale.
Faisant une application concrète du code de procédure pénale qui prévoit que « chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse » et notamment « participer aux offices ou réunions organisés » par des aumôniers agréés, l’administration pénitentiaire doit « dans la mesure où les locaux le permettent et dans les seules limites du bon ordre et de la sécurité, permettre l’organisation du culte dans les établissements ».
La plus haute juridiction administrative a jugé que les trois cours administratives d’appel n’ont pas commis d’erreur en relevant que « l’insuffisance du nombre de détenus se revendiquant de la confession des Témoins de Jéhovah ne pouvait constituer un motif de nature à justifier un refus de délivrer un agrément en qualité d’aumônier ». Elle a rejeté en particulier le dernier argument du ministre s’appuyant sur le paragraphe 2 de la règle pénitentiaire européenne n° 29, laquelle reste « dénuée de portée normative » et « recommande simplement de proportionner le nombre d’aumôniers agréés au nombre de pratiquants » sans pour autant « permettre de fonder un refus d’agrément sur le faible nombre de pratiquants ».
De plus, si l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 prévoit que les services d’aumônerie dans les prisons soient à la charge de l’État, rien n’empêche les aumôniers d’être bénévoles. Le ministère de la Justice aurait dû s’en réjouir en période de restrictions budgétaires. Par conséquent, la demande adressée par l’Association cultuelle « les Témoins de Jéhovah de France » à l’autorité administrative compétente pour désigner des aumôniers bénévoles pouvait légalement être entendue.
Enfin, étant établi que « l’État avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité » en refusant l’assistance spirituelle de la part d’un ministre du culte des Témoins de Jéhovah à un détenu, ce dernier a bien « subi un préjudice lui ouvrant droit à indemnisation » et le seul motif qu’il « pouvait correspondre avec un représentant de son culte et en recevoir la visite dans les conditions de droit commun » ne pouvait suffire à l’écarter.
Tandis que l’avocat parisien Philippe Goni y voit « la consécration du statut cultuel des Témoins de Jéhovah », le professeur de droit Patrice Rolland confirme dans La Croix que cette décision « s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence constante depuis 1997 » au sujet du statut officiel de ce culte en France.
L’Association cultuelle les Témoins de Jéhovah de France se sent ainsi confortée « dans la mission spirituelle qu’elle poursuit : apporter foi, espérance et amour à tous et accompagner les détenus qui le souhaitent sur le chemin du repentir ». Quant à Me Goni, il estime que cet arrêt important constitue « la fin de la discrimination qui avait vu le jour avec les commissions d’enquête sur les sectes. C’est la victoire du droit sur l’activisme parlementaire ».