La Cour de justice de l’Union européenne a rendu début septembre 2012 un arrêt particulièrement intéressant, qui explique les conditions dans lesquelles la liberté de manifester sa religion doit être protégée.
Saisie par le Tribunal administratif fédéral d’Allemagne, la Grande chambre de la CJUE a exposé les principes à prendre en compte dans une affaire de refus d’une demande d’asile par deux pakistanais du fait du risque de persécution liée à leur religion.
La convention de Genève relative au statut des réfugiés définit en son premier article un réfugié comme une personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Dans son argumentaire sur les conditions d’octroi du statut de réfugié, la Cour de justice reprend l’article 9 de la directive du 29 avril 2004 du Conseil de l’Europe pour déterminer quels actes peuvent relever de la persécution : ils doivent être « suffisamment graves » en raison de leur nature ou de leur répétition pour constituer une « violation grave des droits fondamentaux de l’homme ». Une accumulation de mesures peut également être assimilée à une persécution si elle est « suffisamment grave » pour affecter l’individu.
Aussi la Grande chambre établit-elle qu’une « violation du droit à la liberté de religion est susceptible de constituer une persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive lorsque le demandeur d’asile, en raison de l’exercice de cette liberté dans son pays d’origine, court un risque réel, notamment, d’être poursuivi ou d’être soumis à des traitements ou à des peines inhumains ou dégradants émanant de l’un des acteurs visés à l’article 6 de la directive ». Pour autant, « cela ne signifie aucunement que toute atteinte au droit à la liberté de religion […] constitue un acte de persécution qui obligerait les autorités compétentes à octroyer le statut de réfugié ».
Par ailleurs, la Cour estime que la distinction entre les pratiques religieuses privées ou publiques, collectives ou individuelles, n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a persécution ou non : « Les actes qui peuvent constituer une “violation grave” au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive comprennent des actes graves atteignant la liberté du demandeur non seulement de pratiquer sa croyance dans un cercle privé, mais également de vivre celle-ci de façon publique. »
L’arrêt souligne la nécessité de tenir compte tant de la nécessité liée à la conviction intime du demandeur d’asile que de l’obligation imposée par la doctrine religieuse :
« L’évaluation d’un tel risque impliquera pour l’autorité compétente la prise en compte d’une série d’éléments tant objectifs que subjectifs. La circonstance subjective que l’observation d’une certaine pratique religieuse en public, qui fait l’objet des limitations contestées, est particulièrement importante pour l’intéressé aux fins de la conservation de son identité religieuse est un élément pertinent dans l’appréciation du niveau de risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine du fait de sa religion, même si l’observation d’une telle pratique religieuse ne constitue pas un élément central pour la communauté religieuse concernée. »
Enfin, la Cour de justice conclut que « la crainte du demandeur d’être persécuté est fondée dès que les autorités compétentes, au regard de la situation personnelle du demandeur, estiment qu’il est raisonnable de penser que, à son retour dans son pays d’origine, il effectuera des actes religieux l’exposant à un risque réel de persécution ». Elle ajoute notamment que la directive ne prévoit pas de « prendre en considération la possibilité qu’aurait le demandeur d’éviter un risque de persécution en renonçant à la pratique religieuse en cause ». Par conséquent, les « autorités ne peuvent pas raisonnablement attendre du demandeur qu’il renonce à ces actes religieux ».