« Aucune arme forgée contre toi ne saurait être efficace. Toute langue qui t’accuserait en justice, tu la confondras. Tel est le lot des serviteurs de Yahvé, la victoire que je leur assure. » - Isaïe 54:17, La Bible de Jérusalem, 1973.
Telles sont les paroles du prophète Isaïe que les Témoins de Jéhovah pourraient apporter en réponse aux propos encore tenus au ministère du Budget et rapportés par Le nouvel Observateur : « Il s’agissait d’un combat moral, et l’arme fiscale est une arme parmi d’autres ». Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu par le ministre de l’Intérieur, qui avait envoyé une lettre dès 2006 pour exprimer ses réserves face au « risque très important de condamnation qui pèse sur le gouvernement français ».
Au final, la Cour européenne des droits de l’homme a finalement condamné pour la première fois la France pour violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Plus précisément, son arrêt du 30 juin 2011 a conclu à l’unanimité que la taxation à hauteur de 60 % des dons consentis à l’Association les Témoins de Jéhovah constituait une violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cet arrêt, qui remet en cause la politique française en matière de gestion des cultes minoritaires, est aujourd’hui cité comme référence dans divers ouvrages ou revues de référence, tel le code officiel de la Laïcité et liberté religieuse dans lequel le ministère de l’Intérieur a compilé les principales sources du droit (aux éditions des Journaux officiels).
Accessoirement, les juges européens avaient réservé pour plus tard la question de la satisfaction équitable (article 41), ouvrant aux parties la possibilité de parvenir à un éventuel arrangement amiable. Dans un communiqué, les Témoins de Jéhovah regrettent l’impossibilité d’une telle issue du fait que le gouvernement français continue de soutenir que cette taxe, appliquée rétroactivement et arbitrairement sur les seules ressources vitales d’une association à but non lucratif, n’était pas en elle-même contraire à la convention.
C’est ainsi que la CEDH se prend en quelque sorte un sérieux revers, qui dévoile les faiblesses du choix d’économiser son argumentaire, en s’arrêtant dès la première condition non remplie pour autoriser une telle ingérence dans les libertés religieuses. Car le gouvernement soutient désormais que seule l’imprévisibilité à l’époque du redressement fiscal pose problème et que rien ne permettrait « de considérer que l’imposition en cause n’est pas régulièrement due et fondée », comme le montrerait « l’absence d’examen de la finalité et de la nécessité de l’ingérence ».
L’hésitation à l’époque du juge français, qui estimait que certaines questions éludées par la cour pouvaient revêtir une gravité nécessitant le renvoi devant la Grande chambre, avait certainement des raisons liées à son expérience, qui deviennent manifestes maintenant… Le professeur Gérard Gonzalez, spécialisé dans le droit européen, partageait dans La Semaine juridique le même regret de « cette économie » sur la prise en compte des autres exigences de l’article 9 au paragraphe 2.
Dans l’arrêt rendu le 5 juillet 2012, la cour européenne conclut à l’unanimité que l’État français doit rembourser à la requérante la somme de 4 millions d’euros « perçue indûment, puisque illégalement au vu de la Convention », ainsi que 55 000 euros pour frais et dépens.
Tandis que le gouvernement prétendait ne pas pouvoir accorder d’avantage que la remise des pénalités et intérêts de retard, il n’a pas réussi à convaincre les juges. Si la juridiction siégeant à Strasbourg lui accorde une certaine liberté pour ce qui est « de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique », elle rappelle néanmoins qu’« il appartient à l’État défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant ».
On rappellera pour l’anecdote qu’à la suite de l’amendement déposé (et non adopté) par les députés Jean-Pierre Brard et Georges Fenech, pour imposer le paiement intégral du redressement fiscal en 2006, le rapporteur général du budget avait clairement répondu que cette disposition législative ne pouvait emporter « aucune effectivité juridique », puisque l’État ne peut être obligé à recouvrer une créance (selon la dépêche de l’AFP du 19 octobre 2005).
En revanche, la demande d’un euro symbolique pour chacun des 250 000 fidèles en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi, notamment du fait de l’opprobre jeté sur leur religion par une étiquette de fraude fiscale collée par quelques militants antisectes, n’a pas été entendue. Il s’agit simplement d’une question de procédure, l’association étant la seule requérante au niveau collectif et non ses membres individuellement.
Quant à l’annulation de la mesure de taxation, la CEDH estime que « la renonciation à la recouvrer constituerait une forme appropriée de réparation qui permettrait de mettre un terme à la violation constatée ».
En somme, cet arrêt apparaît tout à fait secondaire, puisqu’il se limite à appliquer de manière concrète les conséquences de la condamnation de l’État français en juin 2011, en particulier dans leur aspect pécuniaire. Le principal demeure la reconnaissance de l’atteinte portée aux libertés religieuses des Témoins de Jéhovah et le rappel que « le libre exercice du droit à la liberté de religion des Témoins de Jéhovah est protégé par l’article 9 de la Convention » (arrêt du 30 juin 2011).
Cependant, cette affaire dévoile à quel point certains États affichent une mauvaise volonté à reconnaître leurs torts et à les réparer, ce qui laisse entrevoir encore un long et dur parcours aux défenseurs des droits de l’homme…