Etymologiquement, le mot « secte » vient du latin secta, qui a comme définition une voie que l’on suit, un parti, une cause, une doctrine philosophique, une secte religieuse [1].
Le mot secte en grec, équivalent de la secta latine, est hairesis (d’où vient le français « hérésie ») qui signifie « choix » (Lévitiques 22:18, LXX) ou « ce qui est choisi » et, par suite, « un groupe d’hommes qui se séparent d’autres et suivent leur propre doctrine [une secte ou un parti] » [2]. Le terme est employé pour les adeptes des deux branches du judaïsme les plus en vue : les Pharisiens et les Sadducéens. Probablement considéré comme une dissidence du judaïsme, le christianisme fut qualifié par les non-chrétiens de « secte » ou de « secte des Nazaréens » [3].
Cependant force est de constater que le terme de « secte » a pris avec le temps une connotation péjorative, qu’il est utilisé pour distinguer les mouvements religieux traditionnels des nouveaux mouvements spirituels minoritaires dits sectes. De plus, ce terme est souvent assimilé à celui de danger [4].
Mais qualifier ces nouveaux mouvements de sectes constitue-t-il une violation de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantissant la liberté de religion ?
La Cour européenne des droits de l’homme a répondu à cette question dans un arrêt Leela Förderkreis e. V. et autres c. Allemagne du 6 novembre 2008. Les faits et la solution dégagée par la CEDH exposés ci-après, sont tirés pour l’essentiel des communiqués du greffe de la Cour et de la note d’information qu’il rédige, l’arrêt n’existant qu’en anglais.
Les requérantes sont, notamment, trois associations de droit allemand. Il s’agit d’associations religieuses ou de méditation appartenant au mouvement Osho, anciennement connu sous le nom de Shree Rajneesh, ou encore mouvement Bhagwan. Ce mouvement se développa en Allemagne dans les années 60 et 70. En 1979, le gouvernement allemand lança une campagne destinée à appeler l’attention du public sur le danger potentiel des mouvements de ce type, et y qualifia les associations requérantes de « sectes », « sectes de jeunes », « religions des jeunes » et « psycho-sectes ». Il émit des avertissements indiquant que les associations de ce genre étaient « destructrices » et « pseudo-religieuses » et qu’elles « manipul[ai]ent leurs membres ».
En 1984, les associations requérantes intentèrent devant les juridictions administratives une procédure dans le cadre de laquelle elles demandèrent au Gouvernement de cesser de les décrire en des termes si négatifs. Leurs actions ayant été rejetées, elles introduisirent une plainte constitutionnelle.
En 2002, la Cour constitutionnelle fédérale conclut que l’usage des expressions « destructrices » et « pseudo-religieuses », ainsi que l’allégation que les membres du mouvement étaient manipulés, enfreignaient d’une part le devoir de neutralité de l’État en matière de croyances religieuses et philosophiques et d’autre part le principe de proportionnalité. Considérant que le Gouvernement pouvait communiquer au public des informations sur ces associations, elle autorisa cependant l’usage des autres termes.
Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), les associations requérantes se plaignaient de la durée selon elles excessive de la procédure dans laquelle elles demandèrent que le Gouvernement s’abstienne de faire ce type de déclarations. Elles alléguaient également que le Gouvernement avait manqué à son devoir de neutralité religieuse et s’était engagé dans une campagne de répression et de diffamation à leur encontre, en violation des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention. Quelle solution la CEDH a-t-elle adoptée ?
La Cour a estimé que la campagne d’information du Gouvernement avait constitué une ingérence dans le droit des requérantes de manifester leur religion ou leur conviction. Dans la mesure où la Loi fondamentale imposait au Gouvernement de communiquer des informations sur les sujets d’intérêt général, cette ingérence était « prévue par la loi » et poursuivait les « buts légitimes » d’assurer la sécurité publique et de protéger l’ordre public et les droits et libertés d’autrui. La campagne d’information du Gouvernement visait à avertir les citoyens d’un phénomène considéré comme perturbant, à savoir l’émergence de nouveaux mouvements religieux et l’attrait qu’ils représentaient pour les jeunes, et à leur permettre de prendre soin d’eux-mêmes et d’éviter de se mettre ou de mettre autrui dans une situation difficile uniquement par ignorance.
Toujours selon la Cour, ce pouvoir d’intervention préventive de l’État est conforme aux obligations positives des États parties aux termes de l’article 1 de la Convention. La campagne n’interdisait nullement aux associations requérantes de manifester librement leur religion ou leur conviction. La Cour constitutionnelle a même posé certaines limites quant aux termes pouvant être utilisés pour désigner ces associations. Les expressions autorisées (« sectes », « sectes de jeunes » et « psycho-sectes »), bien que quelque peu péjoratives, étaient au moment des faits utilisées sans distinction pour désigner toutes sortes de religions non traditionnelles.
De plus, la Cour a relevé que les pouvoirs publics ont cessé d’utiliser le mot « secte » dans leurs campagnes d’information à la suite de recommandations d’experts formulées en 1998. Il s’ensuit que les déclarations du Gouvernement, telles que les a délimitées la Cour constitutionnelle, n’ont pas, au moment où elles ont été faites, dépassé les limites de ce qu’un État démocratique pouvait considérer comme relevant de l’intérêt public. Ainsi, compte tenu de la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales et de leur devoir de prendre en considération, dans les limites de leur compétence, l’intérêt de la société dans son ensemble, l’ingérence dans le droit des associations requérantes de manifester leur religion ou leur conviction était justifiée et proportionnée au but poursuivi.
La Cour a conclu par cinq voix contre deux à la non-violation de l’article 9. Les juges Trajkoska et Kalaydjieva émirent des opinions en partie dissidente et estimèrent qu’il y avait eu violation dudit article [5].
Ainsi, pour la CEDH qualifier un mouvement de « secte » constitue une ingérence dans le droit garanti par l’article 9 de la Convention, ingérence qui doit être justifiée et proportionnelle au but poursuivi à défaut de quoi elle emporte violation de l’article 9.
Cette position de la CEDH apparait critiquable. En effet, dans l’arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (requête n° 14307/88) la CEDH avait souligné que « la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société » et de préciser que « dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. »
Ainsi, les limitations à cette liberté ne doivent pas favoriser un groupe au détriment d’un autre. Pourtant, qualifier un mouvement de secte tend à le stigmatiser, à le marginaliser et n’assure pas le respect des convictions de ses fidèles. En revanche, présenter un mouvement comme une religion ne peut que rassurer les opinions publiques et lui donner une certaine légitimité. Pareilles différenciations ne permettent pas de favoriser le pluralisme religieux. N’y aurait-il pas là un début de discrimination basée sur les opinions et les croyances ? Curieusement, dans l’affaire Leela Förderkreis e. V. et autres c. Allemagne, la Cour a conclu à l’unanimité qu’aucune question distincte ne se posait sur le terrain de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec les articles 9 et 10 de la Convention.
Pourtant par le passé, la Cour avait déjà constaté à travers son arrêt Serif c. Grèce du 14 décembre 1999 (requête n° 38178/97) que « des tensions risquent d’apparaître lorsqu’une communauté, religieuse ou autre, se divise, mais c’est là l’une des conséquences inévitables du pluralisme. Le rôle des autorités en pareilles circonstances ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en supprimant le pluralisme mais à veiller à ce que les groupes concurrents se tolèrent les uns les autres (…). » La tolérance peut-elle être manifeste quand certains mouvements sont présentés comme secte et d’autres comme religion ? Le doute est permis.
Aussi, dans un arrêt Manoussakis et autres c. Grèce du 26 septembre 1996 (requête n° 18748/91), la Cour avait rappelé que « le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci. » Ce principe fut de nouveau clairement réaffirmé dans l’arrêt Association les Témoins de Jéhovah c. France du 30 juin 2011 (requête n° 8916/05), la Cour soulignant même que le « refus de reconnaissance d’une association religieuse, la dissolution de celle-ci, l’emploi de termes péjoratifs à l’égard d’un mouvement religieux constituent des exemples d’ingérences dans le droit garanti par l’article 9 de la Convention, dans sa dimension extérieure et collective, à l’égard de la communauté elle-même mais également de ses membres (…). »
Dès lors, l’emploi d’un terme péjoratif tel que celui de « secte » devrait être sanctionné par un constat de violation de l’article 9.
Une autre question se pose : le terme « secte » ne doit-il servir qu’à désigner les mouvements religieux non traditionnels ? Serait-il envisageable d’affirmer que tout mouvement religieux est une secte ?
D’un point de vue juridique, il n’existe en France aucune définition du terme « secte ». Pourquoi ? Comme le souligne la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sur son site Internet (www.miviludes.gouv.fr), « respectueux de toutes les croyances et fidèle au principe de laïcité, le législateur s’est toujours refusé à définir les notions de secte et de religion, afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d’opinion ou de religion garanties par les textes fondamentaux de notre République. » Ces textes fondamentaux sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (articles 4, 10 et 11), la Constitution française du 4 octobre 1958 (article premier) et la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’État (articles 1 et 2).
Aussi, puisqu’il n’existe aucune définition juridique de la notion de « secte » il devient, en toute logique, impossible de désigner les mouvements qui le seraient ou pas. Pour contourner cette absence de définition, l’expression de « dérive sectaire » est utilisée. Quelle en est sa définition ? La réponse nous est donnée sur le site de la Miviludes : « La notion de dérive sectaire n’est pas non plus définie par la loi (…). »
La Miviludes précise que la dérive sectaire peut être appréhendée comme suit : « il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, à l’ordre public, aux lois ou aux règlements. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. »
Elle ajoute : « il importe peu que telle dérive soit commise par un mouvement sectaire, un nouveau mouvement religieux, une religion du Livre ou par un charlatan de la santé. Dès lors qu’un certain nombre de critères sont réunis, dont le premier est la mise sous sujétion, l’action répressive de l’État a vocation à être mise en œuvre. »
Cette notion de dérive sectaire apparait très complexe à appréhender quant à ses causes et ses effets car elle englobe des concepts, des notions, des comportements difficilement caractérisables et teintés de subjectivité. Pour contourner ces difficultés, il est d’usage de parler de mouvement à caractère sectaire. Mais qu’est-ce qu’un mouvement à caractère sectaire ? Là encore, il n’existe aucune définition juridique.
Afin d’avoir une vision plus claire et compréhensible de la notion de secte, nous pouvons citer les deux jugements rendus en 2012 par la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris au travers desquels cette juridiction est venue préciser que « le terme de “secte” s’il désignait à l’origine une communauté spirituelle, religieuse ou philosophique, est aujourd’hui empreint d’une connotation péjorative qui désigne sous ce vocable celles qui, parmi ces communautés se livrent à des pratiques moralement ou pénalement condamnables (…). » [6]
Saluons cette approche beaucoup plus pragmatique. Ainsi, les critères liés à l’antériorité d’un mouvement, au nombre de ses fidèles, à ses rites et croyances deviennent inopérant pour le qualifier de secte. En revanche, celui consistant à se livrer à des pratiques moralement ou pénalement condamnables est suffisant.
Néanmoins, un affinage apparait nécessaire. En effet, qu’est-ce qu’une pratique moralement condamnable ? Quel serait le référentiel des valeurs morales permettant de juger que telle ou telle pratique est « moralement condamnable » ? N’y aurait-il pas nécessairement une part de subjectivité et d’arbitraire ?
En revanche, le critère de « pratiques pénalement condamnables » est plus neutre. Cependant, il serait certainement plus opportun de parler de mouvements qui se seraient livrés à des pratiques ayant donné lieu à des condamnations pénales devenues définitives, car en matière pénale, il existe un principe selon lequel toute personne (morale ou physique) poursuivie et soupçonnée d’avoir commis une infraction est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente pour la juger. Ainsi le qualificatif de « secte » ne pourrait être attribué qu’à un mouvement condamné définitivement pour des pratiques pénalement incriminées, une telle condamnation constituant un trouble à l’ordre public.
De plus, selon le TGI de Paris, tout mouvement religieux ou spirituel ou philosophique peut être qualifié de secte à la seule et unique condition qu’il se livre à des pratiques moralement ou pénalement condamnables.
La notion de secte telle que présentée par la TGI de Paris rejoint celle du Rapporteur spécial des Nations Unies pour l’Intolérance religieuse, qui a noté dans son rapport de 1996 que : « le terme de secte revêt une connotation péjorative. La secte serait distincte de la religion et ne pourrait pas, en conséquence, se prévaloir de la protection accordée aux religions. Ce type d’approche véhicule une logique d’amalgame, de discrimination et d’exclusion qu’il n’est pas facile de justifier et encore moins d’excuser, tant elle heurte la liberté religieuse. Il n’est pas possible de distinguer religion et secte sur la base de considérations quantitatives et de dire que la secte, contrairement à la religion, a un nombre restreint d’adeptes. Cela n’est pas toujours exact sur le plan des faits (…). Par ailleurs, et si l’on entrait dans cette logique quantitative, que dire des grandes religions sinon des sectes qui ont réussi. Il n’est pas possible de dire, non plus, que les sectes se caractérisent, contrairement aux religions, par l’excentricité de leurs doctrines et de leurs pratiques. Ici la voie du subjectivisme et de l’arbitraire se trouve largement ouverte (…). Il n’est pas possible de dire, également, que la secte, parce que n’ayant pas eu la possibilité de s’inscrire dans la durée, ne peut pas bénéficier de la protection due aux religions. L’histoire a été témoin d’un grand nombre de dissidences, de schismes, d’hérésies et de réformes qui ont donné naissance, de manière instantanée, à des religions ou à des mouvements religieux. »
La conclusion du Rapporteur est simple et sans ambiguïté : « au total, l’opposition entre religion et secte est trop forcée pour être acceptable. » Il va également préciser que « les sectes, réellement ou fictivement religieuses, ne sont pas au-dessus des lois. Il appartient à l’État de veiller au respect des lois et spécialement aux lois pénales (…), les moyens juridiques sont nombreux et laissent assez de manœuvre pour combattre les fausses couvertures et les erreurs d’aiguillage » [7].
Également, cette vision du TGI de Paris peut être mise en parallèle avec les propos exprimés le 17 octobre 2006 par Didier Leschi (alors chef du Bureau central des cultes au ministère de l’intérieur) lors de son audition devant la commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs [8]. En réponse à la remarque du président de cette commission affirmant que c’est la première fois que l’administration expliquait qu’il n’y a « aucune raison de traiter autrement les Témoins de Jéhovah de l’Église catholique, juive ou protestante », Didier Leschi déclara : « Tout à fait. Comme les Témoins de Jéhovah, l’Église catholique, le protestantisme, d’autres courants sont susceptibles, au travers de certaines de leurs associations, de constituer des troubles à l’ordre public. » Ces mots sans équivoque méritent d’être approuvés.
Alors, nul besoin de recourir à une liste répertoriant de prétendus mouvements sectaires ou d’établir un référentiel de pratiques sectaires, ce qui sied mieux à un État laïque.
Concernant le principe de laïcité, signalons la décision rendue le 21 février 2013 par le Conseil constitutionnel [9] suite à sa saisine par le Conseil d’État dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, posée par l’association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l’organisation des cultes. Le Conseil a rappelé « que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes (…). »
En conclusion, qualifier un mouvement de « secte » constituerait une ingérence violant le droit garanti par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme si cette ingérence n’est ni justifiée ni proportionnée au but poursuivi et le terme « secte » ne devrait servir qu’à désigner tout mouvement spirituel, religieux ou philosophique qui se serait livré à des pratiques pour lesquelles il aurait été condamné pénalement.
Olex.