Droit international

Russie : la Cour suprême confirme l’interdiction des Témoins de Jéhovah
Cour suprême de la Fédération de Russie, 17 juillet 2017

- Modifié le 3 mai 2023

Comme cela était prévisible pour un procès jugé avant d’avoir été entendu, la Cour suprême de la Fédération de Russie a confirmé en tous points la décision du 20 avril 2017 qui avait prononcé la dissolution de toutes les entités juridiques des Témoins de Jéhovah, l’interdiction de leurs activités cultuelles et la confiscation de leurs biens immobiliers. L’appel déposé par le Centre administratif des Témoins de Jéhovah en Russie a été examiné lundi 17 juillet 2017 par une chambre composée cette fois de trois magistrats, qui a auditionné les parties à partir de 11 heures (heure locale) et a rendu sa décision dès la fin de journée après moins d’une heure de délibérations...

Dès le départ, la cour a rejeté toutes les motions déposées par la défense [1] : demande d’interroger les Témoins de Jéhovah qui ont été réhabilités en tant que victimes de répressions politiques ; demande d’interroger les témoins de dépôts de publications interdites dans des lieux de culte par le Service Fédéral de Sécurité avant une inspection et d’autres « preuves » fabriquées [2] ; demande d’examiner les avis d’experts indépendants [3] (chercheurs en sciences religieuses, linguistes...) sur les publications classées « extrémistes » (plutôt que des militants de l’Église orthodoxe peu objectifs...) ; demande d’ajouter de nouveaux actes de vandalisme et d’agressions contre des fidèles depuis la décision du 20 avril 2017 [4].

Selon l’avocat conseil du siège mondial, Philip Brumley, la situation des 175 000 Témoins de Jéhovah en Russie risque de s’aggraver : « La décision de la chambre d’appel donne une apparente légitimité aux mauvais traitements que subissent déjà les Témoins de Jéhovah dans ce pays, et les expose à des poursuites pénales et à davantage de maltraitance. Ils sont devenus des parias dans leur propre pays. » En effet, depuis le verdict rendu le 20 avril 2017 par la Cour suprême, des Témoins de Jéhovah ont été agressés, d’autres ont été licenciés ou ont subi des pressions pour quitter leur emploi pour leur appartenance à une religion « extrémiste », des enfants ont été harcelés et humiliés à l’école, plusieurs lieux de culte ont été vandalisés [5]... Et bien sûr la détention provisoire depuis le 25 mai 2017 d’un ressortissant danois, Dennis Christensen, vivant en Russie depuis 17 ans et marié à une citoyenne russe : il risque dix ans de prison pour « participation à des activités extrémistes » [6] ; en fait, il s’est simplement réuni avec quelques coreligionnaires pour prier Dieu et étudier la Bible [7] ! Trois jours après la décision de la Cour suprême, qui a certainement orienté la décision du tribunal de district d’Oriol, ce dernier a prolongé la détention provisoire de Dennis Christensen jusqu’au 23 novembre 2017 [8] : les preuves de sa culpabilité ne doivent pas être si évidentes pour nécessiter plusieurs mois d’investigation avant son procès ! Une pétition a d’ailleurs été lancée par l’ONG Human Rights Without Frontiers International pour demander au Danemark de plaider en faveur de sa libération [9], tandis que le Memorial Human Rights Centre l’a reconnu comme prisonnier politique le 21 juillet 2017 [10].

Dès le lendemain de la décision, les Témoins de Jéhovah ont annoncé qu’ils allaient déposer une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg pour atteinte à la liberté de religion. Dans une affaire similaire jugée en 2010 à propos de leur association cultuelle à Moscou, la CEDH a condamné à l’unanimité la Russie pour violation des articles 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne en énonçant que « la dissolution de la communauté a constitué une sanction excessivement sévère et disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi par les autorités » puisqu’elle « ne reposait pas sur une base factuelle adéquate [11] ». D’ailleurs, les Témoins de Jéhovah ont déposé en mai 2017 une plainte auprès du Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour non-application de l’arrêt de la CEDH par le gouvernement russe [12], puisque l’association moscovite se trouve à nouveau dissoute par la décision de la Cour suprême à la demande du ministère de la Justice. Cependant, la Fédération de Russie a adopté en 2015 une modification législative plaçant la Cour constitutionnelle de Russie au-dessus de la juridiction du Conseil de l’Europe pour se dispenser d’appliquer les arrêts de la CEDH qui seraient jugés contraires à la constitution russe [13].

De nouveau, cette décision en appel de la Cour suprême a déclenché une ferme condamnation à l’échelle internationale. Le Service européen pour l’action extérieure, le service diplomatique de l’Union européenne à Bruxelles, a fermement déclaré le 18 juillet 2017 : « Les Témoins de Jéhovah, comme tous les autres groupes religieux, doivent pouvoir exercer pacifiquement leur droit à la liberté de réunion, sans ingérence, ainsi que le garantissent la Constitution de la Fédération de Russie, les engagements internationaux pris par le pays et les normes internationales en matière de droits de l’homme [14]. » L’Union européenne a également fait une déclaration similaire au Conseil permanent de l’OSCE le 20 juillet 2017 à Vienne [15], qui a été adoptée à l’unanimité de ses 28 états-membres, mais également soutenue par l’Australie, le Canada et divers autres pays non membres. Outre-Atlantique, la Mission américaine à l’OSCE a trouvé troublante « l’application croissante de la législation concernant l’“extrémisme” pour cibler injustement les membres de groupes minoritaires religieux pacifiques en Russie [16] ». Le Département d’État américain avait déjà estimé la veille que la décision de la Cour suprême russe constituait un signe supplémentaire d’« une inquiétante tendance à la persécution des minorités religieuses en Russie » et exhorté une nouvelle fois la Russie « à respecter le droit de tous d’exercer la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction [17] ». Quant à la Commission sur la liberté religieuse internationale des États-Unis, elle a dénoncé le rejet du recours en appel par les Témoins de Jéhovah : « La décision de la Cour suprême reflète tristement l’assimilation permanente par le gouvernement de la liberté de religion pacifique à de l’extrémisme, a déclaré son président Daniel Mark. Les Témoins ne sont pas un groupe extrémiste et devraient pouvoir exercer leur foi ouvertement et librement et sans la répression gouvernementale [18]. »

Plusieurs États européens ont également réagi individuellement. Le 18 juillet 2017, le ministre des Droits de l’Homme au Royaume-Uni s’est dit profondément préoccupé par cette décision de la Cour suprême, qui « confirme la criminalisation du culte pacifique de 175 000 citoyens russes et contrevient au droit à la liberté religieuse consacré dans la Constitution russe [19] ». Par conséquent, « le gouvernement britannique continue d’appeler le gouvernement russe à respecter son engagement international envers cette liberté fondamentale ». Pareillement, dans la ligne tracée par la chancelière allemande Angela Merkel lors de sa rencontre avec le Président russe Vladimir Poutine en mai dernier [20], le gouvernement allemand a exprimé son inquiétude au sujet du maintien de l’interdiction des activités des Témoins de Jéhovah en Russie et a estimé que la Russie viole ses engagements internationaux en tant que membre du Conseil de l’Europe [21].