TA Paris, 3 juillet 2014
Documents administratifs - Communication - Miviludes

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

(Le magistrat désigné)

N° 0712489/6-3

FEDERATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH DE FRANCE

Mme Salzmann
Magistrat désigné

M. Dayan
Rapporteur public

Audience du 18 juin 2014
Lecture du 3 juillet 2014

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu le jugement n° 337987 du 22 février 2013 par lequel le Conseil d’Etat a annulé, pour erreur de droit, le jugement n° 0712489 du 28 janvier 2010 rendu par le Tribunal administratif de Paris sur la requête de la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France et renvoyé l’affaire devant le Tribunal administratif de Paris ;

Vu l’ordonnance en date du 20 février 2014 fixant la clôture d’instruction au 31 mars 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 mars 2014, présenté pour la ministre des affaires sociales et de la santé, par Me Holleaux, qui conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que ses précédentes écritures ;

La ministre des affaires sociales et de la santé soutient en outre, que :

 à titre principal, la requête est irrecevable faute pour le président de la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France de justifier d’une habilitation à ester en justice et faute de production des statuts ;

 à titre subsidiaire, la communication de la note litigieuse révèlerait la mise en œuvre des mécanismes d’alerte et de prévention mis en place par la MIVILUDES pour prévenir les agissements des mouvements à caractère sectaire susceptibles de constituer une menace à l’ordre public et la divulgation de ces informations serait donc de nature à porter atteinte à l’exercice efficient des missions de la MIVILUDES qui concourent à la sûreté de l’Etat, la sécurité publique et à la sécurité des personnes ; au surplus, la note évoque l’intervention, au titre d’un échange d’informations, d’un organisme public nommément désigné dont il serait contraire à la sécurité publique que son identité soit divulguée ; aucune communication, même partielle, n’est en l’espèce envisageable ; l’argumentaire selon laquelle l’activité des Témoins de Jéhovah ne troublerait pas l’ordre public et que certains membres de la MIVILUDES ont été condamnés pour diffamation est sans incidence sur la légalité de la décision ; étant qualifiée de secte par la commission d’enquête parlementaire française sur les sectes, la Fédération est dans le champ de l’exercice de ses missions par la MILUVIDES ; le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant ;

Vu l’ordonnance en date du 31 mars 2014 fixant la réouverture de l’instruction, en application de l’article R. 613-4 du code de justice administrative ;

Vu l’ordonnance en date du 27 mai 2014 fixant la clôture d’instruction au 13 juin 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ;

Vu le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu, en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative, la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Salzmann pour statuer sur les litiges visés audit article ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir au cours de l’audience publique du 18 juin 2014, présenté son rapport et entendu :

 les conclusions de M. Dayan, rapporteur public ;

 et les observations orales de Me Goni représentant la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France et celles de Me Holleaux, représentant la ministre des affaires sociales et de la santé ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France a sollicité du ministre de la santé et des solidarités, le 15 janvier 2007, la communication de documents concernant les Témoins de Jéhovah détenus par le ministère de la santé et des solidarités, justifiant le contenu de la lettre adressée par le ministre au président de la mission parlementaire sur les sectes, le 24 novembre 2006, et publiée dans le rapport de l’Assemblée nationale sur « L’enfance volée. Les mineurs victimes des sectes » ; qu’à la suite du refus opposé par le ministre, par décision expresse du 15 février 2007, de communiquer la seule note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) devenue la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), sur laquelle il s’était notamment fondé, au motif que la communication de ce document porterait atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a donné un avis défavorable à la communication du document demandé, le 24 mai 2007, pour le même motif ; que la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France demande au Tribunal, par requête enregistrée le 7 août 2007, d’une part, l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre a confirmé le refus de lui communiquer le document sollicité, à la suite de la saisine de la CADA et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au ministre de lui communiquer ce document ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant que l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 dispose : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre (..) » ; qu’aux termes de l’article 6 de la même loi : « I. Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : ... à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes (...) II. Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : - dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée et des dossiers personnels, au secret médical ( ...) III. - Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions (...) » ;

3. Considérant qu’il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi ; qu’il lui appartient d’apprécier en particulier si, en raison des informations qu’ils contiendraient, la divulgation de ces documents risquerait de porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ou si une communication partielle ou après occultation de certaines informations serait le cas échéant possible ; que si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige ;

4. Considérant que la ministre des affaires sociales et de la santé soutient notamment, dans ses écritures contentieuses, à l’appui de sa décision de refus opposée à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France, que la communication de la note du 30 janvier 2001 serait de nature porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou la sécurité des personnes en raison des informations qu’elle contient, dès lors qu’elle dévoilerait selon quelles modalités les mécanismes d’alertes sont mis en place par la MIVILUDES aux fins de prévenir les agissements des mouvements à caractère sectaire susceptibles de constituer une menace à l’ordre public et, en outre, révèlerait l’identité d’un organisme public nommément désigné ; que l’état de l’instruction ne permettant pas d’apprécier le bien-fondé du moyen invoqué par la ministre, il y a lieu d’ordonner avant dire droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à l’exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent jugement, la production à la 3e chambre de la 6e section du tribunal administratif de Paris, chargée de l’instruction de l’affaire, de la note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) devenue la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), sans que communication de cette note ne soit donnée à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France, afin qu’il soit ensuite statué ce qu’il appartiendra sur le recours de l’intéressée ;

DECIDE :

Article 1er : Est ordonnée, avant dire droit, la production par la ministre des affaires sociales et de la santé, à la 3e chambre de la 6e section du tribunal administratif de Paris, dans les conditions précisées dans les motifs du présent jugement, de la note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). La production devra intervenir dans un délai de trente jours à compter de la notification du présent jugement.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France et à la ministre des affaires sociales et de la santé.