TA Paris, 16 mai 2025, n° 2322627

Miviludes - Documents administratifs - Communication

- Modifié le 18 juin

Tribunal Administratif de Paris

Lecture du vendredi 16 mai 2025

N° 2322627

5e Section - 4e Chambre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 octobre 2023 et 20 septembre 2024, l’association CAP pour la Liberté de conscience, représentée par Me Matthieu Ragot, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’ordonner avant dire droit la production de l’ensemble des documents administratifs relatifs à l’exécution des subventions accordées en 2021 à l’association UNADFI demandés le 1er juin 2023 ;

2°) d’annuler la décision implicite intervenue le 1er août 2023 par laquelle le secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation et président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a rejeté sa demande de communication de ces documents ;

3°) d’enjoindre à cette autorité de lui communiquer les documents demandés dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros à lui verser en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

 les documents demandés sont communicables ;

 la défense de l’administration sur le caractère inexistant de certains documents demandés est imprécise, le tribunal pouvant ordonner la communication avant dire droit de ces documents ;

 sa demande de communication n’est pas abusive.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juillet et 24 octobre 2024, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

 les documents correspondant aux points 4, 5 et 6 de la demande de l’association requérante ainsi que les évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées visées au point 3 de sa demande sont inexistants ;

 la demande de communication présente un caractère abusif, l’association ayant sollicité la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires à trente-et-une reprises entre janvier 2019 et juin 2023 et, s’agissant des subventions accordées à l’UNADFI, multiplié les demandes depuis 2021 pour un nombre toujours plus important de documents dont le traitement a pour objet et pour effet de perturber considérablement le bon fonctionnement de cette administration et l’empêche ainsi d’assurer dans des conditions normales ses missions.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

 le code des relations entre le public et l’administration ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 2 mai 2025 :

 le rapport de M. Medjahed, premier conseiller ;

 les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;

 et les observations de Me Lehmann substituant Me Ragot, représentant l’association CAP pour la Liberté de conscience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 24 avril 2023, l’association CAP pour la Liberté de conscience a demandé au secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation et président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires la communication de divers documents administratifs relatifs à l’exécution des subventions accordées à l’association UNADFI aux termes de plusieurs conventions notifiées le 21 octobre 2021 pour les « projets A, B et C » et le 18 octobre 2021 pour le « projet D » au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance 2021. Elle demande plus précisément, pour les « projets A, B et C », la communication de « toutes les pièces justificatives des dépenses et tous les autres documents produits par l’UNADFI dans le cadre du contrôle de la subvention 2021, que ce contrôle soit lié au renouvellement de la subvention ou pas » (point 1 de la demande), de « tous les échanges entre la Miviludes et l’UNADFI (incluant les échanges avec sa présidente Joséphine Cesbron) au sujet de ce contrôle et de l’utilisation des subventions 2021, que ces échanges aient été réalisés par email, par sms ou par l’intermédiaire de toute messagerie (WhatsApp, Signal, Telegram, etc.), ou tout autre moyen de communication, de janvier 2022 à aujourd’hui » (point 2), de « tous comptes rendus, conclusions écrites, tableaux récapitulatifs, courriers interministériels ou intra ministériels relatifs à ce contrôle ou au renouvellement des subventions en 2022, de janvier 2022 à aujourd’hui (…) [ce qui] inclut les documents faisant état de la réalisation et du résultat des évaluations contradictoires des conditions de réalisation des conventions, et les bilans d’ensemble, qualitatifs et quantitatifs, de la mise en œuvre des projets » (point 3), de « tout document constatant que les dépenses faites par l’UNADFI dans le cadre de cet appel à projet 2021 n’ont pas été faites avant le 31 décembre 2021 » (point 4), de « tout courrier ou communication de l’UNADFI à la Miviludes notifiant un ou des retards dans l’exécution, une ou des modifications dans les conditions d’exécution, dans le cadre des subventions accordées en 2021 (projets A, B et C) et les réponses et échanges suite à ces communications » (point 5) et de « tout avenant à l’une ou plusieurs des conventions précitées » (point 6). Elle demande également, pour le « projet D », la communication du « compte rendu qualitatif et quantitatif du projet qui a été fourni, ou aurait dû être fourni, dans les 6 mois qui suivent la date d’achèvement du projet » (point 7) et de « tous les échanges réalisés par email, par sms ou par l’intermédiaire de toute messagerie (WhatsApp, Signal, Telegram, etc.), ou tout autre moyen de communication, au sujet de ce bilan et des conditions d’exécution du projet » (point 8). En l’absence de réponse à sa demande, elle a saisi, le 1er juin 2023, la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis, le 6 juillet 2023, un avis favorable à la communication des documents demandés. Par la présente requête, elle demande au tribunal l’annulation de la décision implicite du 1er août 2023 rejetant sa demande.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. ». Aux termes de l’article L. 300-2 du même code : « Sont considérés comme documents administratifs, (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public. ». Selon l’article L. 311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Aux termes de l’article L. 311-2 du même code : « Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration ». Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence (…) ». Aux termes de l’article L. 311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

3. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des dispositions des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.

4. En outre, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

5. L’association requérante n’apporte aucun commencement de preuve ni aucun élément suffisamment étayé de nature à établir l’existence de documents correspondant aux points 4, 5 et 6 de sa demande, à savoir de « tout document constatant que les dépenses faites par l’UNADFI dans le cadre de cet appel à projet 2021 n’ont pas été faites avant le 31 décembre 2021 », de « tout courrier ou communication de l’UNADFI à la Miviludes notifiant un ou des retards dans l’exécution, une ou des modifications dans les conditions d’exécution, dans le cadre des subventions accordées en 2021 (projets A, B et C) et les réponses et échanges suite à ces communications » et de « tout avenant à l’une ou plusieurs des conventions précitées » ainsi que des évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées mentionnées au point 3 de sa demande. Le ministre de l’intérieur fait valoir, sans être contredit, que ces documents n’existent pas. Par suite, dès lors qu’aucune disposition du code des relations entre le public et l’administration n’oblige l’administration à élaborer un document particulier pour satisfaire à une demande de communication, l’association requérante n’est pas fondée à demander la communication de ces documents.

6. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « (…) / L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ». Il résulte de cette disposition que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le fonctionnement du service public ou qui aurait pour effet de faire peser sur lui une charge disproportionnée au regard des moyens dont il dispose. Il s’apprécie notamment par le nombre de demandes et leur fréquence, le volume des documents demandés ou les recherches qu’implique leur identification, au regard des capacités de l’administration saisie, par l’existence d’un climat de tension entre le demandeur et l’administration et par les termes employés dans la demande de communication. Toutefois, toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne de présenter plusieurs demandes à la même autorité publique ne sont pas nécessairement constitutives de demandes abusives.

7. Si, pour justifier que la demande de l’association CAP pour la Liberté de conscience présente un caractère abusif, le ministre de l’intérieur fait valoir que l’association requérante a présenté trente-et-une demandes de communication de documents à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires entre janvier 2019 et juin 2023, cette allégation, qui est contestée, n’est corroborée par aucun élément versé au dossier. En tout état de cause, cette circonstance, à la supposer même établie, n’est pas en soi de nature à faire regarder ces demandes comme abusives. En outre, si le ministre de l’intérieur se prévaut de quatre demandes présentées en moins d’un an de septembre 2021 à juillet 2022 relatives aux subventions accordées à l’UNADFI, il n’établit cependant pas que ces demandes, pas plus que la présente demande, avaient ou a pour objet de perturber le fonctionnement du service public ou pour effet de faire peser sur l’administration une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Dans ces conditions, la demande de l’association requérante ne présente pas un caractère abusif. Par suite et alors qu’il résulte des dispositions précitées au point 2, ainsi que l’a d’ailleurs relevé la CADA dans son avis du 9 juillet 2023, et qu’il n’est pas contesté que l’ensemble des documents dont l’association requérante a demandé la transmission sont des documents administratifs, elle est fondée à en demander la communication sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par un secret protégé par la loi, à l’exception des documents inexistants correspondant aux points 4, 5 et 6 de sa demande et aux évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées mentionnées au point 3 de cette demande.

8. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’ordonner avant dire droit la communication des documents demandés, que l’association requérante est seulement fondée à demander l’annulation de la décision implicite du 1er août 2023 en tant qu’elle porte refus de lui communiquer les documents visés aux points 1, 2, 3, 7 et 8 de sa demande, à l’exception des évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées visées au point 3 de cette demande.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

9. Eu égard aux motifs d’annulation retenus, le présent jugement implique nécessairement que la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires communique à l’association CAP pour la Liberté de conscience les documents visés aux points 1, 2, 3, 7 et 8 de sa demande, à l’exception des évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées mentionnées au point 3 de cette demande. Il y a lieu, par suite, de lui enjoindre de procéder à cette communication dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’association CAP pour la Liberté de conscience de la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du secrétaire général du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation et président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires du 1er août 2023 est annulée en tant qu’elle porte refus de communiquer à l’association CAP pour la Liberté de conscience les documents visés aux points 1, 2, 3, 7 et 8 de sa demande, à l’exception des évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées mentionnées au point 3 de cette demande.

Article 2 : Il est enjoint à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires de communiquer à l’association CAP pour la Liberté de conscience les documents mentionnés aux points 1, 2, 3, 7 et 8 de sa demande, à l’exception des évaluations contradictoires des conditions d’exécution des actions subventionnées mentionnées au point 3 de cette demande, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L’Etat versera à l’association CAP pour la Liberté de conscience la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association CAP pour la Liberté de conscience et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.

Délibéré après l’audience du 2 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Aubert, présidente,

M. Julinet, premier conseiller,

M. Medjahed, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.

Le rapporteur,

N. MEDJAHED

La présidente,

S. AUBERT

La greffière,

A. LOUART

La République mande et ordonne au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.