Résumé juridique

CEDH, Erçep c. Turquie, 22 novembre 2011, 43965/04
Article 9 (Manifester sa religion ou sa conviction)

Article 9 Article 9-1
Manifester sa religion ou sa conviction


Condamnation pénale d’un témoin de Jéhovah pour le refus d’accomplir son service militaire et l’absence d’un service civil de remplacement : violation
Article 46 Article 46-2
Exécution de l’arrêt
Mesures générales


Etat défendeur tenu de légiférer au sujet des objecteurs de conscience et de créer un service de remplacement
En fait Le requérant est témoin de Jéhovah et refuse d’accomplir son service militaire. Or, selon la loi, un appelé qui ne donne pas suite à l’appel d’incorporation est considéré comme déserteur. A chaque période d’incorporation, des poursuites pénales pour insoumission furent engagées à l’encontre du requérant (depuis 1998, plus de vingt-cinq procès). Ce dernier fut condamné à des peines d’emprisonnement. En 2004, le tribunal militaire décida de cumuler les peines d’emprisonnement infligées et obtint un total de sept mois et quinze jours. Après avoir purgé cinq mois de prison, le requérant fut placé en liberté conditionnelle.
En droit Article 9 : le requérant fait partie des témoins de Jéhovah, groupe religieux dont les croyances comportent la conviction qu’il y a lieu de s’opposer au service militaire, indépendamment de la nécessité de porter les armes. L’objection de l’intéressé a donc été motivée par des convictions religieuses sincères qui entraient en conflit, de manière sérieuse et insurmontable, avec son obligation à cet égard. Le système du service militaire obligatoire en vigueur en Turquie impose aux citoyens une obligation susceptible d’engendrer de graves conséquences pour les objecteurs de conscience : il n’autorise aucune exemption pour raisons de conscience et donne lieu à l’imposition de lourdes sanctions pénales aux personnes qui, comme le requérant, refusent d’accomplir leur service militaire. Ainsi, l’ingérence litigieuse tire son origine non seulement des multiples condamnations dont le requérant a fait l’objet mais aussi de l’absence d’un service de remplacement. Les objecteurs de conscience n’ont pas d’autre possibilité que de refuser d’être enrôlés dans l’armée s’ils veulent rester fidèles à leurs convictions. Ils s’exposent ainsi à une sorte de « mort civile » du fait des multiples poursuites pénales que les autorités ne manquent pas de diriger contre eux et des effets cumulatifs des condamnations pénales qui en résultent, de l’alternance continue des poursuites et des peines d’emprisonnement, et de la possibilité d’être poursuivis tout au long de leur vie. Un tel système ne ménage pas un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans son ensemble et celui des objecteurs de conscience. En conséquence, les peines qui ont été infligées au requérant alors que rien n’était prévu pour tenir compte des exigences de sa conscience et de ses convictions ne peuvent passer pour une mesure nécessaire dans une société démocratique.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 46 : la violation dans le chef du requérant tire son origine d’un problème structurel tenant d’une part à l’insuffisance du cadre juridique existant quant au statut des objecteurs de conscience et d’autre part à l’absence d’un service de remplacement. L’adoption d’une réforme législative, nécessaire pour prévenir des violations de la Convention similaires à celles constatées en l’espèce, et la création d’un service de remplacement pourraient constituer une forme appropriée de réparation qui permettrait de mettre un terme à la violation constatée.

Article 41 : 10 000 EUR pour préjudice moral.