Si le terme « secte » a longtemps permis de justifier diverses décisions prises dans le but d’entraver tout culte dérangeant, certaines autorités publiques invoquent aujourd’hui à tort et à travers la notion de « laïcité » pour limiter la pratique de religions stigmatisées.
Comme chaque année, en raison du nombre important de fidèles et de sympathisants qui se réunissent pour assister à la commémoration du sacrifice du Christ en faveur de l’humanité, les Témoins de Jéhovah doivent généralement trouver des salles de conférence d’une plus grande capacité que leur lieu de culte habituel. Comme chaque année, des municipalités, qui se croient au-dessus des lois, utilisent de nouveaux prétextes pour empêcher ces manifestations cultuelles dans des locaux appropriés. Comme chaque année, le juge des référés doit intervenir pour assurer les libertés de culte et de réunion reconnues à tout citoyen, quelle que soit son appartenance religieuse.
Cette fois-ci, c’est le maire de Langon (Gironde) qui a refusé au dernier moment la location d’une salle municipale, alors qu’il avait donné son accord en novembre 2010. N’ayant pas réussi à trouver un autre endroit pour se réunir, l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah a dû se tourner vers le tribunal administratif pour réagir en urgence à cette atteinte portée à une liberté fondamentale.
Dans son ordonnance du 28 mars 2011, le Tribunal administratif de Bordeaux a conclu que ce refus de la mairie est « manifestement illégal » et « porte une atteinte grave à la liberté de réunion ». Le juge des référés a expliqué que « le souci de respect des principes laïques et républicains [...] n’est pas au nombre de ceux qui peuvent légalement justifier » une telle décision. Il a donc ordonné la mise à disposition de la salle communale réservée pour le soir du 17 avril 2011.
Il est regrettable que l’on se serve ainsi de la notion de « laïcité » sans en connaître le sens véritable. D’après le Lexique des termes juridiques 2011 (Dalloz), la laïcité est un « principe d’organisation et de fonctionnement des services de l’État et de toutes les autres personnes publiques, selon lequel l’État est non confessionnel ». En conséquence, « il ne doit favoriser ou défavoriser la propagation des croyances ou des règles de vie en société d’aucune religion ». Dans l’affaire qui nous intéresse ici, il est clairement question de « défavoriser » un culte minoritaire, ce que confirment les propos explicites de l’élu rapportés dans la presse.
La loi du 9 décembre 1905, relative à la séparation des Églises et de l’État, est elle-même détournée de sa mission originelle. L’article 1er contredit évidemment le socialiste Charles Vérité : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Loin de s’efforcer d’interdire toute manifestation publique d’une religion déterminée, l’État français doit « garantir » le libre exercice des différents cultes sans aucune discrimination.
Le plus grave dans cette affaire, c’est qu’un homme politique se vante de braver la loi : « Je savais que c’était illégal. » Le juge administratif ne fait qu’appliquer les textes législatifs votés par ses compères au parlement, en tant que représentants de la nation française.
Plus grave encore, son attitude relève de lourdes condamnations prévues par le Code pénal. En effet, le deuxième alinéa de l’article 225-1 du Code pénal considère « toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de [...] l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à [...] une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales ». Or, le maire avait donné son accord par un courrier daté du 2 novembre 2010, puis refusé par un nouveau courrier signé le 16 mars 2011 en apprenant qu’il s’agissait des Témoins de Jéhovah. Force est de constater qu’une distinction est faite avec pour seule motivation l’appartenance religieuse des demandeurs. L’article 225-2 sanctionne un tel refus discriminatoire de fournir un service (public en l’occurrence) par 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.