Cour de cassation, 14 mars 2002
Presse - Diffamation publique - Association antisectes

- Modifié le 7 novembre 2015

Cour de Cassation Chambre civile 2

Audience publique du 14 mars 2002

Cassation

N° de pourvoi : 99-19238

Publié au bulletin

Président : M. Ancel.

Rapporteur : M. Guerder.

Avocat général : M. Joinet.

Avocats : M. Blondel, la SCP Monod et Colin.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X..., vice-présidente de l’Association pour la défense des familles et de l’individu (ADFI), a été invitée par la chaîne de télévision France 2, à participer à l’émission « Matin bonheur » diffusée le 16 janvier 1996 à l’occasion de la sortie de son livre, témoignage sur les sectes, intitulé « Gourous, rendez-lui sa liberté », ce livre évoquant le drame vécu par sa famille depuis que sa fille avait rejoint l’Association des Témoins de Jéhovah ; qu’au cours de cette émission, et sur interrogation du journaliste animateur, qui lui demandait « qu’est-ce qui est le plus séduisant dans ce que disent les Témoins de Jéhovah par rapport à l’Eglise catholique ? », Mme X... a déclaré « je ne veux pas parler des religions établies et des sectes. Moi, je ne les mélange pas. Pour moi, une secte c’est une association de malfaiteurs, une religion c’est quand même un mode de pensée » ; que s’estimant diffamée par ces propos, l’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France (ACTJF) a fait assigner Mme X... devant le tribunal de grande instance, par acte d’huissier de justice du 19 janvier 1996, en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 29 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, et 1382 du Code civil ;

Sur le second moyen :

Attendu que l’ACTJF fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de sa demande fondée sur l’article 1382 du Code civil, alors, selon le moyen, que dans ses conclusions régulièrement signifiées et déposées le 12 septembre 1997, l’ACTJF sollicitait la condamnation de Mme X..., en application de l’article 1382 du Code civil, invoquant pour cela des fautes de cette dernière consistant en un dénigrement systématique de la communauté des Témoins de Jéhovah afin d’empêcher la tenue d’un rassemblement cultuel à Lens et en la croisade qu’elle avait engagée à l’encontre de l’Association qu’elle tenait pour responsable de ses problèmes familiaux ; qu’ainsi, en déclarant que l’ACTJF n’alléguait aucune faute distincte de la diffamation, la cour d’appel dénature les conclusions d’appel de Mme X... et méconnaît les exigences de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Et attendu que l’acte introductif d’instance ayant fixé définitivement la nature et l’étendue de la poursuite quant aux faits et à leur qualification, c’est à bon droit que l’arrêt a décidé qu’aucune faute ne pouvait être retenue en application du texte précité ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu’il résulte de l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, que toute expression qui contient l’imputation d’un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation ;

Attendu que pour débouter l’ACTJF de son action en diffamation, l’arrêt énonce que l’affirmation selon laquelle cette association était une secte n’était pas en soi un propos diffamatoire, même si, dans l’opinion publique, cette appellation revêt un caractère péjoratif ; que d’ailleurs, cette association est citée parmi les sectes existantes dans un rapport parlementaire déposé le 20 décembre 1995 sollicité par le ministère de l’Intérieur aux fins d’évaluer le risque présenté par ces sectes ; que les termes « association de malfaiteurs » ne tendaient pas à imputer des faits précis à l’ACTJF mais correspondaient à des propos généraux s’inscrivant dans un contexte de critique des sectes, qu’ils ne devaient pas être compris dans leur acception pénale mais dans celle d’un langage courant au sens de malfaisants, propos utilisés pour faire passer une image forte correspondant au caractère nocif et dangereux que Mme X... attribue à cette association ; que ces propos, tenus dans le cadre d’une émission basée sur une alternance de questions réponses appelant ainsi la rapidité du propos au détriment parfois de la réflexion, devaient être considérés dans le cadre d’une expression orale spontanée et non dans celui d’un communiqué à publier minutieusement préparé ; qu’en réalité, les propos tenus par Mme X..., qui s’inscrivent dans le cadre du combat qu’elle a décidé de mener pour la défense des libertés individuelles tant au niveau personnel qu’au niveau associatif, constituent l’expression d’une opinion sur un mouvement reconnu comme sectaire tendant à décrier les conséquences néfastes de celui-ci, qu’ils ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression et d’opinion dans le cadre du débat actuel sur les sectes ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’assimilation de l’ACTJF à une association de malfaiteurs était susceptible de preuve et d’un débat contradictoire, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des propos incriminés, et violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 juin 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.