TA Paris, 22 décembre 2014
Documents administratifs - Communication - Miviludes

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

(6e section — 3e chambre)

N° 0712489/6-3

FEDERATION CHRETIENNE DES TEMO1NS DE JEHOVAH DE FRANCE

Mme Salzmann
Rapporteur

M. Dayan
Rapporteur public

Audience du 4 décembre 2014
Lecture du 22 décembre 2014

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu le jugement du 3 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif, avant dire droit sur la requête de la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France enregistrée le 7 août 2007 tendant à ce que le tribunal, d’une part, annule la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et des solidarités lui a refusé la communication de la note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) devenue mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) détenue par cet organisme, d’autre part, enjoigne au Premier ministre de communiquer ce document dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement, enfin mette à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a ordonné la production par la ministre chargée de la santé de cette note du 30 janvier 2001 dans un délai de trente jours ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier, et notamment la note du 30 janvier 2001 transmise par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ;

Vu la décision du Conseil d’Etat nos 337 987 et 337 988 du 22 février 2013 ;

Vu la décision du magistrat désigné d’inscrire cette requête au rôle d’une formation collégiale du tribunal ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ;

Vu le décret n° 98-890 du 7 octobre 1998 instituant une mission interministérielle de lutte contre les sectes ;

Vu le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 décembre 2014 :

 le rapport de Mme Salzmann ;

 les conclusions de M. Dayan, rapporteur public ;

 les observations orales de Me Goni, pour la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France ;

 et celles de Me Holleaux, représentant la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 décembre 2014, présentée pour la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France par Me Goni ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France a sollicité du ministre de la santé et des solidarités, le 15 janvier 2007, la communication de documents concernant les Témoins de Jéhovah détenus par le ministère de la santé et des solidarités, justifiant le contenu de la lettre adressée par le ministre au président de la mission parlementaire sur les sectes, le 24 novembre 2006, et publiée dans le rapport de l’Assemblée nationale sur « L’enfance volée. Les mineurs victimes des sectes » ; qu’à la suite du refus opposé par le ministre, par décision du 15 février 2007, de communiquer la seule note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de lutte contre les sectes, sur laquelle il s’était notamment fondé, au motif que la communication de ce document porterait atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a donné un avis défavorable à la communication du document demandé, le 24 mai 2007, pour le même motif ; que par jugement du 28 janvier 2010, le tribunal administratif de Paris a rejeté pour ce motif la demande d’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre avait confirmé le refus de lui communiquer le document sollicité, à la suite de la saisine de la CADA ; que le Conseil d’Etat, par la décision nos 337 987 et 337 988 du 22 février 2013, a annulé le jugement du tribunal pour erreur de droit dès lors que l’administration ne s’était pas livré à un examen du contenu de la note du 30 janvier 2001 avant de refuser sa communication ; que le tribunal, sur renvoi du Conseil d’Etat, a par jugement avant dire droit du 3 juillet 2014, demandé que cette note lui soit communiquée ; que le document demandé ayant été transmis au tribunal, celui-ci est en mesure de statuer sur la requête ;

Sur la fin de non recevoir :

2. Considérant que l’article 14 des statuts de la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France stipule : « ... Le président dirige les travaux du Conseil d’Administration. Il représente la Fédération dans tous les actes de la vie civile et signe valablement tous les actes, sous-seings privés et authentiques, au nom de la Fédération. En outre, il représente celle-ci en justice et peut engager au nom de la Fédération, après décision du Conseil d’Administration, tout recours et toute action en justice, aussi bien sur le plan civil que pénal, interjeter appel ou se pourvoir en cassation (...) » ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que conformément aux stipulations de l’article 14 des statuts de la Fédération, par une délibération du 1er août 2007, le conseil d’administration a décidé du recours en justice pour obtenir l’annulation de la décision du ministre de la santé refusant la communication de la note du 30 janvier 2001 de la MILS et la communication de cette note ; que par suite, le président de Fédération est compétent pour agir en justice ; que la fm de non recevoir doit être écartée et la requête présentée par la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France déclarée recevable ;

Sur les conclusions à fins d’annulation :

4. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er du décret du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires : « Il est institué, auprès du Premier ministre, une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui est chargée : 1° D’observer et d’analyser le phénomène des mouvements caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou sont contraires aux lois et règlements ; 2° De favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de ces agissements ; 3° De développer l’échange des informations entre les services publics sur les pratiques administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires ; 4° De contribuer à l’information et à la formation des agents publics dans ce domaine ; 5° D’informer le public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent et de faciliter la mise en œuvre d’actions d’aide aux victimes de ces dérives ; 6° De participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international. » ; qu’aux termes de l’article 2 : « La mission est rendue destinataire par les différentes administrations concernées des informations que celles-ci détiennent sur les mouvements à caractère sectaire visés à l’article 1er, sauf lorsque la communication de ces informations est de nature à porter atteinte à un secret protégé par la loi. / Elle peut également saisir les services centraux des ministères de toute demande tendant à la réalisation d’études ou de recherches dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires. / Elle diffuse régulièrement à ces services la synthèse des analyses générales effectuées sur le sujet. / Elle leur signale les agissements portés à sa connaissance qui lui paraissent pouvoir appeler une initiative de leur part. Si ces agissements sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, elle les dénonce au procureur de la République et avise de sa dénonciation le garde des sceaux, ministre de la justice » ; » ;

6. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 modifiée susvisée : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des chapitres Ier, III et IV du présent titre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions » ; que l’article 2 dispose : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés (...) Il ne s’exerce plus lorsque les documents font l’objet d’une diffusion publique (...) » ; qu’aux termes de l’article 6 de la même loi : « I. - Ne sont pas communicables (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte (...) d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes (...) f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente (...) II. - Ne sont communicables qu’a l’intéressé les documents administratifs : - dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; - portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; - faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (...) III. - Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions (...) » ;

7. Considérant que, pour déterminer si, comme le soutient la partie défenderesse, la communication de la note du 30 janvier 2001 de la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) devenue mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) serait susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, en raison des informations qu’elle contient, dès lors qu’elle révélerait selon quelles modalités les mécanismes d’alertes sont mis en place par la MIVILUDES pour permettre à celle-ci de prévenir les agissements des mouvements à caractère sectaire susceptibles de constituer une menace à l’ordre public et, en outre, révélerait l’identité d’un organisme public nommément désigné, le tribunal a, par le jugement du 3 juillet 2014 visé au point 1. ci-dessus, ordonné la production par le ministre chargé de la santé, à la troisième chambre de la sixième section du tribunal, de la note du 30 janvier 2001 sur laquelle il s’était notamment fondé pour justifier le contenu de la lettre adressée au président de la mission parlementaire sur les sectes, le 24 novembre 2006, et publiée dans le rapport de l’Assemblée nationale sur « L’enfance volée. Les mineurs victimes des sectes » ;

8. Considérant qu’il ressort de la note du 30 janvier 2001, adressée par le secrétaire général de la MILS au directeur de cabinet de la ministre de l’emploi et de la solidarité, produite en application de ce jugement avant-dire droit du 3 juillet 2014, que celui-ci dans le cadre de sa mission de coordination de l’action préventive des pouvoirs publics à l’encontre des agissements des mouvements à caractère sectaire met en garde un organisme public nommément désigné sur les menaces à l’ordre public que peuvent présenter certains agissements des témoins de Jéhovah ; que si les mentions désignant cet organisme ou permettant de l’identifier et révélant précisément les circonstances de la mise en garde, doivent être occultées ou disjointes, à savoir les deux premiers et le quatrième paragraphes, dès lors que la divulgation de ces informations serait de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, protégées par l’article 6 I de la loi du 17 juillet 1978 susvisée, il ne ressort pas des mentions portées au troisième paragraphe exposant de façon générale les agissements qui sont reprochés aux témoins de Jehovah qu’elles ne pourraient faire l’objet d’une communication que par suite, sous réserve de l’occultation ou des disjonctions nécessaires des mentions ainsi qu’il a été dit ci-dessus, cette note, sous une forme partielle, est communicable ; que par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’autre moyen de la requête, la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France est fondée à demander l’annulation de la décision du 15 février 2007 par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a refusé de lui communiquer cette note ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

9. Considérant que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes communique à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France la note du 30 juin 2001 demandée, sous réserve d’occultation ou de disjonction des mentions telles qu’indiquées au point 8 ; qu’il y a lieu d’enjoindre à la ministre de communiquer ladite note, sous les réserves indiquées, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :

10. Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France ou de l’Etat au titre des frais exposés par les parties et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La décision du 15 février 2007 par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a refusé de communiquer à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France la note du 30 janvier 2001 adressée par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes de communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France la note du 30 juin 2001 demandée, sous réserve d’occultation ou de disjonction des mentions telles qu’indiquées dans les motifs au point 8 du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France est rejeté.

Article 4 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Copie en sera adressée à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.