CA Douai, 2 septembre 1999
Autorité parentale - Pratique religieuse - Intérêt de l’enfant - Suivi médical

COUR D’APPEL DE DOUAI

7e chambre

2 SEPTEMBRE 1999

PRÉSIDENCE DE Mme ROUSSEL

Mme Muriel L. c/ M. Joël N.

[...]

Il apparaît des éléments de la cause que le couple parental s’est dégradé principalement en 1997, que le désaccord du couple qui est manifestement plus ancien s’est cristallisé à cette époque autour de la pratique par Mme Muriel L. du culte des Témoins de Jéhovah en compagnie des trois enfants mineurs.

En effet, dès juin 1997, alors que le couple n’était pas séparé, M. Joël N. assignait son épouse devant le Juge aux Affaires Familiales afin de faire régler un conflit d’autorité parentale sur ce point et tendant principalement à empêcher Mme M.L. de faire participer les trois filles à l’une quelconque des activités des Témoins de Jéhovah.

M. Joël N. était débouté de ses demandes dans une ordonnance en date du 26 septembre 1997, le juge aux Affaires Familiales ayant relevé qu’en l’espèce, il n’était pas démontré « que la pratique religieuse des enfants ait des répercussions néfastes au plan physique, psychologique ou scolaire », que par ailleurs, il n’apparaissait pas que l’opposition de la mère à toute transfusion sanguine était formellement établie, qu’au surplus il pouvait y être passé outre en cas d’urgence, qu’ainsi il apparaissait que les filles étaient suivies régulièrement au plan médical ». Au surplus, au plan psychologique et social, il était relevé que l’attestation de Mme D., si elle relevait que les deux aînées avaient une individualité perturbée du fait de l’absence de distance psychique en dehors de Jéhovah, il était également relevé qu’elles étaient perturbées par la séparation parentale et soucieuse de l’unité familiale. Il était ainsi relevé dans cette décision « qu’il n’est pas démontré, ni même allégué, que la participation des enfants aux activités de la communauté des Témoins de Jéhovah ait un retentissement défavorable sur leur scolarité ou sur leur insertion sociale », le juge aux Affaires Familiales ayant enfin précisé que M. Joël N. ne rapportait pas la preuve que précédemment les enfants étaient engagés dans une autre religion ou que depuis huit ans que Mme Muriel L. pratiquait avec les enfants, il s’y était opposé.

Postérieurement à cette décision, le couple parental devait se séparer sur une scène de violence dont les enfants étaient témoins.

Mme M. L. obtenait l’autorisation de résider séparément avec les enfants.

Postérieurement, le juge aux Affaires familiales fixait la résidence des deux filles aînées avec le père, celle de la plus petite avec la mère et ordonnait une enquête sociale.

C’est sur les conclusions de cette enquête que le premier juge a pris la décision dont appel, fixant la résidence des trois filles chez leur père, considération prise que la pratique de la mère avait des conséquences néfastes sur l’évolution psychologique des filles et sur leur insertion sociale outre sur leur suivi médical, eu égard à l’opposition de la mère à toute transfusion sanguine.

Il appartient à la Cour de statuer en fonction de l’intérêt supérieur des enfants afin de définir pour elles le lieu de résidence le plus conforme à leurs intérêts tant matériels que moraux, en fonction de la séparation de leurs parents.

Il apparaît des éléments de la cause que l’enquête sociale diligentée a procédé par affirmations quant au culte pratiqué par les enfants sans se reporter suffisamment à la pratique familiale antérieurement suivie. En effet, il est constant que Mme M. L. pratiquait le Jéhovisme depuis huit années lorsque le couple s’est séparé et y associait les enfants sans que le père ne s’y oppose avant la crise relatée en juin 1997.

Bien plus, il apparaît des éléments du dossier versés par Mme M. L. et non contredits par M. Joël N. que ce dernier n’était pas défavorable tout au moins à la fréquentation des Témoins de Jéhovah, comme en témoignent les vacances passées avec la famille M., une des filles étant même restée un mois de plus seule dans cette famille.

En dehors de cet aspect, il apparaît que M. Joël N. n’apporte nullement la démonstration d’un engagement excessif de ses filles de nature à nuire à leur travail scolaire ou à leur insertion sociale. Les seules difficultés rapportées ont trait à la non-participation à des activités sportives pendant la période concomitante à la séparation des époux, période troublée pendant laquelle, Mme M. L. n’avait pas pendant un temps, de logement personnel. Sur le travail scolaire, M. Joël N. ne prouve pas plus que les résultats scolaires des enfants étaient en baisse lorsqu’elles étaient avec leur mère ou que la mère privilégiait la participation au culte par rapport au travail scolaire, que notamment, il n’est nullement démontré que les filles faisaient du porte-à-porte avec leur mère. La participation aux activités certains dimanches ne peut sérieusement être retenue comme contraire à la scolarité.

Sur le manque d’insertion sociale des enfants, il ne peut être tiré de quelques exemples sporadiques tenant au refus de participer à certaines fêtes un manque d’ouverture des filles vers l’extérieur.

En tout état de cause, il apparaît que les filles et principalement les aînées n’ont manifesté aucune opposition par rapport à cette pratique alors même qu’à leur âge, les enfants peuvent être prompts à se révolter ou à refuser ce qu’ils jugent comme des contraintes, que l’attestation psychologique produite par M. Joël N. sur ce point qui évoque le manque de distance psychique des deux aînées de nature à perturber leur individualité du fait de l’appartenance au culte des Témoins de Jéhovah a été réalisée par Mme D. à la suite de deux entretiens et ne peut fonder la conviction d’un endoctrinement tel qu’affirmé par M. Joël N., qu’au surplus, comme il a été dit précédemment, M. Joël N. a été débouté de ses demandes tendant à voir interdire Mme M. L. d’associer les filles au culte des Témoins de Jéhovah, qu’une expertise psychologique n’a pas été jugée utile.

Il faut souligner que les trois filles ont à plusieurs reprises exprimé leur souhait de vivre avec leur mère, qu’elles sont très proches de celle-ci et particulièrement pour Adeline sont en opposition avec leur père.

Sur le suivi médical des trois filles, il apparaît que Mme M.L. n’a commis aucune négligence dans le suivi des enfants, un oubli en ce qui concerne le rappel du B.C.G. ne pouvant être considéré comme tel, ayant été ultérieurement rattrapé. Sur le problème des transfusions sanguines, il apparaît qu’il existe actuellement des produits non sanguins permettant de contourner cette difficulté, qu’en tout état de cause, en cas d’urgence, il peut être passé outre par décision judiciaire. Cette seule considération ne peut en tout état de cause faire peser sur Mme M. L. une suspicion quelconque de ne pas s’intéresser à la santé de ses filles.

Il apparaît des éléments de la cause que la mère s’est toujours principalement occupée de l’éducation des enfants dans des conditions correctes que M. Joël N. ne peut sérieusement discuter, qu’elle est attachée aux enfants et cela réciproquement, qu’elle ne travaille pas et est donc entièrement disponible pour elles, ce qui n’est pas le cas du père, qu’elle a un logement suffisamment grand et bien installé pour recevoir les trois filles, qu’il apparaît en conséquence que contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, la mère est la mieux à même de pourvoir au quotidien à l’éducation des trois filles. La décision entreprise sera en conséquence réformée sur ce point quand bien même un jugement du 12 janvier 1999, ayant prononcé le divorce entre les époux a maintenu la résidence des enfants chez le père, dès lors que ce jugement a également été frappé d’appel sur la totalité de ses dispositions. Au surplus, il apparaît que le père était par rapport à la mère dans un état d’esprit tendant à son exclusion progressive de la mère, ayant demandé et du reste obtenu dans ce jugement dont appel, une restriction du droit de visite de la mère.

Le droit de visite du père sera fixée comme il sera dit au dispositif du présent arrêt, considération prise de ce que le père ne travaille pas le mercredi et peut recevoir ses filles en milieu de semaine.

Par ces motifs

Déclare l’appel formé par Mme M. L. recevable du chef de la résidence des enfants et des pensions alimentaires pour eux et pour elle-même.

Déclare l’appel incident formé par M. Joël N. du chef du droit de visite et de la pension alimentaire pour Mme M. L. recevable.

Réforme la décision entreprise sur la résidence des enfants, le droit de visite et les pension alimentaires pour les enfants.

En conséquence statuant à nouveau.

Fixe la résidence habituelle des enfants Adeline, Justine et Pauline chez leur mère à compter du présent arrêt.

Accorde au père un droit de visite et d’hébergement.

Dit que, sauf accord des parties sur d’autres dispositions, le droit de visite et d’hébergement s’exercera de la façon suivante :

Dit que si le bénéficiaire du droit de visite n’est pas venu chercher les enfants au plus tard une heure après l’heure fixée, pour les fins de semaine, ou au plus tard dans la première journée pour les périodes de vacances, il sera, sauf accord contraire des parties, considéré comme ayant renoncé à son droit de visite et d’hébergement pour toute la période concernée.

Met à la charge du père à compter du présent arrêt une pension alimentaire de 1.200 F (mille deux cents francs) par mois pour chacun des enfants soit au total 3.600 F (trois mille six cents francs).

Dit que ladite pension sera payable chaque mois et d’avance au domicile de la mère et sans frais pour celle-ci, même pendant les périodes où le père exercera, le cas échéant, son droit d’hébergement.

Dit que cette pension sera indexée sur l’indice national des prix à la consommation des ménages urbains, série France entière, publié par l’I.N.S.E.E et révisée chaque année en fonction de la variation de cet indice à la date anniversaire de la présente décision.

Confirme la décision entreprise sur le surplus des dispositions et notamment l’autorité parentale et la pension alimentaire pour la femme.

Statuant par dispositions nouvelles à compter du présent arrêt.

Fixe la pension alimentaire pour l’épouse à la somme de 1.000 F (mille F) par mois.

Dit que ladite pension sera payable chaque mois et d’avance au domicile de la mère et sans frais pour celle-ci, même pendant les périodes où le père exercera, le cas échéant, son droit d’hébergement.

Dit que cette pension sera indexée sur l’indice national des prix à la consommation des ménages urbains, série France entière, publié par l’I.N.S.E.E et révisée chaque année en fonction de la variation de cet indice à la date anniversaire de la décision déférée.

Déboute Mme M.L. de ses demandes plus amples ou contraires sur la pension alimentaire pour elle-même.

Dit que les dépens de première instance seront joints au principal.

Partage les dépens d’appel par moitié.