Conseil de l’Europe

CEDH, Association les Témoins de Jéhovah c. France, 5 juillet 2012
Article 41 (satisfaction équitable)

- Modifié le 24 avril 2023

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE ASSOCIATION LES TÉMOINS DE JÉHOVAH c. FRANCE

(Requête no 8916/05)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

5 juillet 2012

DÉFINITIF

05/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Association Les Témoins de Jéhovah c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Mark Villiger,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 juin 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8916/05) dirigée contre la République française, dont une association de cet Etat, l’association Les Témoins de Jéhovah (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 février 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 30 juin 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la taxation des dons manuels faits à la requérante de 1993 à 1996 constituait une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention non « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de cette disposition (Association Les Témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05, §§ 66 à 72, 30 juin 2011).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait une satisfaction équitable consistant en l’annulation du redressement fiscal et la levée des mesures d’hypothèques prises sur ses biens. Elle réclamait en outre, au titre du préjudice matériel, la restitution des « sommes saisies » à l’occasion du contrôle fiscal, soit 4 590 295 euros (EUR) avec les intérêts correspondants, 250 000 EUR au titre du préjudice moral, et le remboursement des frais et dépens à hauteur de 182 746 EUR.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 76 et point 2 du dispositif).

5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations, indiquant notamment qu’aucun accord n’avait pu être trouvé.

EN DROIT

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

7. L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. (...) »

A. Dommage

1. Arguments des parties

a) Annulation du redressement fiscal et indemnisation au titre du préjudice matériel

8. Dans ses observations du 26 décembre 2011, la requérante réitère sa demande d’annulation du redressement fiscal. Elle considère que c’est la seule façon de mettre fin au préjudice qu’elle continue de subir du fait de la taxation jugée contraire à l’article 9 de la Convention par la Cour. L’illégalité de l’imposition entraîne pour l’Etat une obligation de restitutio in integrum de manière à effacer toutes les conséquences de la violation (Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, §§ 34‑39, 11 décembre 2003). La requérante fait valoir qu’en application du premier alinéa de l’article R 211‑1 du Livre des procédures fiscales (LPF) [1], l’administration fiscale est autorisée, en cas de reconnaissance par une juridiction de l’illégalité d’une taxe, à rembourser d’office toutes les sommes versées, à lever les hypothèques et à annuler l’impôt.

9. La requérante réclame en outre la restitution de la somme de 6 438 140 EUR correspondant à la somme de 4 590 295 EUR qui a déjà fait l’objet d’un paiement au Trésor public, assortie des intérêts calculés au taux de 4,80 % (qui serait appliqué couramment en France pour la réparation d’une erreur commise au préjudice d’un contribuable) [2], correspondant à 1 798 893 EUR au 2 janvier 2012. Enfin, elle demande la levée des mesures d’hypothèque prises sur ses biens.

10. Le Gouvernement rappelle que, au 31 décembre 2011, la dette de la requérante vis-à-vis du Trésor public, après paiement de la somme de 4 590 295 EUR, s’élève à un total de 59 121 834 EUR qui se décompose comme suit :

 Droits restant dus : 18 330 097 EUR (22 920 382 EUR moins le versement de la somme de 4 590 295 EUR),

 Majoration de 80 % : 18 336 313 EUR,

 Intérêts de retard d’assiette : 4 082 170 EUR,

 Intérêts de retard de recouvrement : 18 373 254 EUR.

Il constate que la demande de la requérante porte sur un total de 65 559 974 EUR (dégrèvement des droits restant dus pour 18 330 097 EUR, restitution des droits payés pour 4 590 295 EUR plus les intérêts moratoires pour 1 847 845 EUR, remise de la totalité des pénalités pour 40 791 737 EUR).

11. Le Gouvernement explique qu’il n’est pas en mesure de proposer davantage que la remise des pénalités et intérêts de retard soit la somme de 40 791 737 EUR au 30 décembre 2011. En effet, l’article L. 247 du LPF dispose que « aucune autorité publique ne peut accorder de remise totale ou partielle des droits d’enregistrement ». Par ailleurs, les termes de l’arrêt du 30 juin 2011 ne permettent pas de considérer que l’imposition en cause n’est pas régulièrement due et fondée. La Cour a condamné la taxation d’office de la requérante, imprévisible parce que pour la première fois appliquée à une personne morale au cours de la présentation de sa comptabilité, mais elle n’a pas, selon le Gouvernement, remis en cause le principe même de la taxation selon les conditions du droit commun. Cela serait démontré par l’absence d’examen de la finalité et de la nécessité de l’ingérence et par l’énoncé du paragraphe 52 de l’arrêt selon lequel « (...) la mesure litigieuse a eu pour effet de maintenir la requérante dans le régime fiscal de droit commun des associations, en l’excluant des avantages fiscaux réservés à d’autres associations dont les associations cultuelles. Or, la requérante ne saurait exiger un statut fiscal particulier sous couvert de la liberté de religion (...) ». Le Gouvernement ajoute que la remise des pénalités et intérêts de retard limiterait la charge restant due par l’association à 18 330 097 EUR et n’aurait plus pour effet de « couper les ressources vitales de l’association ». Si la Cour estimait tout de même devoir condamner la France à une satisfaction équitable correspondant à une partie des droits au principal, le Gouvernement précise qu’il ne pourrait exécuter une telle condamnation que par le mécanisme du dégrèvement d’une quote-part de l’impôt.

b) Dommage moral

12. La requérante maintient sa demande, au nom des deux cent cinquante mille fidèles de France, et réclame 250 000 EUR représentant l’ampleur des effets négatifs de la violation et le nombre de personnes visées par la taxation.

13. Le Gouvernement juge excessive cette demande, en particulier parce que la taxation litigieuse n’a eu aucun effet réel sur la pratique cultuelle des fidèles.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

14. Pour décider de la manière dont il convient d’envisager les demandes de la requérante, la Cour doit avant tout rappeler la portée des obligations de l’Etat au titre de l’article 46 de la Convention, à savoir l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI) et celle de prévenir de nouvelles violations (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 58, série A no 31).

15. Aux termes de l’article 46 de la Convention, les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’Etat défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. Il est entendu en outre que l’Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 71, CEDH 2006‑IX (extraits) ; Kimlya et autres c. Russie, nos 76836/01 et 32782/03, § 109, CEDH 2009 ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 50, 4 octobre 2011).

16. Au niveau individuel comme au niveau des mesures générales, le pouvoir d’appréciation des Etats quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) et faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec ceux-ci (Salah, précité, § 73). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence, ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée, la satisfaction qui lui semble appropriée (ibidem ; Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

17. En outre, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par conséquent, il appartient à l’Etat défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant (Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 47, CEDH 2004‑I).

b) Application au cas d’espèce

i. Préjudice matériel

18. Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l’ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité prévue au paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention. Elle a considéré que le redressement fiscal appliqué à la requérante en vertu de l’article 757 alinéa 2 du code général des impôts tel qu’en vigueur à l’époque des faits était « imprévisible » selon cette législation interne.

19. La Cour rappelle qu’il faut démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le dommage subi et la violation dénoncée. Elle reconnaît que ce lien n’est pas facilement identifiable dans les matières autres que celles concernant la privation de propriété, et en particulier en cas d’ingérence dans les droits garantis par l’article 9 de la Convention (voir, par exemple, Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, no 40825/98, § 130, 31 juillet 2008 ; Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 118, 15 septembre 2009). Toutefois, force est de constater que le caractère illégal, au regard de la Convention, de l’ingérence litigieuse peut justifier l’octroi à la requérante d’une indemnisation entière. En effet, compte tenu de la nature de la violation, qui prend sa source dans un contentieux purement fiscal, seule la restitution de la somme de 4 590 295 EUR payée par l’association requérante (arrêt au principal, § 23) et perçue indûment, puisque illégalement au vu de la Convention, placerait celle-ci, le plus possible, dans une situation équivalente à celle où elle se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de l’article 9.

20. A la connaissance de la Cour, les autorités françaises n’ont pas remboursé jusqu’ici à la requérante cette somme, à laquelle il convient d’ajouter des intérêts à partir du jour du paiement. La Cour observe à cet égard que le Gouvernement ne conteste pas le taux d’intérêt réclamé par la requérante. Dans ces conditions, elle fait intégralement droit à sa demande de remboursement telle que formulée au paragraphe 9 ci-dessus (Darby c. Suède, 23 octobre 1990, §§ 37-38, série A no 187 ; mutatis mutandis, Serif c. Grèce, no 38178/97, § 61, CEDH 1999‑IX).

ii. Préjudice moral

21. La Cour observe que la demande de l’association se fonde principalement sur le préjudice causé aux fidèles de la confession qu’elle représente. Or, elle seule, en tant que requérante, peut se prétendre victime de la violation de la Convention telle qu’appréciée par la Cour. Dans ces conditions, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder une indemnité pécuniaire au titre du préjudice moral.

iii. Article 46

22. Quant à la mesure de taxation toujours en cours, y compris les pénalités et les intérêts de retard (voir paragraphe 10 ci-dessus), la Cour estime qu’il incombe à l’Etat défendeur de mettre en œuvre les moyens propres à effacer les conséquences de sa contrariété à la Convention. Compte tenu de la nature de la violation, elle considère que la renonciation à la recouvrer constituerait une forme appropriée de réparation qui permettrait de mettre un terme à la violation constatée (mutatis mutandis, Zafranas, précité, § 51). Il est entendu cependant que l’Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir d’autres moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (mutatis mutandis, Les témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie, no 302/02, § 206, 10 juin 2010).

B. Frais et dépens

1. La requérante

23. La requérante réclame un montant total de 182 746 EUR dans ses observations initiales du 11 septembre 2008 et de 181 096 EUR dans son mémoire du 26 décembre 2011. Elle précise que les sommes demandées sont exclusives du montant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Elle demande qu’il soit précisé par la Cour que le Gouvernement doit payer le montant de la TVA correspondante.

a) Procédures internes

24. La requérante demande le remboursement de la somme de 124 002 EUR au titre des procédures internes.

25. Elle produit cinq notes d’honoraires relatives à son assistance au cours de la phase précontentieuse d’un montant total de 26 678 EUR.

26. Les frais engagés au titre des procédures suivies devant les juridictions internes s’élèvent, selon les notes d’honoraires figurant au dossier, à 97 323 EUR décomposés de la manière suivante : 33 693 EUR et 33 630 EUR pour la procédure devant les juridictions du ressort de Versailles ; 30 000 EUR pour l’établissement du mémoire ampliatif devant la Cour de cassation.

b) Procédure devant la Cour

27. Quant aux frais exposés devant la Cour, la requérante demande le remboursement de 57 093 EUR.

28. En premier lieu, cette somme correspond au travail effectué par son conseil qui présente une facture de 47 400 EUR, couvrant la préparation de la requête (27 000 EUR), l’étude des observations initiales et complémentaires du Gouvernement et la rédaction des réponses (9 400 EUR et 2 400 EUR), l’étude de la décision partielle de recevabilité du 17 juin 2008 (8 600 EUR) et la phase de règlement amiable. La lettre du conseil de la requérante indique un taux horaire de 250 EUR mais précise qu’au vu du nombre considérable d’heures nécessitées par le litige, le montant total a été réduit et une somme forfaitaire fixée.

29. En second lieu, la requérante demande le remboursement de montants respectifs de 4 968 EUR et 4 725 EUR correspondant à des notes d’honoraires d’avocats britanniques et allemands pour des entretiens et la relecture de mémoires rédigés par son conseil.

2. Le Gouvernement

30. Le Gouvernement observe que la requérante ne précise pas quelle proportion des honoraires facturés au titre des procédures devant les juridictions internes concernerait le temps employé au développement des moyens correspondant aux griefs soutenus devant la Cour. Par ailleurs, il estime que les notes d’honoraires présentées par les avocats britanniques et allemands ne sauraient être retenues dans la mesure où leur nécessité n’est pas établie.

31. Le Gouvernement relève encore que, à l’exception d’une provision de 2 734 EUR sur une facture d’avoué près la cour d’appel de Versailles, il n’est justifié d’aucun paiement par l’association requérante. La facture de son conseil devant la Cour ne prévoit aucun paiement avant que soit rendu l’arrêt de cette dernière.

32. En toute hypothèse, le Gouvernement considère que les montants réclamés sont totalement disproportionnés et que le montant éventuellement alloué au titre des frais et dépens ne devrait pas excéder la somme de 10 000 EUR.

33. Le Gouvernement précise enfin que les sommes versées au titre de la satisfaction équitable n’étant pas soumises à l’impôt, il ne peut être condamné à verser le montant d’une TVA qui n’est en tout état de cause pas due.

3. La Cour

34. Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002). La Cour rappelle également que la preuve du paiement effectif des sommes réclamées n’est pas exigée. A tout le moins, l’absence d’une telle preuve ne peut justifier le rejet d’une demande en soi bien fondée (Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, § 137, 26 mars 2009).

35. Quant aux frais exposés devant les juridictions internes, la Cour observe que les réclamations auprès de l’administration fiscale lors de la phase précontentieuse ne visaient pas à réparer les violations de la Convention alléguées (arrêt au principal, paragraphes 13, 17 et 18). Ces frais ne peuvent être donc pris en compte dans l’appréciation de la demande de coûts. Il n’en est pas de même, en revanche, des sommes réclamées pour la procédure devant les juridictions nationales car il n’est pas contesté que l’affaire de la requérante visait partiellement la violation de la Convention. A ce sujet, la Cour rappelle cependant qu’elle n’a conclu en l’espèce à la violation de la Convention que pour l’un des griefs développés par la requérante, celui tiré de l’article 9 de la Convention (voir les décisions sur la recevabilité de l’affaire des 17 juin 2008 et 21 septembre 2010). En outre, elle juge élevés les montants réclamés à titre d’honoraires et considère qu’il y lieu de les rembourser en partie seulement. Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 40 000 EUR de ce chef.

36. Quant aux frais et dépens exposés au cours de la procédure devant elle, la Cour ne doute pas de leur nécessité et reconnaît la grande quantité de travail effectué au nom de la requérante. Elle trouve cependant excessifs les honoraires revendiqués. En particulier, le nombre d’heures de travail n’est pas précisé et le tarif horaire réclamé de 250 EUR va au-delà de ce qu’elle est disposée à considérer comme un quantum raisonnable (Geerings c. Pays-Bas (satisfaction équitable), no 30810/03, § 28, 14 février 2008). Par ailleurs, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel l’assistance juridique des avocats britanniques et allemands ne correspondait pas à une nécessité (Iatridi, précité, § 56). Eu égard à ce qui précède, elle considère dès lors qu’il n’y a lieu de rembourser les frais qu’en partie. Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 15 000 EUR de ce chef.

37. En conclusion, la Cour alloue au total 55 000 EUR, hors TVA, à la requérante pour l’ensemble des frais exposés devant les juridictions nationales et à Strasbourg. Pour répondre aux demandes des parties concernant l’exonération fiscale (paragraphes 23 et 33 ci-dessus), la Cour tient à préciser ce qui suit. La Cour octroie, s’il y a lieu, des montants au titre de frais et dépens qui sont destinés à restituer aux requérants les sommes qu’ils ont dû exposer pour essayer de prévenir une violation, pour la faire constater par la Cour et (si besoin est) pour obtenir, après un arrêt favorable, une satisfaction équitable soit des autorités nationales compétentes soit, le cas échéant, de la Cour (Neumeister c. Autriche (article 50), 7 mai 1974, § 43, série A no 17 ; König c. Allemagne (article 50), 10 mars 1980, § 20, série A no 36 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 284, CEDH 2006‑V). Or, il est fréquent que des taxes viennent s’ajouter aux frais et dépens ; ainsi, notamment, la France comme la majorité des autres Hautes Parties Contractantes impose une taxe sur la valeur ajoutée, dite TVA, de certains biens et services. S’agissant des services des avocats, traducteurs et autres, s’il est vrai que la taxe est payée à l’Etat par ceux-ci, elle est néanmoins facturée aux requérants et en dernier lieu payable par eux. Il convient de protéger les requérants contre cet alourdissement de la facture. C’est pour cette seule raison que la Cour ordonne dans le dispositif de ses arrêts que les sommes accordées au titre de frais et dépens soient majorées de tout montant pouvant être dû au requérant à titre d’impôt ou de taxe.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention,

i. le remboursement de la somme indûment payée au Trésor public, à savoir 4 590 295 EUR (quatre millions cinq cent quatre-vingt-dix mille deux cent quatre-vingt-quinze euros) assortie des intérêts moratoires au titre du préjudice matériel ;

ii. 55 000 EUR (cinquante-cinq mille euros) pour frais et dépens plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe sur cette somme à la requérante,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek
Greffière

Dean Spielmann
Président

Références

La Semaine juridique (JCP), édition générale, 5 septembre 2011, n° 36, p. 1557-1560 ;

La Semaine juridique (JCP), Entreprise et Affaires, 12 juillet 2012, n° 28, 29, p. 19 ;

Revue de Droit Fiscal, 12 juillet 2012, n° 28, p. 6 ;

La Gazette du Palais, 25, 26 juillet 2012, n° 207, 208, p. 29.

Notes

[11. « L’administration des impôts ou l’administration des douanes et droits indirects selon le cas, peut prononcer d’office le dégrèvement ou la restitution d’impositions qui n’étaient pas dues, jusqu’au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de réclamation a pris fin, ou, en cas d’instance devant les tribunaux, celle au cours de laquelle la décision intervenue a été notifiée. »

[21. La requérante fait référence à l’article L. 208 du Livre des procédures fiscales selon lequel tout dégrèvement prononcé à la suite d’une réclamation contentieuse tendant à la réparation d’une erreur commise dans l’assiette ou le calcul des impositions donne lieu au versement d’intérêts moratoires dont le taux est celui de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du code général des impôts (CGI). Les intérêts courent du jour du paiement. Selon l’article 1727 du CGI, le taux de l’intérêt de retard est de 0,40 % par mois, soit 4,8 % par an.