Question de droit

Les saisines de la Miviludes sont-elles un indicateur fiable ?
Mission interministérielle - Dérives sectaires - Questions - Signalements

- Modifié le 29 février

La Mission interministérielle de lutte et de vigilance contre les dérives sectaires (Miviludes) utilise régulièrement le nombre de saisines qu’elle reçoit pour estimer l’ampleur et l’évolution des dérives sectaires en France, ainsi que la dangerosité des mouvements visés par celles-là.

Qu’est-ce que la Miviludes définit comme une « saisine » ? Son Rapport d’activité 2018-2020, qui a consacré une large part à l’analyse détaillée de ces contacts avec l’institution gouvernementale, a précisé ce que recouvre ce terme :

« Les saisines adressées par les particuliers sont distinguées en deux catégories, correspondant à deux formulaires de saisine en ligne différents sur le site de la Miviludes : d’une part, les demandes d’avis et d’autre part, les signalements [1]. »

Information diffusée régulièrement par la Miviludes sur les réseaux sociaux pour générer des saisines
© Miviludes – CIPDR

Pour le reste, les échanges avec les autorités et établissement publics, les personnes morales, ainsi qu’avec les élus et les journalistes, restent de simples consultations de la mission.

En fait, la proportion des signalements varie entre 23,1 % en 2016 et 55,6 % en 2020 [2]. La plupart des saisines sont donc de simples questions sur de possibles dérives sectaires. De plus, les faits que les personnes présument comme une « dérive sectaire » ne sont pas forcément répréhensibles au regard du droit français. Par exemple, le rapport 2015 de la Miviludes comptait 54 signalements et interrogations en 2015 à propos du « prosélytisme dans l’espace public », tout en rappelant que cela est tout à fait légal dans la limite du respect de l’ordre public [3].

Par ailleurs, le rapport 2018-2020 a indiqué les suites données à ces saisines, de manière plus complète pour l’année 2019 : 35 % sont classées sans suite (432 sur 1239), 27 % transmises aux services compétents (334) et seulement 0,01 % signalées aux procureurs de la République (12) [4]. Et encore, cela ne préjuge pas du résultat d’éventuelles poursuites judiciaires qui ont pu s’ensuivre, sachant que chacun demeure présumé innocent dans notre État de droit, tant qu’il n’a pas été condamné par un juge.

Au final, le nombre de saisines de la Miviludes est bien plus révélateur de l’inquiétude des Français, sujets aux préjugés, à l’influence des médias et à un déficit culturel dans le domaine religieux, que de la réalité d’un phénomène dangereux.

Nos voisins européens l’ont très bien compris eux ! Lors d’un colloque organisé en 2010 sur le thème « Quelles régulations pour les nouveaux mouvements religieux et les dérives sectaires dans l’Union européenne ? », le directeur du Centre d’Information et d’Avis sur les Organisations Sectaires Nuisibles (CIAOSN), créé en 1998 par une loi en Belgique, a expliqué l’utilité des questions qui lui sont posées et leurs limites :

« Ces échanges permettent de répondre au prescrit de la loi, mais aussi de cerner au plus près les attentes du public, de mieux connaître les sujets qui le préoccupent, les groupes à propos desquels il s’inquiète - à tort ou à raison - ou qui, très simplement, l’intéressent [5]. »

Lors du débat qui a suivi, il a ajouté que les sujets de consultation constituent simplement un « baromètre [6] ». Mais le CIAOSN ne détermine pas quel mouvement serait « nuisible » à partir de ces données, ni des autres informations qu’il se contente de fournir en réponse aux demandes reçues [7].

De même, les responsables du Centre d’Information sur les Croyances (CIC), financé depuis 2001 par un groupe de Cantons en Suisse, ont constaté que nombre d’interrogations proviennent d’inquiétudes suscitées par les médias, les informations publiées sur Internet, notamment la « liste des sectes » établie par le rapport parlementaire français publié en 1996 [8].

D’ailleurs, pour ne pas conclure trop vite qu’un groupe est dangereux simplement parce qu’il est l’objet de critiques et de controverses, le CIC replace ces polémiques dans un contexte de méfiance à l’égard du fait religieux :

« Le CIC distingue dans son appréciation ce qui peut déranger de ce qui peut être dangereux. Dans une société laïque, tout groupe religieux paraît suspect, surtout lorsqu’il valorise des pratiques démonstratives ou initiatiques. Il n’en est pas pour autant dangereux [9]. »

Notes

[2Ibid., p. 15.

[3Miviludes, Rapport au Premier ministre 2015, 2016, p. 32.

[5Éric Brasseur, « Le CIAOSN : Pas de grille de lecture préalable » In : Nathalie Luca, Quelles régulations pour les nouveaux mouvements religieux et les dérives sectaires dans l’Union européenne ?, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2011, p. 90.

[6Ibid., p. 95.

[7Ibid., p. 94.

[8François Bellanger, Brigitte Knobel, « L’information sur les mouvements religieux controversés dans le contexte suisse de neutralité confessionnelle » In : Nathalie Luca, op. cit., p. 110.

[9Ibid., p. 110.