TA Pau, 9 octobre 2003
Assistante maternelle - Agrément - Religion

- Modifié le 17 février

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PAU

N° 03-1695

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Audience du 9 octobre 2003

Lecture du 9 octobre 2003

Nature de l’affaire : 02 - Aide sociale : Aide sociale à l’enfance - 0204

Référé injonction

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

Vu la requête enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Pau le 7 octobre 2003 sous le numéro 031695, présentée pour Mme D. P., demeurant (...), par Me Michel Trizac, avocat ; Mme P. demande que le juge des référés enjoigne au président du conseil général du Gers de ne pas se fonder sur son appartenance religieuse pour statuer sur le maintien de son agrément d’assistante maternelle ; elle demande en outre la condamnation du département du Gers à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que l’urgence est justifiée dans la mesure, d’une part, où le président du conseil général du Gers l’a mise en demeure, le 10 septembre 2003, de ne plus adhérer au mouvement religieux des Témoins de Jéhovah sous peine de s’exposer à un retrait de son agrément et, d’autre part, où la séance au cours de laquelle la commission consultative paritaire départementale des assistantes maternelles doit se prononcer sur le renouvellement dudit agrément est prévue le 23 octobre 2003 ;

Elle soutient, par ailleurs, que la mise en demeure susvisée porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de conscience et de religion, protégée par les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par lesdites stipulations combinées avec celle de l’article 14 de la même convention ainsi que par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, l’article 1er de la Constitution française et les articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État ; qu’en effet l’autorité administrative précitée ne saurait se fonder, comme elle le fait dans ladite mise en demeure, sur une motivation in abstracto reposant sur sa religion au lieu de se prononcer au regard du seul intérêt des enfants ;

Vu le mémoire en défense, enregistré comme ci-dessus le 9 octobre 2003, par lequel le président du conseil général du Gers conclut au rejet de la requête ;

Il soutient, en premier lieu, que la condition d’urgence n’est pas remplie eu égard, d’une part, au report sine die de la séance de la commission consultative paritaire départementale des assistantes maternelles, initialement prévue le 23 octobre 2003, d’autre part, au fait que n’existe aucune véritable mise en demeure et, enfin, à la circonstance que le retrait de l’agrément de l’intéressée n’est ni acquis ni inéluctable ;

Il soutient, en second lieu, qu’il n’a été porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu’ainsi, tout d’abord, il n’existe pas de décision, en l’absence de mise en demeure véritable ; qu’en outre le mouvement des Témoins de Jéhovah ne peut être assimilé à une religion ; qu’ensuite il ne s’agit en l’occurrence que de s’assurer que Mme P. a bien changé d’opinion, ainsi qu’elle l’aurait expliqué oralement à un agent du département du Gers ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et notamment son article 10 ;

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 et notamment son article 1er ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et notamment ses articles 9 et 14 ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et e l’État et notamment son article 1er,

Vu le code de l’action sociale et des familles et notamment ses articles L. 421-1 et L. 421­-2 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision par laquelle le président du Tribunal a désigné M. R.-B., premier conseiller, comme juge des référés ;

À l’audience publique du 9 octobre 2003 où siégeait M. R.-B., premier conseiller, assisté de Mme T., greffière ;

Après avoir donné rapport de l’affaire et entendu les observations de Me Trizac, avocat, pour la requérante et celles de Mme Aldegheri et de M. Lannes pour le président du conseil général du Gers ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais » ; que selon l’article L. 521-2 du même code, « saisi d’une demande en ce sens, justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté dans l’exercice d’un de ces pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale » ; que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;

Considérant que la liberté de conscience et la liberté de religion, protégées tant par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 1er de la loi, susvisée, du 9 décembre 1905, constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, susrappelées ; qu’en outre tant l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 que l’article 14 de la Convention susdite prohibent toute discrimination fondée sur l’appartenance religieuse ;

Considérant que le président du conseil général du Gers a, par lettre du 10 septembre 2003, fait part à Mme D. P., assistante maternelle dans ce département, de son intention de lui retirer l’agrément prévu par l’article L. 421-1 du code de l’action sociale et des familles dans l’hypothèse où elle n’accepterait pas, comme il lui est demandé dans la même lettre, d’attester sur l’honneur qu’elle n’adhère plus au mouvement religieux des Témoins de Jéhovah ; qu’en liant le maintien de l’agrément susdit à la renonciation par l’intéressée à son appartenance religieuse l’autorité administrative susindiquée a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de conscience et de religion de Mme P. ;

Considérant, par ailleurs, que la séance au cours de laquelle la commission consultative paritaire départementale des assistantes maternelles doit, en vertu des dispositions de l’article L. 421-2 du code de l’action sociale et des familles, se prononcer préalablement à la décision du président du conseil général du Gers relativement au maintien ou au retrait de l’agrément de Mme P., a été fixée au 23 octobre 2003, nonobstant les allégations, non établies, du président du conseil général du Gers ; que, dans ces conditions, et en tout état de cause eu égard à l’engagement, non contesté, d’une procédure de retrait d’agrément, la condition d’urgence posée par les dispositions, susmentionnées, de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être regardée comme satisfaite ;

Considérant qu’en demandant qu’il soit enjoint au président du conseil général du Gers de ne pas se fonder sur sa seule appartenance religieuse pour statuer sur le maintien de son agrément en tant qu’assistante maternelle, Mme P. doit être regardée comme sollicitant la suspension de la mise en demeure qui lui a été signifiée le 10 septembre 2003 de renoncer à son appartenance au mouvement religieux des Témoins de Jéhovah ; qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de faire droit à ces conclusions ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le département du Gers à payer à Mme D. P. une somme de 800 € au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

ORDONNE :

Article 1er : La décision en date du 10 septembre 2003 par laquelle le président du conseil général du Gers a mis en demeure Mme D. P. de renoncer à son appartenance au mouvement religieux des Témoins de Jéhovah est suspendue jusqu’à ce que ladite autorité statue sur l’agrément de l’intéressée.

Article 2 : Le département du Gers est condamné à payer à Mme D. P. la somme de 800 euros (huit cents euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D. P., au président du conseil général du Gers et au préfet du Gers.