Avis du 24 mars 2011 relatif à l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté
Contrôleur général des lieux de privation de liberté, 24 mars 2011

- Modifié le 14 août 2023

Institué en France par la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est autorité administrative indépendante chargée de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Avis du 24 mars 2011 relatif à l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté

NOR : CPLX1110094V

1. C’est naturellement dans le respect du principe de laïcité, issu de l’article 1er de la Constitution, que doit se concevoir l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté. Comme on le sait, ce principe implique que l’Etat ne reconnaît aucun culte ; il a aussi pour effet d’interdire « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (Conseil constitutionnel, n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, consid. 18).

Le principe de laïcité, qui garantit le libre exercice du culte, doit être mis en œuvre, comme l’indique l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905, sous réserve des impératifs de l’ordre public, dont la sauvegarde est un objectif de valeur constitutionnelle.

La portée de la laïcité, pas plus que celle de la liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République (voir aussi CEDH, 25 mai 1993, Kokinakkis c/ Grèce, paragraphe 30), ne disparaissent ni même ne s’affaiblissent dans les lieux de privation de liberté. Ce que rappelle, s’agissant des établissements pénitentiaires, la loi du 24 novembre 2009, dont l’article 26 dispose que « les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix... ». En revanche, l’application de l’une et de l’autre doit être conciliée avec des nécessités tenant à l’ordre public plus prononcées (comme le rappelle aussi la loi pénitentiaire) et avec le caractère particulier de ces lieux, tenant à l’impossibilité pour ceux qui y sont pris en charge d’en sortir. Ce pourquoi l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 a expressément prévu, par dérogation aux principes généraux qu’elle définit, que les budgets des personnes publiques peuvent financer « des services d’aumônerie » à fin d’assurer « le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

2. On doit donc en déduire que, lorsque la liberté d’aller et de venir n’est plus assurée, il convient que l’Etat prenne en charge les dépenses des services nécessaires au « libre exercice des cultes ». Le terme d’établissements publics de la loi n’est pas à prendre dans le sens juridique précis qu’il a aujourd’hui, mais seulement dans celui de services autonomes relevant exclusivement de l’autorité publique. La liste de la loi de 1905 n’étant pas exhaustive, on doit la comprendre comme visant tout lieu dans lequel, au-delà d’un délai raisonnable, les personnes n’ont pas accès au culte correspondant à la confession qui est la leur, lorsqu’elles en ont une, du fait de leur « enfermement ».

S’agissant des établissements pénitentiaires, le code de procédure pénale (articles R. 57-9-3 sq.) a précisément défini les conditions dans lesquelles s’exerce l’accès aux cultes. Il en va, à un moindre degré, pour les établissements hospitaliers (articles L. 3211-3, 7°, et R. 1112-46 du code de la santé publique ; cf. aussi circulaire n° DHOS/G/2005/57 du 2 février 2005). Pour les centres de rétention, il n’existe aucune prescription légale : parfois des pratiques, d’ailleurs réussies, existent. S’agissant des centres éducatifs fermés, rien ne paraît avoir été défini, en l’absence de toute demande apparente. En tout état de cause, les obligations qui pèsent sur les autorités ont la responsabilité de ces établissements ne sont pas différentes par nature, aux effectifs, donc à certaines modalités près.

3. L’administration, au titre des principes qui précèdent, n’est nullement tenue :

 d’agréer à titre d’aumônier des représentants d’une personne morale de fait ou de droit dont le caractère religieux ne serait pas établi ;

 d’agréer un aumônier dont il ne serait pas entendu qu’il entend respecter les règles nécessaires à l’ordre public d’un lieu de privation de liberté ;

 d’autoriser des pratiques du culte qui ne se concilieraient pas avec les nécessités de l’ordre public, notamment avec le déroulement de la vie collective de l’établissement, en ce qu’elles pourraient y susciter des tensions ; toutefois cette absence de conciliation doit évidemment être établie ;

 d’organiser des services d’aumônerie en l’absence de toute demande (mais elle ne saurait faire obstacle à l’expression des demandes en ce sens, ni les ignorer) ;

 d’assumer la responsabilité de l’impossibilité de nommer un aumônier, en raison de l’absence de toute proposition des autorités religieuses compétentes.

Sous ces réserves, il appartient à l’administration responsable des lieux de privation de liberté de procéder comme la réglementation l’impose pour la prison, c’est-à-dire de « pouvoir satisfaire aux exigences de (la) vie religieuse, morale ou spirituelle » (code de procédure pénale, article R. 57-9-3) des personnes dont elle a la charge.

4. Tel n’est pas toujours le cas aujourd’hui. Dans les conditions actuelles, les pouvoirs publics sont non seulement susceptibles de se voir reprocher de ne pas appliquer les principes nécessaires, en particulier en termes d’égalité de traitement et d’absence de discrimination, mais de ne pas pouvoir justifier auprès des personnes prises en charge certains choix, ce qui ne manque pas de susciter des incompréhensions au regard de la nécessaire neutralité de l’Etat vis-à-vis du fait religieux et, parfois, des tensions.

5. De manière générale, de la même manière que « les personnes détenues sont autorisées à recevoir ou à conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle » (article R. 57-9-7 du code de procédure pénale), il doit en aller ainsi de toutes les personnes privées de liberté durablement, quel que soit le lieu de cette privation.

Il appartient donc à tous les personnels amenés à travailler dans ces lieux, non pas de décider ce qui est objet religieux ou non, mais, formés à cette fin, de savoir identifier les objets de prière (par exemple les phylactères ou un ciboire) et, dans la mesure compatible avec le bon ordre de la vie collective, d’y apporter une attention particulière :

 les signes ou symboles religieux discrets, quelle qu’en soit la nature, doivent pouvoir être conservés ;

 les ouvrages « nécessaires à la vie spirituelle » doivent pouvoir être introduits, selon les voies prévues par le code de procédure pénale, notamment par les aumôniers, sans qu’il y ait lieu, en détention de faire la distinction entre ouvrages brochés et reliés ;

 les objets religieux qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la sécurité doivent pouvoir être conservés. Ils doivent être respectés, quelle que soit la confession de celui qui les possède (neutralité comme expression de la laïcité) et quelles que soient les convictions du personnel chargé de la prise en charge (neutralité de l’agent public). Sans pouvoir en vérifier la véracité, le contrôle général a été saisi de plaintes relatives à la disparition ou la dégradation volontaire de tels objets ou des comportements de mépris affiché ;

 plus généralement, les commentaires tendancieux des personnels, de statut public ou privé, sur les convictions et les pratiques religieuses, quelles qu’elles soient, ne font pas partie des règles applicables aux lieux de privation de liberté : ils sont toujours inutiles et même nuisibles.

6. Certaines religions sont, dans les faits, peu pratiquées, en raison notamment de la diversité du fait religieux aujourd’hui en France. Dès lors, toutefois, qu’existe une demande d’assistance portant sur un culte dont le caractère religieux ne fait aucun doute, et des possibilités organisationnelles de cette religion d’y satisfaire, l’application de la laïcité ne peut y opposer aucun motif autre que ceux énoncés au paragraphe 3 ci-dessus à titre de principes.

Il en résulte deux obligations pour l’administration.

D’une part, si elle n’a évidemment pas à déterminer elle-même quel groupement ou confession prétendue a ou non le caractère d’un culte, elle doit se plier à la reconnaissance par le juge du caractère cultuel de personnes morales dès lors qu’elles ont été qualifiées comme tel. A titre d’illustration, il en va ainsi de l’une d’elles dont le juge a qualifié non seulement d’exercice public d’un culte certaines activités auxquelles elle se livrait (cour administrative d’appel de Lyon, 18 janvier 1990), mais a reconnu à certains de ses regroupements le caractère d’association cultuelle (Conseil d’Etat, section, 23 juin 2000, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, n° 215 109), au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, comme l’ont fait aussi des organismes administratifs (par exemple la Commission consultative des cultes, séance du 26 octobre 2001). Ces décisions l’emportent évidemment sur l’orientation « sectaire » que l’on a attribuée, antérieurement, à des manifestations de ce même culte. Cette reconnaissance du caractère cultuel de personnes morales et, partant, du droit de ceux qui s’en réclament d’avoir un aumônier ne signifie assurément pas reconnaissance de pratiques qui porteraient atteinte aux personnes. Elle est seulement une expression de la neutralité que lui commande la laïcité.

D’autre part, l’administration ne peut davantage, au motif qu’une religion est minoritaire, donner un statut minoré aux aumôniers. Dès lors qu’une religion est regardée comme telle par le droit applicable, ses aumôniers doivent pouvoir disposer, comme tous les autres aumôniers, de prérogatives identiques et ne sauraient être cantonnés, par exemple dans les établissements pénitentiaires, à un statut de visiteur, qui conduit à une « religion du parloir » (c’est-à-dire que les rencontres avec « l’aumônier » sont cantonnées à ce lieu), et non pas en cellule ou dans les locaux prévus à cet effet. Ce qu’il appartient en revanche à l’administration de faire, c’est bien entendu de proportionner le nombre d’aumôniers agréés au nombre de personnes qui se réclament d’une religion. Telle est la seule interprétation possible des textes, en particulier de la règle pénitentiaire européenne n° 29, paragraphe 2 (laquelle ne saurait, d’ailleurs, prévaloir devant la loi de 1905 et la loi pénitentiaire), sauf à imaginer précisément que, dès lors que le caractère de culte est reconnu à des activités de cette personne morale, l’administration, abandonnant le principe de laïcité qui devrait trouver ici son plein exercice, s’érige en autorité responsable de l’appréciation de savoir quels cultes peuvent être admis et avec quelles prérogatives dans les lieux de privation de liberté.

Ce qui s’applique à cette confession s’applique à toutes celles dont les associations ont un caractère cultuel, alors même qu’elles seraient minoritaires en France (et, d’ailleurs, éventuellement majoritaires dans certaines régions ou certains lieux).

7. Plusieurs confessions, représentées par des effectifs plus ou moins importants dans les lieux de privation de liberté, imposent des prescriptions alimentaires à ceux qui les reconnaissent.

La question des aliments prescrits est d’autant moins négligeable que celle de l’alimentation (quantités et qualité) est centrale pour toute personne privée de liberté. A l’heure actuelle, à de rares exceptions près, tous les lieux de privation de liberté sont en état de fournir des repas de nature diversifiée. Toutefois très peu d’entre eux offrent des aliments conformes à des prescriptions rituelles. Il en résulte, d’une part, un dévoiement des pratiques, des personnes privées de liberté sollicitant par exemple des menus végétariens alors qu’ils n’entendent nullement se priver de viande ; d’autre part, des carences alimentaires réelles, des jeunes hommes, en particulier dans les établissements pénitentiaires, se plaignant fréquemment de ne pas manger à leur faim.

La circonstance, alléguée par les pouvoirs publics, que l’alimentation actuelle répondrait aux exigences d’équilibre, de variété et d’hygiène alimentaire n’est pas de nature à répondre à la question posée.

Les lieux de privation de liberté doivent être organisés désormais pour pouvoir fournir des menus répondant aux exigences alimentaires particulières, dès lors naturellement qu’en dehors de prescriptions médicales elles relèvent de pratiques confessionnelles :

 sous réserve des exigences liées à la santé des personnes ou au bon ordre des établissements, les périodes de jeûne doivent pouvoir être observées ; il en est d’ailleurs souvent ainsi aujourd’hui ;

 dès lors que les conditions du marché des aliments le permettent (ce qui est très généralement le cas aujourd’hui en France), la fourniture de viandes ou d’autres aliments préparés selon les rites approuvés par les autorités religieuses compétentes doit être recherchée et mise en œuvre. Les indications recueillies par le contrôle général n’ont d’ailleurs pas permis d’établir que le prix de ces aliments serait prohibitif ; tout au contraire, les prix pratiqués apparaissent parfois inférieurs à ceux des produits habituellement achetés ;

 la contrepartie doit être que celles des personnes privées de liberté, qui n’ont aucune prescription de quelque nature qu’elle soit, ne doivent pas avoir à supporter des contraintes alimentaires qui ne sont pas les leurs. Il n’y a aucun motif, par exemple, que les personnes qui le souhaitent ne puissent se nourrir de viande de porc.

A défaut de passer à bref délai les marchés nécessaires pour élargir les pratiques alimentaires, il convient :

 d’autoriser les aumôniers, sous réserve des contrôles nécessaires et sous leur responsabilité, à introduire des quantités nécessairement limitées de tels aliments, lorsqu’il est impossible d’agir différemment ;

 d’élargir les gammes de produits susceptibles d’être offerts dans le cadre des « cantines » (détention) ou des cafétérias (centres hospitaliers).

Ce ne sont là que palliatifs d’un principe d’alimentation selon les préceptes de sa religion que la Cour européenne des droits de l’homme a eu récemment l’occasion de consacrer pour une personne détenue (CEDH, 7 décembre 2010, Jakóbski c/ Pologne, n° 18429/06, paragraphes 44 et 45 ― violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme). Au moins peuvent-ils être rapidement organisés.

8. Les pratiques collectives d’essence religieuse appellent les observations suivantes :

 les prières ou offices collectifs doivent pouvoir se dérouler dans des locaux conçus à cet effet, d’une surface et aménagés en rapport avec leur destination (le contrôle général a vu des salles dépourvues de prise électrique), sous réserve naturellement des impératifs d’ordre public (en particulier quant au nombre de personnes pouvant y être assemblées) et de neutralité à l’égard des différentes religions, leur usage étant placé sous la responsabilité des aumôniers des différentes confessions ;

 lorsque des offices s’y déroulent, selon les horaires adaptés aux souhaits des aumôniers et acceptés par le chef d’établissement, il convient qu’un minimum de calme y soit assuré et qu’aucun événement volontaire ne vienne perturber le déroulement des prières ou offices (en particulier par la traversée intempestive de la salle par des tiers ou des interventions superflues des personnels). Il est donc souhaitable que, partout où cela est possible, et à coup sûr dans les nouveaux établissements, les locaux soient réservés aux offices à titre exclusif pour en marquer la dimension religieuse ;

 outre les offices réguliers, ces locaux doivent pouvoir accueillir, dans les limites du bon ordre nécessaire, ceux qui souhaitent célébrer des fêtes religieuses connues et identifiées, sur le calendrier desquelles l’administration doit être informée et à l’occasion desquelles elle doit consentir, sous la responsabilité des aumôniers, les facilités nécessaires (introduction d’aliments, de menus objets...) ;

 aucune salle de cette nature ne peut être revendiquée à titre exclusif par une confession (il en va autrement de bureaux d’aumôniers lorsque cela est possible).

9. L’assistance spirituelle peut également inclure diverses manifestations telles que des groupes de parole, des réunions de réflexion ou festives à l’occasion du calendrier religieux, des chorales... Aucun autre motif, dûment établi, que la préservation du bon ordre ou l’insuffisance de locaux ne doit permettre aux responsables de s’y opposer.

10. L’assistance spirituelle implique en outre la possibilité pour toute personne qui le sollicite, alors même qu’elle serait dépourvue de tout mouvement (malade alité ou enfermé par exemple), de recevoir la visite d’un aumônier. Les aumôniers doivent, par conséquent, être autorisés à circuler dans les zones où les personnes privées de liberté sont hébergées, quel qu’en soit les modalités ; ils doivent pouvoir s’entretenir avec elles de manière personnelle et disposer des moyens matériels à cette fin ; enfin les relations, y compris par correspondance, qu’ils ont avec ceux qu’ils visitent doivent être protégées de toute intrusion d’un tiers.

11. La présence aux offices ou à d’autres manifestations collectives des personnes privées de liberté suppose, pour l’administration, l’établissement de listes nominatives avec l’indication de la confession. Les autorisations requises en vertu des lois et règlements relatives à la protection des données nominatives doivent être obtenues à cette fin. En outre, les personnels doivent garder la confidentialité nécessaire qu’imposent ces données. Les listes doivent être soigneusement tenues à jour, sur le fondement des indications données par les aumôniers et des événements survenus (transferts...), afin que, contrairement à trop de pratiques actuelles, il n’y ait pas de délais substantiels, donc de retards, dans l’arrivée des personnes privées de liberté à ces manifestations. Enfin la présence d’une personne inscrite sur la liste d’un culte ne peut être invoquée par l’administration pour faire obstacle au vœu de cette personne d’assister, si elle le souhaite, à un autre culte.

12. Les lieux de privation de liberté aujourd’hui impliquent, comme ailleurs dans la société, la coexistence de confessions diverses comme de personnes sans confession. Les pratiques personnelles et collectives religieuses impliquent, de la part de ceux qui s’y adonnent, de veiller au respect de la liberté de conscience, c’est-à-dire des options spirituelles, des autres membres de la collectivité. Aucune contrainte, aucune menace ne saurait être acceptée ni sur le plan de l’observance ou de l’absence d’observance de prescriptions religieuses, ni a fortiori de l’organisation du service, qui ne peut être régie que par les seules règles définies par l’autorité responsable. Le règlement intérieur, les projets d’établissement, les règles diverses qui gouvernent les établissements pénitentiaires ou de rétention, les hôpitaux publics et les centres d’hébergement de mineurs doivent prévaloir dans ces éléments en toute circonstance, et pour tous, dans les pratiques de la vie quotidienne, par exemple dans l’usage des douches, dans les activités offertes, dans les soins dispensés ou de l’enseignement donné, ou encore des occupations mêlant hommes et femmes.

Fait à Paris, le 24 mars 2011.

J.-M. Delarue