Résumé juridique

CEDH, Kouznetsov et autres c. Russie, 11 janvier 2007, n° 184/02
Article 9 (Liberté de religion) - Article 6 (Procès équitable)

Article 9 Article 9-1
Liberté de religion


Dispersion illégale d’un rassemblement organisé par les Témoins de Jéhovah : violation
Article 6 Article 6-1
Procès équitable


Refus par les juridictions internes d’examiner une violation alléguée de la Convention : violation
En fait Les requérants sont des ressortissants russes vivant à Tcheliabinsk. Ils sont tous témoins de Jéhovah. Un bail signé en 1999 habilitait la communauté des témoins de Jéhovah à laquelle ils appartenaient à utiliser l’auditorium d’un collège professionnel pour y organiser des réunions à caractère religieux. Un dimanche d’avril 2000, conformément au bail, la communauté s’était rassemblée dans le collège en question pour y étudier la Bible et célébrer publiquement son culte. Principalement destinée aux membres malentendants de la communauté, cette réunion – dont bon nombre des participants étaient âgés et avaient également des problèmes de vue – était ouverte au public. Elle fut interrompue par l’intrusion de la présidente de la commission régionale des droits de l’homme (« la commissaire ») et des deux officiers de police qui l’accompagnaient, qui demandèrent qu’il y fût mis fin. M. Kouznetsov soutient que le comportement intimidant de la commissaire et des policiers l’avait incité à obtempérer. Le lendemain, la communauté se vit notifier la résiliation du bail qu’elle avait contracté avec le collège « en raison de certaines irrégularités commises par l’administration du collège au moment de la signature du bail ». Les requérants demandèrent en vain l’ouverture d’une enquête pénale sur les actes de la commissaire et des policiers. Ils engagèrent en outre une action civile devant un tribunal de district mais furent déboutés au motif qu’ils n’avaient pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre l’arrivée de la commissaire et la fin prématurée de leur réunion.
En droit Article 9 – La Cour juge établi que l’ordre de mettre fin à la réunion a été donné par la présidente de la commission, M. Kouznetsov s’étant contenté de le transmettre aux participants malentendants avec lesquels les policiers ne pouvaient communiquer directement. Cet ordre s’analyse en une ingérence dans le droit des requérants à la liberté de religion. Les agissements de la commissaire et de la police n’étaient pas prévus par la loi. L’argument du Gouvernement selon lequel les requérants ne disposaient pas des documents nécessaires à la tenue de leur réunion religieuse doit être rejetée, le droit interne n’exigeant pas de tels documents. La Cour n’accepte pas non plus l’allégation du Gouvernement selon laquelle la commissaire s’était rendue à la réunion pour enquêter sur une plainte relative à la présence non autorisée d’enfants à une célébration religieuse, aucun élément ne venant étayer cette allégation. Elle observe que le Gouvernement ne lui a soumis aucun document relatif aux pouvoirs officiels de la commissaire et que pareille pièce n’a pas non plus été produite dans le cadre de la procédure interne. Elle constate au contraire que des éléments concordants donnent fortement à penser que la commissaire a agi sans la moindre base légale et à titre personnel. La participation de deux policiers haut placés a conféré une fausse autorité à son intervention. En effet, ceux-ci n’étant pas formellement ses subordonnés, elle n’avait aucune autorité pour leur donner des ordres tels que celui de faire disperser la réunion. Il n’y avait pas la moindre enquête en cours, aucune plainte n’avait été déposée pour trouble à l’ordre public et il n’existait aucune autre indication suggérant qu’une infraction nécessitant l’intervention de la police avait été commise. Dès lors, il n’existait à l’évidence pas la moindre base légale propre à justifier l’interruption d’une réunion religieuse tenue dans des locaux loués légalement dans ce but. Dans ces conditions, la Cour juge que l’ingérence n’était pas « prévue par la loi » et que la commissaire n’a pas agi de bonne foi mais a contrevenu au devoir de tout agent de l’Etat de se comporter avec neutralité et impartialité envers la congrégation religieuse à laquelle appartenaient les requérants.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 6 – La Cour est frappée par le manque de cohérence de l’attitude adoptée par les juridictions russes. En effet, tout en jugeant jugé établi que la commissaire et les policiers s’étaient rendus à la réunion religieuse des requérants et que celle-ci s’était terminée plus tôt que prévu, elles ont refusé de voir un lien entre ces deux événements et n’ont fourni aucune autre explication à la fin prématurée de la réunion. Les constatations de fait auxquelles elles sont parvenues semblent indiquer que l’arrivée de la commissaire et la décision des requérants de mettre fin à leur réunion avaient coïncidé de manière tout à fait fortuite. En adoptant pareille interprétation, les tribunaux russes ont pu éviter d’avoir à examiner le grief principal des requérants, selon lequel l’ingérence de la commissaire et des policiers dans le déroulement de la réunion religieuse n’avait pas la moindre base légale. L’essence du grief des requérants, à savoir la violation de leur droit à la liberté de religion, a donc échappé à l’examen des juridictions internes, qui ont refusé d’en vérifier le bien-fondé. La Cour constate que celles-ci ont failli à leur obligation d’énoncer les motifs sur lesquels se fondait leur décision et de démontrer que les parties avaient été entendues de manière équitable.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 – 30 000 EUR au titre du préjudice moral à M. Kouznetsov, pour le compte de tous les requérants.