Commission d’enquête parlementaire

Audition du chef du Bureau central des cultes (1/2)
Assemblée nationale, 17 octobre 2006

- Modifié le 27 juin 2023

N.B. : Retranscription à partir de l’enregistrement vidéo original, sachant que le compte-rendu publié en annexe du rapport parlementaire sur les sectes et les mineurs de 2006 contient des différences notables.

Audition publique de M. Didier LESCHI, chef du bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, 17 octobre 2006

Partie I - Exposé

M. le Président, Georges FENECH :

Je vous remercie, M. Didier Leschi, d’avoir répondu à la convocation de notre commission d’enquête relative à l’influence sur les sectes... sur les mineurs, pardon, des mouvements à caractère sectaire. Vous êtes chef du bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire.

Je dois vous rappeler tout d’abord qu’aux termes de l’article 142 du Règlement de notre Assemblée, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte-rendu qui en sera fait et ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel et de l’article 226-14 du même code qui autorise la révélation du secret en cas de privations ou de sévices, dont les atteintes sexuelles.

Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Didier LESCHI prête serment.)

Je vous remercie. Mêmes recommandations à la presse en application de la loi du 29 juillet 1881.

Donc la commission va procéder maintenant à votre audition, M. Leschi. Je pense que vous avez un exposé préliminaire...

M. Didier LESCHI :

M. le Président, merci ! Tout d’abord, je vous remercie d’avoir sollicité mon audition dans le cadre de vos travaux.

Cette audition permettra, je l’espère, de lever des interrogations sur la pratique administrative du bureau central des cultes (BCC) en matière de dérives sectaires, interrogations qui se sont exprimées lors des réunions de la MIVILUDES, où siègent certains membres de votre commission et de manière publique lors d’événements liés aux Témoins de Jéhovah.

Le bureau central des cultes face à la question des supposées sectes et à la santé physique et mentale des enfants.

Je crois qu’il me semble important pour apprécier cette question de vous indiquer dans quel cadre normatif se situe ma pratique administrative que votre commission souhaite interroger, pratique qui intervient dans le domaine de la protection de la liberté de conscience et de son articulation avec la protection des mineurs.

Comme vous le savez, la règle en matière cultuelle de notre régime juridique est celle de la liberté du culte ; son fondement est la loi de 1905 qui affirme dans son article 1er que « la république assure la liberté de conscience et les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public ».

La deuxième grande notion de ce régime est le fait que l’activité cultuelle est publique. C’est la notion du libre exercice public du culte, c’est à dire le fait que si la loi de 1905 a privatisé le fonctionnement des cultes en mettant fin au système des cultes reconnus, elle a aussi précisé que les fidèles ont le droit de pratiquer leur culte de manière publique et non dans la seule sphère privée, comme le précise notamment les titres 3 et 5 de la loi de 1905. C’est ainsi que pour bénéficier des avantages fiscaux, les bâtiments cultuels doivent être des lieux de culte ouverts au public.

Cette liberté de croyance s’articule avec le droit des parents de choisir ce qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants, car notre cadre juridique comprend aussi le droit pour les parents d’éduquer les enfants dans les valeurs de leur choix, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à l’intégrité physique et morale des enfants. C’est ce que rappelle l’article 371-1 du code civil : l’autorité parentale appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Il faut y ajouter la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui indique que l’état respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses ou philosophiques. Le cas échéant, le non respect de ces obligations pourrait constituer une atteinte aux personnes susceptibles de sanctions et un trouble à l’ordre public si ce non respect est systématisé dans un cadre associatif.

Les atteintes à la protection de l’enfance exercées pour des raisons cultuelles peuvent être multiples : le fait de soustraire des enfants de 6 à 16 ans à l’instruction obligatoire, ne pas répondre à l’obligation de soins ou de vaccination, ne pas pourvoir aux besoins matériels des enfants, etc.

Quelles sont les responsabilités du bureau central des cultes face à ce cadre normatif ?

L’activité du bureau central des cultes est bien de rappeler aux administrations, aux collectivités locales, aux différents pouvoirs publics, par le biais de circulaires, de réponses à des questions parlementaires ou de courriers émanant d’autorité publique, que notre régime juridique est d’abord celui de la liberté de conscience et du libre exercice du culte. Il est aussi de rappeler que cette liberté de conscience implique le droit pour les parents d’éduquer leurs enfants en fonction des valeurs qui sont les leurs. Dans ce cadre, des demandes de courants qui se veulent cultuels et qui concernent des enfants, la question posée au bureau central des cultes est de savoir s’ils respectent les obligations inscrites par la loi en matière d’éducation, de santé ou si l’activité associative cultuelle est bien conforme au droit, et de signaler toute dérive pour que soient réprimés les troubles à l’ordre public que les fidèles de toute confession pourraient occasionner.

Faut-il rappeler que l’action du bureau central des cultes ne porte pas sur des organismes qui exercent des activités dont certaines peuvent être délictueuses, sans rapport avec une quelconque activité cultuelle et qui ne cherchent pas à bénéficier des avantages consentis aux associations cultuelles. Je veux parler de toutes les activités pseudo-médicales, paranormales, psychologisantes, etc. Elles ne sont pas dans la compétence de mon bureau. Il peut cependant exister ici et là des groupements qui pratiquent des formes dangereuses d’exorcisme ou de guérisons par la prière. Aucun, à ma connaissance, n’a jamais demandé à bénéficier des avantages des associations cultuelles. Dans ce domaine il faut s’en tenir au faits et en particulier aux atteintes à la personne et non à la manifestation de la conscience ou de la foi. Je rappelle par exemple que l’Église catholique reconnaît la pratique de l’exorcisme.

Quels sont les moyens légaux du bureau central des cultes pour contrer les dérives sectaires ?

Le principal moyen du bureau s’exerce à travers ce qu’on appelle la « petite reconnaissance », qui donne à l’administration le pouvoir de contrôler les associations cultuelles demandant à bénéficier d’avantages essentiellement d’ordre fiscal. Car si la liberté de conscience fait que la république ne reconnaît aucun culte, elle n’en méconnaît aucun dès lors que ce culte demande à bénéficier des avantages qui visent à favoriser le libre exercice du culte. Je rappelle pour mémoire que ce que l’on nomme parfois la petite reconnaissance ouvre droit d’une part à des exonérations fiscales qui vont de la taxe d’habitation à la taxe foncière, la taxe d’équipement, d’autre part à l’exonération des droits de mutation pour les dons et legs, et enfin dans le cadre du régime des libéralités et des dons manuels, la petite reconnaissance ouvre droit à la capacité de délivrer des reçus fiscaux qui ouvrent droit aux donateurs à des dégrèvements d’impôts (ce sont les fameux articles 200 et 238 bis du Code général des impôts).

C’est à propos de cette procédure de petite reconnaissance, qui ouvre des droits pour les activités cultuelles, que des critiques se font entendre vis-à-vis du ministère de l’Intérieur et du bureau central des cultes en particulier, notamment cet été à propos du rassemblement des Témoins de Jéhovah à Lens.

En effet, si la procédure d’autorisation préfectorale donnée à une association de recevoir des libéralités ou de délivrer des reçus fiscaux est d’abord un procédure déconcentrée, il y a une forme d’unification de la politique administrative du ministère au niveau national, puisque lorsqu’il y a un doute le préfet interroge le bureau pour savoir s’il existe ou non un trouble à l’ordre public connu au niveau national qui pourrait justifier un refus.

Cette petite reconnaissance est bien dans ce cadre un instrument utilisable pour contrôle des éventuelles dérives sectaires d’un groupement et cela d’autant plus qu’à n’importe quel moment nous pouvons demander au préfet d’abroger son arrêté si l’association ne remplit plus les critères nécessaires, en particulier d’ordre public.

L’ordre public et les dérives sectaires

Le ministère de l’Intérieur est parfois accusé de sous-estimer le trouble à l’ordre public que généreraient par nature certains mouvements, focalisant l’attention de la Miviludes. Je veux parler de mouvements qui pour certains ont des décennies, voire des siècles d’existence, et sont issus de grands courants spirituels ou s’y attachent, comme les frères de Plymouth, une des branches du protestantisme, les Témoins de Jéhovah, et depuis quelques mois les Loubavitch, qui sont l’expression d’une vieille tradition du hassidisme juif.

Au bureau central des cultes, nous pensons qu’il faut aborder les problématiques d’ordre public avec la plus grande rigueur et de privilégier les faits plutôt que la rumeur ou la parole douloureuse d’anciens fidèles en rupture dès lors que sont mises en cause des personnes ou leur dignité.

Tous les courants cultuels sont susceptibles de connaître des dérives sectaires. Seul l’examen des faits légitime la notion de vigilance sans quoi on risque fort de s’écarter de l’impartialité laïque au profit d’un clivage entre religions reconnues et religions stigmatisées.

Le juge administratif ne cesse de rappeler cela en sanctionnant des collectivités qui licencient des Témoins de Jéhovah dont la seule faute professionnelle est l’appartenance à ce mouvement. De même, il rappelle qu’on ne peut refuser la location d’une salle à ce mouvement, uniquement parce qu’il ne serait pas agréé.

La pratique administrative des fonctionnaires est soumise au contrôle du juge et elle doit obéir dans le domaine des culte à une double exigence : la protection de l’ordre public et le respect de l’article 1er de la Constitution en vertu duquel « la République respecte toutes les croyances ».

Les Témoins de Jéhovah et la non assistance à enfance en danger : la question des transfusions

C’est autour de l’appréciation du trouble à l’ordre public que constitue le refus de transfusion sanguine que se focalise désormais l’accusation de dérive sectaire à l’encontre des Témoins de Jéhovah .

En effet, le refus de voter ne saurait constituer un trouble à l’ordre public dans un pays où le vote n’est pas obligatoire. Au demeurant, nul ne demande la dissolution de la Fédération anarchiste au motif que ses adhérents font du prosélytisme en faveur du refus de vote et bénéficie pour cela d’une fréquence radio accordée par le CSA.

De même la question du refus du service national ne se pose plus depuis sa suppression.

Enfin, le prosélytisme, c’est-à-dire le fait de militer pour faire connaître et défendre ses opinions dans la rue ou en faisant du porte à porte, n’est pas en soi condamnable, si bien sûr il ne s’agit pas de harcèlement. Par analogie, on n’imagine pas retirer à un vendeur bénévole de L’Humanité dimanche la garde de son enfant, pas plus qu’à un syndicaliste qui défile le 1er mai sa fille.

C’est donc bien le refus de la transfusion sanguine qui pourrait constituer un trouble à l’ordre public, s’il s’avérait que l’affirmation de cette croyance impérieuse entravait le fonctionnement du service public hospitalier.

Il n’appartient pas à l’administration de porter un jugement sur les croyances ou sur la conscience des personnes, à moins de renvoyer à un autre temps ou à un autre régime politique. L’église catholique peut condamner l’IVG prévue par la loi, mais elle ne troublerait l’ordre public que si, par ses manifestations, elle empêchait l’accès des femmes au service hospitalier.

Je rappelle que le Conseil d’État, dans une décision du 16 août 2002, a estimé que le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l’exercice d’une liberté fondamentale et que la loi Kouchner de mars 2002 a renforcé le droit du patient majeur à discuter de son traitement, droit déjà consacré par la jurisprudence du Conseil d’État.

L’un des critères permettant à une association cultuelle de bénéficier des avantages fiscaux reconnus à cette catégorie d’association repose sur l’absence de trouble à l’ordre public. J’ai demandé lors d’un comité de pilotage de la Miviludes que soit lancée une enquête auprès des agences régionales d’hospitalisation et des hôpitaux, afin de recenser éventuellement les faits constitutifs de trouble à l’ordre public à travers des perturbations du service public hospitalier liées au refus de transfusion sanguine. Le représentant du ministère de la santé au sein des instances de la Miviludes nous a indiqué à l’époque que ce recensement était impossible, car, de peur des procédures, les responsables hospitaliers hésiteraient à dénoncer les troubles à l’ordre public.

Cette explication me semble légère, surtout si l’on considère que la vie de milliers d’enfants est en jeu. On a parfois cité le chiffre de 45 000 enfants Témoins de Jéhovah en danger. Les fonctionnaires hospitaliers sont en effet protégés par leur statut et ont l’obligation dans le cadre de l’article 40 du Code de procédure pénale de signaler les faits délictueux au procureur de la République.

En vue de cette audition, il m’a semblé nécessaire de demander aux préfectures des départements de faire le recensement sur les 3 dernières années des incidents liés à la transfusion. Au vu des résultats obtenus, ce qui remonte, c’est un petit nombre d’incidents souvent réglés par la discussion.. Jamais d’incident, qui met en cause des enfants ou le pronostic vital ou le fonctionnement du service public hospitalier, ne m’a été signalé ces trois dernières années.

En ce qui concerne plus spécifiquement les enfants et la transfusion sanguine, je rappelle qu’en cas d’urgence, l’alinéa 5 de l’article L. 111-4 de la loi de mars 2002 prévoit que « le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché, s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas ou le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves sur la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ».

Par conséquent, la loi est claire : le droit de l’enfant à s’exprimer est respecté, mais c’est sa santé qui est privilégiée même en cas d’opposition des parents. La loi de 2002 a donc apporté une amélioration certaine, puisqu’elle permet au médecin d’agir sans avoir à demander à l’autorité judiciaire d’ordonner les mesures d’assistance éducative qui étaient auparavant nécessaires à son intervention.

En situation d’urgence, le médecin est juridiquement habilité à se substituer en toute légitimité et légalité à l’autorité parentale et la question des soins à prodiguer encadre ce suspens de l’autorité parentale.

J’ajoute que si l’on se pose la question des hôpitaux, c’est bien parce que les Témoins de Jéhovah se rendent en milieu hospitalier et n’hésitent pas à utiliser les structures publiques, de la même manière qu’ils scolarisent leurs enfants dans les écoles publiques. On est donc loin d’une volonté de se couper du monde.

L’évolution de la pratique administrative vis à vis des Témoins de Jéhovah

Tous ces éléments attestent de l’absence de trouble à l’ordre public et justifie notre pratique administrative vis-à-vis des Témoins de Jéhovah. Mais j’aimerais rappeler que, contrairement à ce qui se dit régulièrement sur l’action du ministère de l’Intérieur vis-à-vis des Témoins de Jéhovah, la pratique administrative n’a pas toujours été des plus libérales. Elle s’est lentement modifiée sous l’effet de la jurisprudence.

Si nous comparons la manière dont nous avons spontanément traité la mouvance bouddhiste, qu’au fond nous connaissons très mal, et les Témoins de Jéhovah, la différence d’approche et de traitement est manifeste. Pour les premiers, nous avons très facilement accordé le statut d’association cultuel et dès les années 80 nous avons reconnu des congrégations bouddhistes, 11 à ce jour, donnant ainsi une très large interprétation à la définition du culte, stabilisée par le Conseil d’Etat, les Bouddhistes ne vénérant pas exactement de divinité et développant des formes de croyances particulières.

A cette occasion nous avons aussi élargi la définition de ce qu’est une autorité cultuelle, puisque pour reconnaître ces congrégations, nous sollicitons l’avis du ministère des Affaires étrangères sur la filiation spirituelle dont se réclame la congrégation afin de bien vérifier qu’elle est ancienne et sérieuse.

C’est en janvier 1993 que le Conseil d’État a jugé que les Salles du Royaume des Témoins de Jéhovah étaient des lieux de culte et qu’à ce titre elles devaient être exonérées de la taxe foncière. Et le libre exercice du culte suppose naturellement la liberté d’ouvrir des lieux de culte. C’est l’objet de la circulaire du bureau central des cultes du 14 février 2005, qui demandait aux préfets de rappeler ce droit fondamental aux maires, compte tenu des pratiques abusives du droit de préemption et des refus de permis de construire qui tendaient à se multiplier.

Cependant, ce n’est qu’à partir de deux autres décisions du Conseil d’État en 2000, 7 ans après, que nous nous sommes mis en conformité avec la jurisprudence en accordant systématiquement le bénéfice des dispositions prévues pour les associations cultuelles, aux associations des Témoins de Jéhovah et en abandonnant l’argument selon lequel la doctrine même des Témoins de Jéhovah était constitutive d’un trouble à l’ordre public, conforté par la jurisprudence antérieure du Conseil d’État.

La stabilisation par la justice administrative des droits des Témoins de Jéhovah est un fait indéniable. Elle implique une prise en compte de ce droit par l’administration et je crois par les intervenants associatifs.

Le bureau central des cultes est naturellement attentif à la maltraitance des enfants ou des adolescents ou développement de pratiques qui sont contraires à la liberté de conscience dans un cadre qui recouvre des mineurs, pour apprécier la capacité juridique des associations cultuelles. C’est en fonction de ces critères et au regard de la dangerosité pour l’ordre public que l’attention du BCC se porte sur les dérives sectaires qui se réclament en particulier de l’Islam. À titre d’exemple, s’agissant de courant, de ces courants, les traits les plus saillants des dérives sectaires sont le mauvais traitement aux enfants et aux adolescents et en particulier aux jeunes femmes, par l’enfermement, la déscolarisation, le mariage forcé. Il n’est pas rare non plus que des incidents aient lieu dans les services publics qu’ils soient hospitaliers ou scolaires à partir du refus de la mixité. Ces dérives liées à l’Islam, peuvent chez des jeunes, présenter un caractère mortifère, dangereuses non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour autrui, puisqu’elles peuvent déboucher, après que ces jeunes aient quitté leur famille et parfois leur pays, sur des actes extrêmement violents et suicidaires.

Ces dérives sectaires posent à la fois des problèmes d’intégration d’ordre public, comme l’atteste l’incident récent survenu à Lyon où une lycéenne qui ne s’astreignait pas au jeûne du Ramadan, a été violemment prise à partie.

Cette attention nous voudrions la faire partager à la foi par la Miviludes et par les associations de défense des victimes. Or, force est de constater que ce segment des dérives sectaires suscite peu l’attention ; manifestement les familles de ces jeunes n’intéressent pas, pas plus que les victimes. Pourtant, il nous semble que l’action dans ce domaine serait complémentaire de l’action strictement liée à la sécurité et l’appréhension du terrorisme. Il y aurait une certaine urgence à s’y attarder.

Le droit d’éduquer ses enfants selon ses principes

Je voudrais l’aborder à partir de deux mouvements, qui aujourd’hui préoccupent la Miviludes : les Frères de Plymouth, qui ont fait l’objet d’une mention dans le dernier rapport de la Miviludes, et les Loubavitch, qui font l’objet depuis quelques mois d’une attention particulière de la mission.

En effet, cette problématique englobe des domaines particulièrement délicats, où s’articulent le droit des enfants, le droit des familles à éduquer selon les valeurs qu’elles estiment devoir transmettre, conformément à leur conviction religieuse et philosophique, comme je l’ai dit tout à l’heure, et le regard que peuvent porter les sociétés et les pouvoirs publics sur certaines familles en fonction de l’évolution des normes éducatives et sociales. Le tout est rendu encore plus difficile à apprécier du fait que les familles appartenant à ces courants sont traversées comme tous les groupes sociaux par des tensions internes, des conflits, des séparations.

Dans plusieurs procédures de divorce, on constate que l’appartenance religieuse d’un des parents est invoquée auprès du juge par son conjoint, à tort et à travers. La jurisprudence y a mis un peu d’ordre, en rappelant que l’on devait apprécier d’abord le bien être de l’enfant, en précisant les conséquences néfastes avérées sur l’enfant et non en les présupposant du fait de l’appartenance spirituelle du parent.

Les Frères de Plymouth

C’est justement à partir de procédures de divorce que s’est constitué l’Association d’aide aux victimes des Frères exclusifs, association qui a popularisé de manière négative les Frères de Plymouth, communauté de tradition protestante existant en France et en particulier à Chambon-sur-Lignon depuis plus d’un siècle. L’association luttant contre les Frères de Plymouth révèle ainsi des comportements atypiques, en particulier à propos des enfants. Dans les faits, les membres de cette communauté ne doivent pas regarder la télévision ou n’utiliser Internet qu’à des fins professionnelles. Ils lisent par ailleurs la Bible en anglais.

Sur la base de tels développements et de l’existence d’une procédure devant le TGI de Lyon pour enlèvement d’enfants, nous avions demandé au préfet du Rhône de refuser aux Frères de Plymouth le bénéfice des articles 200 et 238 du Code général des impôts. Dans le cadre de ce mouvement, le ministère de l’Intérieur n’a donc pas agi par excès de libéralisme, alors même que les Frères de Plymouth avaient bénéficié devant le Tribunal administratif de Lyon en 1999 d’un jugement faisant droit à leur demande de voir leurs bâtiments cultuels exonérés de la taxe foncière.

Cependant cette opprobre ne correspond pas aux sentiments des populations locales qui côtoient les adeptes. C’est à partir de ce constat que Jacques Barrault, alors député de Haute-Loire, avait demandé en accord avec les Frères de Plymouth à une spécialiste des mouvements religieux de faire une étude sur ce mouvement, qui puisse être rendue publique. C’est l’étude de Mme Blandine Chelini-Pont de l’Université d’Aix. Cette étude n’a pas été suffisante et les Frères de Plymouth ont demandé à un chercheur au CNRS, Sébastien Fath, de réaliser une autre étude sur eux dans un soucis de transparence.

A cet égard, cette volonté de transparence de la part de mouvements qui se sentent injustement stigmatisés se retrouvent aussi chez les Témoins de Jéhovah, qui se sont toujours dits favorables à une étude sur les jeunes de leur mouvement, dès lors qu’elle serait confiée à des universitaires reconnus, comme ceux qui travaillent avec la présidente de l’EHESS, Mme Hervieu-Léger, ou encore dans le laboratoire du CNRS étudiant les religions et la laïcité, dirigé par Jean-Paul Willaime. Une telle volonté de transparence, je crois, doit être soulignée.

Fort donc de ces études scientifiques et de témoignages de personnes fréquentant les Frères de Plymouth, l’ancienne équipe de la Miviludes avait modéré son jugement sur ce mouvement, en reconnaissant que les accusations portées contre eux ne correspondaient pas tout à fait à la réalité.

Cependant, le rapport 2005 de la Miviludes fait réapparaître les Frères de Plymouth comme étant susceptibles de dérives sectaires dans l’éducation des enfants. Cela n’est naturellement pas à exclure, mais encore faut-il étayer les dossiers de manière rigoureuse et précise. Or, dans cette affaire, nous sommes une fois de plus dans des formes d’approximation qui peuvent à terme discréditer la nécessaire et légitime action des pouvoirs publics contre les dérives sectaires.

Plus précisément, le nouveau dossier à charge est alimenté par trois éléments qui posent question. Premier élément : les déclaration de l’ancien président de l’AVIFE sont mises en valeur alors qu’il a été condamné pour propos diffamatoires envers les Frères de Plymouth par le TGI de Lyon le 4 janvier 2005. Deuxième élément : il est indiqué dans le rapport que les Frères de Plymouth refusent toute scolarisation publique. Ceci est factuellement inexact et, du reste, l’actuel président de l’AVIFE a suivi une partie de sa scolarité obligatoire dans l’enseignement public, alors qu’il avait expliqué le contraire à la Miviludes. Troisième élément, important également pour apprécier la dérive sectaire à l’égard des enfants Frères de Plymouth : il n’est pas indiqué que le centre d’enseignement par correspondance, le lycée Le Chêne, qu’ils ont constitué, a obtenu l’agrément de l’Éducation Nationale. Ce centre est contrôlé par l’inspecteur pédagogique régional du ministère de l’Éducation nationale rattaché à l’Académie de Lille.

D’après les indications fournies au préfet du Rhône, les contrôles effectués montrent que les enfants connaissent un développement intellectuel et physique conforme à ce que l’on est en droit d’attendre à leur âge. Cet inspecteur déclare que, je cite : « les travaux sont rigoureux sur la forme et sur le fond, que le cours donne une impression de sérieux, que le responsable est un ancien principal de collège, qui du reste n’est pas un adepte des Frères de Plymouth, comme d’ailleurs 90 % des enseignants qui interviennent dans ce centre ».

J’ajouterais que les élèves Frères de Plymouth sont systématiquement bilingues dès le plus jeune âge et pour certains trilingues, ce qui prouve pour le moins un certain développement intellectuel, même s’il est vrai que l’intellect ne protège pas des dérives sectaires ou autres.

Là encore il s’agit d’un problème de méthode et de crédibilité de l’action publique. Au fond, lorsqu’on est imprécis dans les faits évoqués et que l’on se remet au seul témoignage de personnes qui ont quitté les groupes, on ne peut pas élaborer une appréciation juste des faits en cause et réaliser une administration rigoureuse de la preuve particulièrement nécessaire dans une enquête, qui, dépourvue des garanties propres à la procédure judiciaire, peut néanmoins mettre en cause l’honneur des personnes. L’enjeu est pourtant de taille, bien au delà des questions des dérives sectaires, il s’agit de l’équilibre entre la nécessaire protection de l’enfance et le droit des familles à choisir l’éducation de leurs enfants.

Et j’en viens aux Loubavitch : L’État peut-il légitimement qualifier les Loubavitch de mouvement à dérive sectaire, en d’autres termes, peut-on considérer qu’un comportement communautaire revendiqué, suffise à caractériser le trouble à l’ordre publique constitutif de la dérive sectaire ? Certes, le mode d’éducation des enfants Loubavitch peut sembler les couper du monde, cependant, il n’est pas démontré que cette longue tradition ait produit des difficultés sur le plan éducatif, ni à ma connaissance de trouble à l’ordre publique dans les quartiers de Paris où se concentre la population Loubavitch. Les Loubavitch sont à l’image d’un phénomène qui se manifeste dans notre pays depuis quelques dizaines d’années ; on assiste au large développement d’une remise en cause des normes et principes communément admis en vue de se mettre à l’écart ou de rester entre soi, phénomène qui avait été déjà observé par Tocqueville, alors même que l’origine américaine des sectes est souvent mise en avant.

Des religiosités nouvelles, du moins dans notre pays, et des pratiques sociales non conventionnelles voient le jour. Confrontés à une telle diversification de notre paysage spirituel et philosophique, il est essentiel pour nous de ne pas confondre « non conformisme » et « dangerosité », et par conséquent de distinguer les pratiques sociales originales, de pratiques à risques. Certes, chez les Loubavitch, il existe une forte et solennelle reconnaissance du leader aujourd’hui disparu, ce n’est pas en soi condamnable. Certes, pour en revenir aux problèmes qui préoccupent votre commission, les enfants portent un chapeau à partir de 13 ans et ont l’obligation d’étudier la Thora, obligation respectée plus assidûment sans doute que par d’autres juifs.

De tels comportements peuvent, peut-être, étonner l’observateur. Toutefois, ils n’en constituent pas pourtant un problème d’ordre public. Je rappelle en outre que les établissements d’enseignement Loubavitch sont tous sous contrat avec l’État. Dès lors, il serait pour le moins paradoxal que, ce que l’État accorde sous le contrôle des inspecteurs de l’Éducation nationale, d’autres le mettent en cause alors que ce n’est pas leur domaine de compétence.

En conclusion, j’aimerais souligner un paradoxe essentiel du point de vue de l’action des pouvoirs publics. Je crains fort que la stigmatisation de mouvements comme les Loubavitch ou Les Frères de Plymouth risque de faciliter le passage à l’acte de personnes qui auront bon jeu de se couvrir d’une bonne conscience anti-sectes pour justifier leurs actes de malveillances ou antisémites.

A ce titre, nous voyons augmenter les agressions contre les Témoins de Jéhovah. Autrement dit, je crains fort que cette stigmatisation, ce type de dénonciation, ne constitue à terme des troubles à l’ordre publique ou, pour le moins, des manifestations d’intolérance à l’égard de l’une des libertés les plus fondamentale de tout homme et de tout citoyen : la liberté de conscience.

M. le Président :

Je vous remercie M. Leschi.